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La crise de 2020 – Regards chrétiens par Michel Camdessus
La crise de 2020 – Regards chrétiens par Michel Camdessus

| Michel Camdessus 1967 mots

La crise de 2020 – Regards chrétiens par Michel Camdessus

En relation avec l’hommage qui sera rendu au cardinal Etchegaray mercredi 9 septembre prochain à 16 heures sous le porche de la cathédrale de Bayonne, nous reproduisons ci-après la conférence donnée le 18 août dernier à Saint Jean de Luz par Michel Camdessus qui participa souvent aux forums aoûtiens organisés à Espelette sous l’égide du prélat basque.
Bayonnais de par ses origines, Michel Camdessus dirigea le Fonds Monétaire International après avoir été Gouverneur de la Banque de France. Ancien président des Semaines Sociales, il avait évoqué le grand débat qui s’était imposé au monde sur son modèle économique pendant les vingt dernières années du XXIème siècle en partageant « quelques interrogations sur le rôle de chrétiens laïcs recevant les orientations des derniers papes alors que le monde qui se replie sur lui-même a plus que jamais besoin d’entendre cette parole » (ALC).

I. D’un modèle de mondialisation triomphante à celui d’une mondialisation plus humaine

Partageons quelques réflexions sur le modèle économique sous-jacent aux évolutions si préoccupantes décrites par Philippe Chalmin. Remontant vingt ans en arrière, nous passons d’une proclamation de la réussite d’une « mondialisation triomphante » à la recherche d’une « mondialisation simplement plus humaine » dans les affres d’une crise exceptionnellement sévère.

Reprenons le récit de notre histoire en 1999. Nous venions de régler deux crises majeures : la crise mexicaine et la crise asiatique. Le monde avait frôlé chaque fois un effondrement financier majeur que la coopération internationale avait évité. Nous avions accompagné les pays de l’Est à l’économie de marché. Le monde voyait émerger une période de « grande modération » et de croissance plus équilibrée.

C’est alors qu’un jeune penseur américain, Francis Fukuyama, a publié un énorme ouvrage (452 pages) annonçant à grands sons de trompe qu’avec les réussites politiques des démocraties libérales, l’effondrement du modèle soviétique et la réussite d’un capitalisme néolibéral s’appuyant efficacement sur les nouvelles technologies, un nouveau savoir-faire des responsables des gouverneurs et des entreprises, une rationalité financière puissante... et des médias alignés, le monde avait atteint un modèle indépassable et donc, tout simplement, la fin de l’histoire. Tel était le titre de son livre : The end of the history and the last man. Le succès de librairie fut immédiat et mondial. Il fallait réagir. Nous avons été nombreux à expliquer que cette vision était illusoire, que ce monde restait plein de menaces liées aux formidables inégalités de développement et que si l’on voulait passer de cette mondialisation prétendument heureuse simplement à une mondialisation plus humaine, il était urgent de s’engager sur d’autres voies. Nous suggérions cinq « chemins d’humanité ». Je vous les cite, car ils restent d’actualité :
1. Éradiquer la pauvreté, considérée comme le risque systémique ultime, en poursuivant plus résolument les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies ;
2. Réformer profondément les finances mondiales pour qu’elles deviennent servantes de l’économie et non plus l’inverse ;
3. Mettre en place une nouvelle gouvernance pour un monde devenu multipolaire ;
4. Répondre par la sagesse à la finitude des ressources de la planète ;
5. Porter nos cultures à la hauteur de nos défis.

Nous avons tenté de répandre cette stratégie, mais nos pays se prélassaient dans la « grande modération ». Or, il est connu qu’il faut des crises pour que les choses changent vraiment. Les choses ont peu changé et voici que le tocsin a retenti plusieurs fois : crise de l’internet en 2001, crise de 2008, et nous voici dans les premières semaines de 2020 : le COVID-19 surgit. Sidération (64 % de nos compatriotes craignent d’en mourir), confinement... la planète se recroqueville sur elle-même. Formidable désarroi ! Comment en sortir? C’est une crise dure or, selon l’idéogramme chinois, toute crise est un mélange de risques et d’opportunités.

Dans les circonstances présentes, du côté des risques : une épidémie très grave doublée d’une crise économique. Cette crise rencontre trois autres risques reconnus comme mortels par les plus hautes autorités politiques et spirituelles du monde :
1. La crise écologique,
2. La crise sociale : la conjonction de la pauvreté absolue qui ne régresse plus et des inégalités croissantes,
3. Enfin, la menace constante d’un conflit majeur, éventuellement nucléaire, qui peut être déclenché à tout moment entre les grandes puissances (Chine/USA, Israël/Iran), mais aussi terrorisme.

Voilà donc du côté des risques. Ce sont de redoutables menaces pour l’humanité ! De quelles ressources disposons-nous pour leur faire face ? Quelles sont les chances que nous hésitons à reconnaître ou à valoriser ?
- Des avancées technologiques bienfaisantes pour l’homme,
- Les progrès concernant sa santé et sa longévité,
- La sensibilité de beaucoup de jeunes à l’impératif d’« abondance frugale », selon l’heureuse expression de Jean-Baptiste de Foucauld,
- Les chances de rencontres nouvelles qui nous sont offertes à travers les échanges culturels et économiques internationaux,
- Les avancées aujourd’hui, hélas enrayées par Trump et quelques autres, vers une gouvernance mondiale multipolaire et non plus trustée par les plus grandes puissances,
- Une construction européenne qui pourrait devenir un pôle de sagesse dans la conduite de l’humanité,
- L’éveil souvent fraternel de la société civile,
- Les prémisses d’une extension du champ de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) et de les avancées vers la réforme de celle-ci,
- Etc.

Ne serait-il pas possible, en faisant fond sur de telles bénédictions sur notre monde sinon de le réenchanter du moins d’ouvrir des chemins d’espérance partageables ? Faisant fond sur toutes ces chances, nos pays ne pourraient-ils pas avancer ensemble vers la vie bonne dans la fraternité dont parlait Ricœur ? Pour cela, il nous faut nous engager à nouveau, avec une détermination redoublée, sur ces cinq chemins d’humanité que j’évoquais il y a un instant.

Impossible ? Eh bien ne nous abandonnons pas au désenchantement ! Ouvrons les yeux : ce changement de paradigme s’opère déjà timidement sous nos yeux. Nous voyons apparaître bien des initiatives qui sont autant d’éléments disparates et fragiles d’un meilleur modèle :
- À la place de l’assurance arrogante du modèle de capitalisme néolibéral sur lequel s’appuyait Fukuyama, nous voyons se répandre un sens de la fragilité et de la contingence de tout ce qui touche à l’humain. Nous voyons apparaître des signes d’une plus grande attention aux plus petits et vulnérables ;
- Les inégalités de plus en plus criantes sont plus souvent jugées comme inadmissibles ;
- Le souci du local et du plus proche s’aiguise ;
- L’accompagnement est reconnu comme essentiel ;
- La conception du rôle de l’État évolue, on commence à comprendre qu’il ne peut plus tout faire et doit redécouvrir la solidarité et la priorité due aux plus fragiles.

Ces avancées sont précieuses et encourageantes, mais fragiles. Pourquoi cette avancée vers une mondialisation plus humaine nous semble-t-elle si mal assurée ? Parce que le changement culturel, notre cinquième « chemin d’humanité » est très loin d’être suffisamment engagé. Nous abordons ces problèmes immenses, prisonniers encore de la culture de consommation et de gaspillage d’hier. Nous avons donc besoin que toutes les forces spirituelles qui soutiennent les hommes, les religions en particulier, sortent du bois. Il est essentiel qu’elles proposent à leurs fidèles leurs propres réponses aux défis de l’avenir et, autant que possible dans une approche interreligieuse, les encouragent à s’y engager. C’est ce que l’Église catholique a essayé de faire dans l’esprit de la déclaration Nostra Ætate du Concile Vatican II.

Après avoir entendu le bref résumé par Philippe Chalmin des dernières encycliques de « Rerum Novarum » à « Caritas in Veritate » et « Laudato Si », je n’ajouterai que deux remarques :
- Ce langage peut sonner juste aux oreilles de toute personne croyante ou pas de bonne volonté, soucieuse et désireuse de participer à la construction d’un monde plus habitable et fraternel. Souvenons-nous de cette réflexion d’Edgard Morin qui se définit lui-même comme un incroyant radical : « L’encyclique Laudato Si est peut-être l’acte I d’un appel pour une nouvelle civilisation ».
- Pour les chrétiens conscients des responsabilités que leur confère leur baptême, je voudrais évoquer une conversation avec le cardinal Etchegaray auquel nous liait une grande amitié. Chacun connaît ici sa finesse, sa retenue et lorsqu’il le fallait, sa parole de feu.

Nous sommes en juillet 2009, l’encyclique « Caritas in veritate » a été publiée la veille. Il m’appelle et, tout réjoui, me félicite car il prétend que tel ou tel de mes propos a servi à la préparation de ce texte qu’il trouve magnifique. Je lui réponds que je n’y suis pour rien, il insiste, je jure mes grands dieux que non, mais aussitôt il enchaîne (et ceci était, je crois, le but de son appel) : « Mais vous savez, on n’écrira plus d’encycliques comme celle-là ! ». Et il m’explique en deux mots, devant ma surprise : « C’est encore un texte trop long et trop savant, il sera travaillé et retravaillé par l’Église dite enseignante, toutes les universités et institutions catholiques de la terre... mais l’Église enseignée, celle qui est au milieu des hommes, réellement dans la mêlée, dans le débat de nos sociétés, l’entendra-t-elle ? ».

Il ne m’en dit pas plus. Je comprends qu’il porte deux soucis très lourds : celui d’un langage de l’Église à rendre accessible à tous et celui de multiplier le nombre de chrétiens prêts à partager partout ces messages d’Évangile.

Hélas, le changement dans l’Église ne s’opère pas au rythme souhaité par ses meilleurs serviteurs et combien de paroles magnifiques du pape François continuent de ne pas atteindre les pratiquants de chaque dimanche ! Je ne prends qu’un seul exemple parce qu’il nous touche de près, puisqu’il s’agit d’affectivité, de mariage et de sexe. Qui, dans nos villes et villages, a entendu parler de ce texte de mars 2018, « Amoris laetitia » ? Ce texte renverse l’image si répandue d’une Église qui condamnerait tout ce qui touche de près ou de loin au sexe. Il y a là un changement radical de discours de l’Église ; là où l’on ne discernait que rappels d’interdits, les dons du mariage et de la famille sont valorisés ; là où la culpabilité aurait pu prévaloir, la miséricorde est exercée ; là où des situations dites « irrégulières » aboutissaient à des mises à l’écart, il est d’abord question de recherche de proximité et d’accompagnement...

Qui est conscient aujourd’hui autour de nous de cette parole libératrice ? Ceci m’amène, parlant comme chrétien des crises d’aujourd’hui et de demain et me rappelant l’inquiétude de mon ami Roger Etchegaray, à conclure par trois questions :
1. Pouvons-nous nous résigner, à un moment de l’histoire où le monde et nos sociétés ont un tel besoin de ces paroles de libération, de vérité, d’humanisation, à laisser la charge de la diffusion de tels messages d’Évangile à quelques clercs de moins en moins nombreux ?
2. Notre baptême qui nous fait tous partager le sacerdoce de Jésus Christ et donc la responsabilité de la diffusion de l’Évangile et de la parole de son Église ne nous presse-t-il pas, nous aussi, à sortir du bois, à secouer nos conforts et nos timidités et à nous mettre en mesure de prendre notre part dans la transmission de ces messages d’espérances à un monde en détresse ?
3. Ceci n’implique-t-il pas aussi, je cite le pape François, que nous nous sentions engagés dans « la transformation ecclésiale et sociale » dont nous avons tant besoin ? La transformation de notre Église peut-elle attendre ? (*)

Il n’y a pas aujourd’hui de questions plus importantes que celles-là. Soyons prêts à y répondre. Ne nous y dérobons pas. Débattons-en en Église, sachons comme Paul le recommandait aux Colossiens « tirer parti de la période présente ». C’est aujourd’hui le « moment favorable ». Ne le laissons pas passer.

Michel Camdessus

(*) Le lecteur soucieux de répondre à cette question pourra se référer à la brochure Transformer l’Église catholique dont Michel Camdessus est l’un des co-auteurs. Cet ouvrage peut être commandé à l’adresse suivante : http://www.la-croix.com/transformerleglise

Légende : Michel Camdessus avec le cardinal Etchegaray au Forum d’Espelette organisé par l’abbé Esponde.

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Michel Camdessus ©
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Répondre à () :

MARTIN DESMARETZ de MAILLEBOIS | 04/09/2020 15:50

Très intéressant mais un peu distant. Je ne suis pas le seul à avoir mieux qu'entendu parler d' « Amoris laetitia » ! Je rappelle cependant qu'il y a une très grosse erreur à qualifier de "crise ce qui s'est passé de 2006 à 2009 et encore en 2020 par exemple. La fin de la mécanique bancaire du crédit annoncée il y a 11-14 ans n'était qu'une anticipation. le crédit alors non seulement ne s'est jamais arrêté mais même a augmenté en volume, créé, comme depuis 34 ans ex-nihilo par les cartels bancaires US, Européens notamment. Par contre la fin arrive en ce moment clairement et c'est sans aucun doute la vraie motivation de la fausse pandémie inventée pour tenter de couvrir la récession économique consécutive. L’Économie occidentale étant droguée à la monnaie-crédit depuis bien trop longtemps, en France depuis 1976. J'ai non seulement été instruit de tous les détails dès 1973-76 mais même j'ai tout vérifié en permanence et je l'ai même enseigné comme professeur d’Économie Politique Appliquée auprès de l'Institut de Formation bancaire ( pour les BAC+2 à +4 en moyenne ). Je puis donc tout expliquer en détails. Là, je résume.

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