C’est lors de la récente édition de « Floc en Fête » à Labastide-d’Armagnac que l’on a su l’inscription de la plus ancienne eau-de-vie de France & de Navarre au patrimoine culturel immatériel du pays, à l’issue d’un an d’instruction et en reconnaissance d’une qualité reconnue dans le monde entier. La renommée du produit et l’activité des producteurs y gagneront, en particulier à l’export.
L’occasion de rappeler l’heureuse visite organisée il y a deux ans au profit des « Amis d’Arnaga » par l’auteur de cet article au château Briat-Pichon-Longueville à Mauvezin d'Armagnac, la propriété de son ami Stéphane de Luze, un des plus talentueux producteurs de bas-armagnac (le meilleur terroir armagnacais, sans conteste) qui les avait magnifiquement reçus dans sa belle demeure gasconne.
Membre de l’Association des cinq crus d’armagnac légendaires, Stéphane de Luze est un des rares producteurs à proposer entre autre la « Blanche de Briat », 100% de l’ancien cépage « folle blanche », d’une grande finesse aromatique et d’un parfait équilibre au nez et au goût.
Quant au château de Briat, édifié vers 1540, c’est un ancien pavillon de chasse construit à l’origine par Jeanne d’Albret, future mère d’Henri IV qui, à son tour, en fit cadeau à Arnaud de Matines (officier de garde) pour lui avoir sauvé la vie. On y admire en particulier la peinture figurant divers épisodes de la vie d’Henri IV qui fait tout le tour du grand salon et commandée par son arrière- arrière grand-père, le baron Raoul de Pichon-Longueville, ainsi qu’une très ancienne bibliothèque familiale.
Armagnac, Novempopulanie... et les Vascons !
Il y a une douzaine d’années, des producteurs d’Armagnac étaient reçus au Vatican pour recevoir la copie du texte fondateur de la célèbre eau-de-vie qui fêtait cette année-là son 700ème anniversaire. Réunis au couvent de la Trinité des Monts à Rome, les représentants de l’Armagnac avaient reçu des mains du vice-préfet de la Bibliothèque apostolique vaticane, Ambrogio Piazzoni, un fac-similé du texte écrit autour de 1310 par Vital Dufour, prieur d’Eauze dans le Gers, et imprimé en 1531.
Le religieux gascon y décrivait les 40 vertus de « l’aygue ardente », eau-de-vie ensuite baptisée Armagnac. Selon cet ouvrage baptisé « Livre très utile pour conserver bonne santé et rester en bonne forme », cette eau-de-vie « aiguise l’esprit si on en prend avec modération », « arrête les larmes de couler », « guérit les hépatites si on en boit avec sobriété » et « délie la langue et donne l’audace au timide ».
Un siècle plus tard, sur le marché de Saint-Sever, cette eau-de-vie deviendra l’armagnac. Actuellement, six millions de bouteilles d’Armagnac sont vendues dans 120 pays, pour un chiffre d’affaires de 50 à 60 millions d’euros. Un millier de personnes vivent de sa production ou de sa commercialisation dans le sud-ouest et le 7e centenaire de l’Armagnac fut célébré dans le monde entier, de Londres à Chicago et de Paris à Moscou.
Les qualités de ce divin breuvage sont une composante à part entière de ce nouveau patrimoine mondial immatériel de l'humanité qu’est la gastronomie, qualités qui sont remarquablement illustrées par un de ses meilleurs producteurs, Stéphane de Luze dont la famille élaboredes bas-armagnacs depuis 1864 au « Château de Briat Baron de Pichon Longueville » à Mauvezin d’Armagnac dans les Landes.
Une relation historique insoupçonnée avec le Pays Basque
Pour expliquer les relations historiques de l’Armagnac et des pays environnants avec le Pays Basque, il convient de rappeler la découverte à la fin du XVIIème siècle d'une longue et célèbre inscription en latin dans les soubassements du chœur de l'église d’Hasparren. Elle relate la formation d'une nouvelle province, la Novempopulanie, qu'un magistrat originaire de cet endroit, cumulant les fonctions de duumvir et de questeur, aurait obtenue de l'empereur de l'époque; on s'accorde aujourd'hui pour penser qu'il s'agissait de l'empereur Claude.
Cette « nouvelle province » de Novempopulanie était constituée de la réunion de neuf peuples groupés à l'intérieur de la boucle formée par le cours de la Garonne, en fait les « véritables » Aquitains, qui tenaient à se distinguer des Gaulois entre Garonne et Loire, auxquels Auguste les avait adjoints peur former la Gaule Aquitaine. Il s’agissait donc en quelque sorte de l'autonomie des tribus vasconnes du Nord, ancêtres des Basques et des Gascons !
Dans l’Antiquité, l’historien et géographe Strabon avait déjà évoqué il y a plus de 2.000 ans les « montagnards du pays des Vascons et au Mont Pyréné », en particulier leurs danses qui rappellent irrésistiblement les sauts basques : « tantôt formant des chœurs au son de la flûte et de la trompette, tantôt bondissant un à un à qui sautera le plus haut en l'air et retombera le plus gracieusement à genoux ».
Cette partie sud de l'Aquitaine antique, également appelée « Aquitania novempopulana » par l'administration impériale romaine, ou encore « Aquitaine IIIe », avait précisément Eauze pour capitale. Au début du moyen-âge, c’est à Auch dont le nom semble présenter une origine proto-basque, que résidera l’évêque métropolitain d’une bonne partie des diocèses basques. D’ailleurs l’archevêque d’Auch ne porte-t-il pas jusqu’à nos jours le titre de « métropolitain des deux Navarres » ? Ainsi, la fondation au Xe siècle du monastère d’Urdax serait due à Sanche Mitarra ou « le Montagnard », roi de Pampelune et premier duc de la Gascogne féodale selon le Cartulaire noir de l'église d'Auch, évêché dont provenait l'Ordre des Prémontrés auquel on confia ce nouveau monastère.
A l’origine de la « véritable » Aquitaine
Pour en revenir aux « véritables Aquitains », ces neuf peuples de langue proto-basque - puis douze, car trois cités de création récente étaient venues s'ajouter à la liste -, on distinguait parmi eux les Auscii (les Ausques, à rapprocher de la racine basque "eusk") d'Eliumberrum (devenu Auch, département du Gers), les Elusates du Bas-Armagnac (Elusa devenue Eauze) les Bigerri ou Bigerriones (les Biguerres) de Bigorre, les Tarbelli de la côte basque à la Chalosse (Aquae Tarbellicae à Dax). Et, parmi les trois peuples qui se s’étaient ajoutés : les Benearnenses ou Benearni (les Béarnais) (de Beneharnum, devenue Lescar) et les Iluronenses (d'Iluro, devenue Oloron). Il faut y ajouter d'autres peuples comme les Suburates, Sybillates ou Sibusates de Soule. Au sud des Pyrénées, on trouvait des peuples de même culture comme les Vascons et les Vardules.
Auch et Eauze faisaient ainsi partie de ces premières cités vasconnes : les Auscii d'Elimberrum (Auch) et les Elusates d'Elusa (Eauze) sont les peuples antiques correspondant à l’Armagnac, qui était comprise dans l'Aquitaine. La région fit ensuite partie du duché de Gascogne, puis du comté de Fézensac. En 960, l'Armagnac devint un comté particulier, et parmi ses premiers comtes figure Bernard II qui posséda un instant tout le duché de Gascogne (1040-1052). Vers 1140, son petit-fils Géraud III réunit à l'Armagnac le comté de Fezensac qui en fut détaché de nouveau à plusieurs reprises. Jean Ier (1319-1373) et ses successeurs joignirent à l'Armagnac le comté de Rodez et le vicomtés de Lomagne, le Comminges. Un de ses descendants, Bernard VII, fut le chef de la faction des Armagnacs dans la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons.
Jean V d’Armagnac était l’adversaire acharné de Louis XI : après sa mort en 1473, Louis XI déclara en 1481 l'Armagnac réuni à la couronne de France. Cependant le roi Charles VIII le rendit à Charles Ier, frère de Jean V. À ce Charles Ier succédèrent le duc Charles d'Alençon, puis Henri d'Albret (tous deux époux de Marguerite, sœur de François Ier), ensuite Jeanne d'Albret, et enfin Henri IV, qui réunit définitivement ce comté à la couronne de France par son avènement en 1589.