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Musique
L’affaire Léon Crutcher
L’affaire Léon Crutcher

| Louis d'Arcangues 756 mots

L’affaire Léon Crutcher

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Pierre d'Arcangues ©
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Après l’hécatombe de la Première Guerre Mondiale, Biarritz devient dans les années 1920 le rendez-vous incontournable et très recherché des têtes couronnées et de l’élite mondaine internationale, ainsi que de nombreuses célébrités du monde artistique et littéraire qui viennent y séjourner pour se divertir et danser.
Parmi les musiciens attirés par son rayonnement et ses possibilités d’emploi, figurent  les « Palm Beach Five », un groupe de musiciens Afro-Américains dont le plus connu était le saxophoniste Frank « Big Boy » Goudie (1899-1964).

Cette formation Jazz était dirigée par l’excellent pianiste et chanteur Léon Crutcher (1902-1926), enfant prodige de son instrument, et le percussionniste George Evans (1896-1927), qui devait mourir de tuberculose en Suisse.
Les deux musiciens, récemment arrivés en France le 23 avril 1924, se produisent dans des cabarets parisiens dès le mois de mai. 
A l’été 1924 les « Palm Beach Five » se déplacent à Biarritz où ils jouent au club Florida. 
Ils y font la connaissance du poète et écrivain Pierre d’Arcangues (1886-1973), puis se produisent à Madrid jusqu’à la fin de l’année.

Pierre d’Arcangues, président du comité de tourisme et des fêtes de Biarritz, personnage incontournable de la vie mondaine  et culturelle de la ville qu’il a contribué à faire connaître, est l’auteur de plusieurs comédies musicales à succès.
Il propose aux deux compères d’écrire la musique de sa prochaine production, « L’Ecole des Gigolos », sur son propre livret. 

Dès son retour à Paris en janvier 1925, Leon Crutcher est hospitalisé à l’Hôpital Américain de Neuilly-sur-Seine, à cause de son style de vie particulièrement débridé et excessif.
Beau garçon, grand séducteur, musicien talentueux, Leon Crutcher est un homme à femmes et un joueur compulsif de casino. 
Souvent ivre, il brûle la vie par les deux bouts et ne s’épargne guère. 
C’est à Nice qu’il fait la connaissance d’une belle hôtesse dans un club de danse Marie-Louise Boyard, au passé trouble et agité, qu’il ramène à Paris (*).

Marie-Louise n’est pas exactement une oie blanche, elle a fugué à l’âge de 15 ans de son domicile, fait de la prison à Fresnes pour « vagabondage »,  et a de nouveau été arrêtée à Bordeaux pour le même motif.
Le couple infernal s’installe à l’hôtel Appolo, rue Joubert.
Leon Crutcher, qui s’adonne de plus en plus à la boisson, mène une double vie, loue une chambre à l’hotel voisin de la Trinité rue de Provence, où il peut recevoir ses conquètes, ce qui n’est guère au goût de Marie, femme de tempérament et fort jalouse. 

Le clarinettiste originaire de Guyane britannique Rudolph Dunbar (1907-1988), qui deviendra un brillant chef d’orchestre et compositeur, rejoint l’orchestre à Biarritz pendant l’été 1925.
Les renommés « Palm Beach Six » se produisent au Pavillon Royal, ex résidence de la reine Nathalie de Serbie, transformé en restaurant et salle de danse.
Leon Crutcher y retrouve Pierre d’Arcangues qui tente de relancer leur collaboration pour la musique de sa comédie musicale « L’Ecole des Gigolos », mais les mauvaises habitudes de vie du pianiste, son alcoolisme chronique, ses perpétuels retards et le fait qu’il ne sait pas écrire la musique l’incite à engager le compositeur américain Mario Braggiotti (1905-1996) pour terminer la partition. 

La petite formation de Crutcher et Evans se produit à Paris au club « Le Jardin de ma Sœur » rue Caumartin, puis à « L’Abbaye de Thélème » à Pigalle.
Le couple s’installe dans un appartement au 97, rue de la Boétie, où ses disputes incessantes et bruyantes exaspèrent le voisinage.
Marie et Léon se marient en décembre 1925, et doivent retourner à l’Hôtel Appolo, chassés de leur précédent logement entièrement dévasté.
Le 25 février 1926, après la fin de sa prestation à Pigalle, Léon traine au club « Le Grand Duc » rue Pigalle, tenue par la célèbre chanteuse Ada « Bricktop » Smith,  (1894-1984), où il écluse quelques boissons fortes jusque tard dans la nuit.
De retour à l’hôtel, après une violente dispute, il est tué net à coups de revolver par son épouse. 
Défendue par le célèbre avocat pénaliste maître Raymond Hubert, Marie Boyard Crutcher sera acquittée du meurtre de son mari.
Quant à « L’Ecole des Gigolos », elle fera une belle carrière, représentée avec succès au Casino de Biarritz, puis à Bordeaux et Paris au théâtre Albert Ier. 

(*) Informations fournies par Anthony Baldwin dans son article : « Murder in Montmartre ».

NDLR. : à "L'Ecole des Gigolos" de Pierre d'Arcangues est lié le nom d’Andrée Spinelly (nom de scène d'Elisa Fournier), meneuse de revues, comédienne puis actrice des débuts du cinéma qui avait joué dans cette opérette à Biarritz et Anglet (1926-1928). Bidart conserve encore la villa « Etche Spi » que cette artiste - très attachée à la Côte basque - avait fait édifier au début du XXème siècle au sommet des Cent marches.

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