Au sud de Bidache, dans le bois de Mixe blessé, c'est perchée à la cime d'un mélèze immense qu'une grive musicienne l'autre soir nous a donné l'aubade. Improvisation riche. Chant puissant. Quelque chose de délibérément original, d'inattendu. Une mélodie si libre qu'un vent léger d'arbre en arbre l'emportait. 
A sa façon, disait-elle que rien ne ferait taire sa harpe hardie vibrant du chant radieux de la vie ? Et l'oiseau minuscule demandait-il au printemps de croître, espérer, prospérer, suivre enfin ses envies neuves ? Le printemps subjugué lui obéissait-il ? Qu'on nous dise un peu pourquoi une grive n'aurait pas le pouvoir de changer le monde un tant soit peu ? La force considérable de commander à la nature en lui obéissant ? 
Avant que ne se referment nos amples paysages, que les parcelles loties du modernisme succèdent aux antiques prairies et les voies rapides aux chemins tortueux, nous camperons dans les pauvres débris d'un monde si lent (monde d'avant, monde dispensé d'avenir) et nos matins seront les uns après les autres flous et froids. 
La grive musicienne ? Ah, toujours elle aura l'ivresse des heures sincères à nous offrir ! Une foule d'images émiettées par la terrible main du progrès jonchera pourtant nos mémoires. Nous pourrons pleurer le trésor des choses passées que nous n'aurons su ni garder ni goûter. Mixe guérira de ses blessures. Les nôtres plus sûrement auront raison de nous...