Happy End - Film Français de Michaël Haneke – 108’
Depuis 25 ans, Michael Haneke nous propose des films qui nous dérangent, nous exfiltrent de notre zone de confort. Pour lui, un spectateur ne peut être passif, un simple consommateur : il faut le bousculer dans ses certitudes, dans son indifférence mère de tous les renoncements. Réalisateur, scénariste d’origine autrichienne, viennois d’adoption, la ville aimée/haï de Sigmund Freud, il nous propose un cinéma comme révélateur des malaises de nos sociétés occidentales, recroquevillées autour de la famille nucléaire ou élargie. Une famille d’hérissons !
L’Autriche, aujourd’hui « petit pays » européen (8,6 millions d’habitants) de la Mitteleuropa a un destin particulier né de l’éclatement de l’empire Austro-hongrois des Habsbourg à la fin de la première guerre mondiale. Bien qu’il ait fortement, volontairement, à grande majorité, participé à l’expansion du nazisme (Anschluss 1938 !) il est sorti quasiment indemne de la deuxième guerre mondiale à laquelle une bonne partie de ses élites ont participé activement. Cela donne un étrange pays dont une amie allemande me rappelait cette blague à propos des Autrichiens : « ils disent que Mozart est Autrichien et Hitler Allemand ! ».
Ce sentiment diffus d’être par l’apparence « bonhomme » ce que l’on n’est pas, de vivre une vie lisse, qui ne l’est pas, d’être en sorte dans le déni, le mensonge, sous couvert de respectabilité est, pour nous, le moteur de l’œuvre cinématographique de Michael Haneke (12 longs métrage depuis 1989). Nous l’avons découvert en 2001 avec La Pianiste adapté du roman homonyme de sa compatriote Elfriede JELINEK (Prix Nobel de littérature 2004) elle aussi grande pourfendeuse du conformisme autrichien. Depuis Michael HANEKE nous a proposé des films comme le Ruban Blanc (2009 – Palme d’Or au Festival de Cannes) et Amour (2012 – Palme d’Or au Festival de Cannes).
Dans le cadre de sa section « Perlas », le Festival International de San Sébastian 2017 a programmé son dernier opus que nous avons visionné dans une salle au public enthousiaste, fort éloigné de celui blasé de Cannes où il avait été présenté sans succès (sélection officielle).
De nos jour, à Calais, une famille de grands bourgeois, les Laurent, entrepreneurs de travaux publics, vivent dans une villa particulière ou se côtoient l’ancêtre Georges (Jean-Louis Trintignant), sa fille Anne (Isabelle Huppert) Présidente du groupe, le fils de celle-ci Pierre (Franz Rogowski), son frère Thomas médecin (Mathieu Kassowitz) et sa nouvelle femme Anaïs (Laura Verlinden). Tout ce petit monde cohabite tant bien que mal dans un confort bourgeois, mais vicié, dans l’aisance matérielle : chacun a ses petits secrets qu’il cache aux autres membres de cette famille élargie. Une petite fille de treize ans, Eve (Fantine Harduin), fille d’une première union de Thomas, arrive dans ce microcosme qu’elle va, par son comportement (elle filme avec son portable, pirate les ordinateurs), perturber. Michael Haneke filme dans un désordre apparent, par courtes scènes, ce film choral (pas moins de six personnages importants !) ce qui est en principe impossible dans l’art cinématographique surtout sur une durée courte (108 minutes).
Effectivement l’exposition de tous les protagonistes exige de nombreuses séquences signifiantes qui dispersent quelque peu notre attention. D’autre part, Michael Haneke scénariste a tenu à nous culpabiliser en nous montrant d’abord discrètement, sur la grève d’une plage du nord, puis avec insistance (ville, restaurant), des migrants errants dans la ville de Calais.
A cette réserve près, la dernière partie du film ou le puzzle familial de cette famille recomposée est achevé reste impressionnant. On retrouve le Michael Haneke qui nous avait tant frappé par la maîtrise formelle de son film précédent Amour (2012) avec Jean-Louis Tintignant qui prolonge ici son personnage de grand bourgeois en fin de vie, à penchant suicidaire (scène hilarante avec son coiffeur).
La technologie intrusive actuelle, téléphone portable, ordinateur, tablette, etc. adoptée par des « esprits pervers » (nouveaux ou anciens), sans morale constituée, ici par une pré-adolescente, Eve, peut générer des mécanismes destructeurs, démoniaques qui annihilent les simples rapports humains.
C’est ce que, selon nous, décrit Michaël Haneke dans son film sous forme de fable familiale. Il a, selon nous, pour une part, réussi par son analyse glaçante et son humour grinçant.
Jean-Louis Requena