“Chained” - Film israélien de Yaron Shani – 112’Dans un immeuble quelconque, on frappe violemment sur une porte d’entrée : c’est la police israélienne de Tel-Aviv. En pleine nuit, des voisins de l’appartement ont entendu des cris et des pleurs : ils ont appelé le commissariat. Un homme ouvre l’huis et s’explique : il ne s’est rien passé. Dans le salon, assis sur un canapé, un petit garçonnet pleure. Il a un frère que les deux policiers recherchent sous les dénégations du locataire : Le garçon est refugié, apeuré dans la salle de bains. Il porte des traces de coups. Un des policiers Rashi (Eram Naim) hors de lui menotte le locataire et manque de le maltraiter sous l’emprise d’une colère froide. Le prévenu qui proteste de son arrestation est évacué avec les deux enfants …
Rashi est harassé après une dure nuit à patrouiller en voiture avec son collègue dans les rues de Tel-Aviv. C’est un homme corpulent, entêté, un peu brutal, qui parle avec parcimonie à voix basse. Il est marié avec Avigail (Stav Almagor), une femme douce aux longs cheveux noirs, infirmière dans un centre gériatrique de l’hôpital de Tel-Aviv. Ils s’aiment tendrement. Rashi dans ses bras devient un « gros nounours » attendrissant. Pour Avigail c’est un second mariage. De sa précédente union, elle a une fille Yasmin (Stav Patai), une adolescente rebelle de 13 ans qui n’aime pas trop Rashi, son beau-père, trop engoncé dans des principes surannés. Avigail est enceinte de deux mois, la grossesse s’avère difficile …
Rashi et son partenaire parcourent tous les nuits les rues de Tel-Aviv où ils sont confrontés à des drames humains, des trafics en tout genre. Ce sont des « gardiens de la paix » consciencieux dont le seul but est de faire régner autour d’eux la « loi et l’ordre ». Ils sont soutenus par leur hiérarchie qui apprécie leur labeur quotidien, leur dévouement à des tâches ingrates. Une nuit, le commissariat central leur demande d’intervenir dans un parc de la ville où il y a, semble-t-il, un rassemblement de jeunes détenteurs de drogue. Ils interviennent énergiquement. Rashi face à l’arrogance de certains adolescents qui se réclament de parents « hauts placés » procède à une fouille en règle. Pas de drogue … mais les garçons protestent, menacent.
L’histoire de la fouille nocturne sort dans un quotidien local. La police des polices mène une enquête à charge. Rashi se défend avec obstination contre l’accusation d’attouchements sexuels. L’affaire s’emballe non sans conséquence sur Avigail et sa fille Yasmin …
Chained (112’) est le premier volet d’un diptyque centré autour de la personnalité granitique de Rashi, le policier. Le deuxième volet, Beloved (108’) distribué une semaine après, sera autour de la personnalité d’Avigail, l’infirmière. Les deux parties ont été tournée simultanément par le réalisateur israélien Yaron Shani (47 ans). Les acteurs sont de non professionnels. Ainsi, le film oscille suivant les scènes, souvent fortes, tendues, entre la fiction et le documentaire sans démarcations apparentes. Le réalisateur a pris soin de faire interpréter ses personnages par des acteurs occasionnels dont les parcours réels sont proches de leurs personnages fictionnels. Eram Naim (Rashi), ancien policier, a eu les mêmes problèmes que son personnage fictionnel. Il en résulte malgré quelques gaucheries inhérentes à ce mode de direction de comédiens non professionnels, des moments de grâce, d’intensité dramatique d’une grande vérité. Yaron Shani réussit à trouver la bonne distance avec une caméra légère au plus près des acteurs, sans troubler leur « non jeu ». Il recompose le vécu sans artifice visible ni envolée lyrique. Il se contente de rester au plus près des personnages sans les troubler autant que faire se peut. Nous assistons à une sorte de contraction, d’épaississement, dans un temps court (112’) d’une réalité au temps plus long (plusieurs journées). C’est la densité, sans « temps mort » d’un récit cinématographique maîtrisé.
Chained narre, somme toute, l’histoire d’un couple qui se délite sous nos yeux, mais aussi, en toile de fond, la pression permanente, étouffante d’une société, l’israélienne, tout à la fois démocratique (république parlementaire) et rétrograde (état confessionnel). Tel-Aviv, deuxième agglomération d’Israël, surnommée « la ville sans interruption », dynamique, habitée par une population jeune est le troisième personnage omniprésent (scènes extérieures ou intérieures) de ce drame.
Après le visionnage de Chained, nous attendons la découverte de Beloved (108’), le versant féminin de l’histoire du couple Rashi/Avigail.
Jean-Louis Requena