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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « Martin Eden » de Pietro Marcello

| Jean-Louis Requena 628 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Martin Eden » - Film italien de Pietro Marcello – 127’

Martin Eden (Luca Marinelli) est un jeune marin qui flâne sur les quais du port de Naples. Après une nuit agitée, au petit matin, il intervient vigoureusement pour sauver un jeune homme, Arturo Orsini (Giustiniano Alpi), d’un tabassage en règle par un autre marin. Pour le remercier de l’avoir sorti de ce mauvais pas, Arturo invite le frustre Martin chez ses parents. Ceux-ci sont propriétaires d’une splendide demeure regorgeant de livres rares, de tableaux de maîtres, d’objets de valeur. Martin Eden est ébloui par tant de savoir, de beauté…Il fait la connaissance des parents d’Arturo qui se montrent+ urbains, charmants, raffinés…Il est subjugué par la beauté raphaélique de la sœur d’Arturo, Elena (Jessica Cressy) dont il tombe immédiatement sous le charme au point que lui, le vigoureux marin buriné, malgré son aisance naturelle, perd ses moyens…

Monsieur Orsini (Pietro Ragusa) l’invite à déjeuner avec sa famille. La finesse des mets servis, l’abondance des couverts, leur complexité, intriguent Martin Eden qui tout en mangeant avec grand appétit, devient fort disert…

Martin Eden, pauvre, autodidacte mais lecteur assidu, curieux de tout, voit s’ouvrir grâce à cette famille de nantis, les portes d’une culture supérieure… Il veut échapper à sa classe sociale qui le condamne à un salariat abrutissant, sous payé, ou de « petites gens » comme sa sœur Giulia (Autilia Ranieri) et son mari Bernardo (Marco Leonardi) vivotent médiocrement dans une masure… Son beau-frère, Bernardo ironise méchamment sur le désir d’épanouissement de Martin…

Martin Eden est prêt à tout sacrifier pour atteindre son but : écrire. Auparavant il va lui falloir apprendre sans relâche, reprendre ses études…

Le film de Pietro Marcello (43 ans) est une libre adaptation (coscénariste Maurizio Braucci) dans le temps (fin du XXème siècle) et dans l’espace (Naples) du chef d’œuvre autobiographique (pour une part) de l’écrivain américain Jack London (1876/1916). Ce dernier, aventurier, trimardeur, romancier a, au court de sa brève vie (40 ans !), composé de nombreuses nouvelles (200 environ) et quelques romans (5 au total) dans une sorte de rage d’écriture dopée, en partie, par ses idées progressistes voire « socialistes ». Le long métrage de Pietro Marcello est une heureuse trahison de la lettre mais non de l’esprit du roman de Jack London : les faits se déroulent à Naples dans les années 80 et non à Oakland (Californie) en 1900. Le réalisateur et son coscénariste ont écrit de nombreux dialogues qui n’existent pas dans le roman ou la prose est souvent indirecte (description des états d’âmes du personnage principal, de ses actions, de son environnement, etc.) : ainsi Pietro Marcello nous épargne la voix off qui aurait à coup sûr donné une coloration par trop littéraire à son film.

Pietro Marcello formé à l’école du documentaire, restitue avec une sorte de rage les tribulations en apparence désordonnées de Martin Eden, homme à stature imposante, magnifiquement interprété par Luca Marinelli. La caméra très mobile, scrute au plus près les visages, les corps animés d’une vitalité débordante. Pour Martin Eden, c’est un long sentier étroit, semé d’embuches, d’échecs, afin d’atteindre l’émancipation salvatrice… et décevante.

Des courtes séquences d’archives sont intégrées dans le déroulé du film de plus de deux heures (2h 7’). Ainsi, elles éclairent, en contrepoint, le propos de Pietro Marcello qui narre dans un rythme soutenu, l’histoire de cet homme issu d’un milieu pauvre et acculturé, cherchant à tout prix à s’en extraire, armé de son intelligence, de sa volonté farouche, prêt dans la douleur, à sacrifier son entourage familial, affectif. L’écriture cinématographique nerveuse du réalisateur rend palpable le parcours précipité de Martin Eden.

Luca Marinelli endosse le rôle principal dans toute sa complexité : il est faillible, déprimé mais toujours volontaire. A la Mostra de Venise 2019, il a obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine.

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