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Patrimoine
L’accent des régions... et alors ?
L’accent des régions... et alors ?

| Jean-Baptiste Hiriart-Urruty 1170 mots

L’accent des régions... et alors ?

Quand, au début du mois de juillet, j’ai entendu les médias parler de la nominationdu nouveau premier ministre, je me demandais de qui il s’agissait... On parlait de Jean Casté (comme on dirait un jeu podcasté)... puis on a bien prononcé le x final. Aussitôt, les réseaux sociaux et quelques m’as-tu-vu parisiens se sont moqués de son accent du Sud-Ouest, bien léger pourtant. Ce fut néanmoins l’occasion de parler de glottophobie, terme sous lequel le collègue Ph. Blanchet, professeur à l’université de Rennes, à théorisé les moqueries sur l’accent des régions. J’ai échangé sur le sujet avec lui il y a deux ans, je mets ci-dessous ce que je lui avais transmis. Je ne pensais que l’actualité nous rattraperait si vite.

1. Première partie (extraite du livret [1]). L’accent des régions...

Chaque région a son accent, basque, landais, occitan, catalan, provençal... et même plusieurs accents à l’intérieur d’une même province. Parfois glorifié, parfois caché, souvent moqué (notamment s’il est du Sud-Ouest)... Pas d’illusions, dans ce pays formaté et aux normes bien uniformisées et établies qu’est la France..., pas question de parler à la radio ou journal télévisé, pas question de faire une conférence publique à Paris, de poursuivre une carrière dans une grande entreprise ou dans un ministère si on a un accent régional marqué ; c’est l’une des premières choses qu’on vous demandera de gommer. On arrive ainsi à ce que j’appelle des “voix d’aéroport ou de gares”, partout les mêmes... 
Voici un extrait d’un poème célèbre à ce sujet par M. Zamacoı̈s (1866 − 1955), romancier, auteur dramatique, poète et journaliste ; il était le fils du peintre basque espagnol Eduardo Zamacoı̈s y Zabala.

Emporter avec soi son accent familier,
C’est emporter un peu sa terre à ses souliers ;
Emporter son accent d’Auvergne ou de Bretagne,
C’est emporter un peu sa lande ou sa campagne.
... Avoir l’accent, enfin, c’est chaque fois qu’on cause,
Parler de son pays en parlant d’autre chose.

Le chant intitulé “Une pointe d’accent” (paroles de Marcel Dabadie) figure parfois dans les répertoires des chorales du Grand Sud-Ouest (par M. Etcheverry en Pays Basque, par celle dont je fais partie à Toulouse, “Les Mâles au choeur de Tolosa” (voir sur YouTube)), avec des variantes suivant la région où on se trouve. Voilà ce que ça donne :

Refrain
Mon beau pays s’appelle [au choix] Occitanie/Euskadi ou Euskal Herri/ Septimanie
J’ai dans le sens (nous avons tous) une pointe d’accent.
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent.

Couplets :
Mes amis, mes amours, si vous partez un jour
Laissez-moi, je vous prie, votre pointe d’accent.
Cette musique-là me restera toujours,
Rien ne peut la changer, ni la vie ni le temps.
C’est la magie des mots quand on berce un enfant,
Le chant de la palombe à l’éveil du printemps,
C’est l’envol de l’abeille dans le matin naissant.
En un mot comme en cent, c’est l’accent [au choix] occitan/catalan/basquisant.

Variante :
C’est le parfum du vent jouant sous les platanes
En un mot vous invite à danser la sardane.
On oublie les chagrins, les instants de bonheur,
Un jardin sous la pluie, un été sous les fleurs.
On oublie les soleils et les neiges d’antan,
Mais on garde toujours une pointe d’accent.
Les fameux mousquetaires avaient, disait l’Histoire,
Au bout de leur épée une pointe d’accent.
C’était un don du ciel et un titre de gloire,
Henri IV était fier de l’avoir en naissant.

Toi qui cherche un ami en pays [au choix] occitan/catalan/basquisant,
S’il prononce des mots que tu ne comprends pas,
Dès son premier regard tu le reconnaı̂tras,
Il aura dans ses yeux une pointe d’accent.
Et à toi qui t’en vas, ami de mon enfance,
Je dis n’emporte pas la terre à tes souliers,
Mais accroche à ton coeur ce joli coin de France
Et sa pointe d’accent qu’on ne peut oublier.

2. Deuxième partie. Expériences personnelles ou familiales (un aperçu)... qui auraient pu rejoindre celles du récent livre [2].

- A l’occasion d’épreuves orales d’examens ou de concours nationaux (comme l’Agrégation à Paris), ou bien lors d’exposés professionnels dans ma carrière d’enseignant-chercheur : des légers sourires entendus, quelques remarques... mais qui n’allaient pas très loin, car nous avions de la répartie, et pouvions imiter et reprendre l’accent de l’interlocuteur. Le commentaire le plus standard étant : “En vous écoutant on a l’impression d’être en vacances au soleil”. Le philosophe et historien des sciences Michel Serres (1930 − 2019) a relaté des expériences plus désagréables (toujours dans des oraux de concours), mais à une époque plus ancienne (par exemple celui de lui faire répéter la réponse à une question, juste pour se moquer de lui).

- Lors des dits entretiens (= épreuves orales) pour entrer dans des écoles de commerce, le jury (qui n’est pas exclusivement constitué d’enseignants) peut chercher à déstabiliser le (ou la) candidat-e par des interventions qui n’ont pas de relation avec des matières des concours. Le point de départ peut être l’accent ou simplement le nom de famille lorsque celui-ci traduit clairement l’origine. Exemple avec mon fils cadet (dont le nom basque était clair) dans ce genre d’entretiens : “Alors... tu as pris avec toi des bombes de terroriste ?”.

- Lors de jurys de concours nationaux, par exemple celui de l’Ecole Polytechnique où je fus pendant trois ans. Disons tout d’abord que les recommandations (des directions des concours) sont fortes pour ne pas déstabiliser le candidat, le mettre à l’aise, bref “la bienveillance” est le maître mot (toujours pour les épreuves orales). Aucune indication de l’origine régionale du candidat ou même du lycée de provenance n’est portée à la connaissance du jury, et c’est mieux ainsi.
Mais c’est en coulisses, et au moment des délibérations, que certains membres du jury se “lâchent” : “Ah oui, celui-là... avec son accent méridional, on lui met la “grosse note” ou pas ?”.

Expérience (personnelle) similaire en écoutant des commentaires de professeurs de l’ENA à Strasbourg, dans un restaurant près de l’école : “Celui-là, d’où vient-il... avec son accent ?”. Bref, officiellement pas de remarque désobligeante, mais une condescendance ironique dormante et insidieuse.
Tout cela est très franco-français... Avoir un accent français lors de conférences à l’étranger, notamment dans le monde anglo-saxon, est perçu plutôt avec sympathie.

Plutôt que d’essayer d’uniformiser les accents, les présentateurs de radios ou télévisions feraient mieux de travailler et d’améliorer leur diction et élocution : des fins de mots mangées, des liaisons incorrectes, des anglicismes en veux-tu en voilà... Certes, nous faisons tous des fautes, mais il leur appartient, à eux qui occupent et inondent l’espace médiatique, d’être irréprochables.

Quant à moi, mathématicien, je préfère une réponse correcte à un exercice prononcée avec un accent méridional qu’une réponse foireuse avec l’accent parisien ou soi-disant neutre...

1. J.-B. Hiriart-Urruty, “ Ah ça c’est bien dit ! ” 1001 proverbes du Pays basque, d’Occitanie, de Catalogne... et d’ailleurs". Auto-édité, diffusé à la demande par Amazon
(2019).
2. J.-M. Aphatie et M. Feltin-Palas, J’ai un accent, et alors ? Ed. Michel Lafon (2020).

Jean-Baptiste Hiriart-Urruty

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