Elk Flats, Etat du Nevada (États-Unis), quelque temps après la Guerre de Sécession (Civil War : 1861/1865). Dans une maisonnette, un homme Holger Olsen (Viggo Mortensen) ferme, avec une infinie douceur, les yeux de sa femme Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps) gisant sur son lit de mort. Plus tard, il creuse une tombe à proximité de la maison isolée, en présence de son jeune fils qui joue près du tombeau ouvert de sa compagne.
Le maire de la bourgade Rudolph Schiller (Danny Huston) surgit accompagné de deux cavaliers. Il lui présente ses condoléances et interroge Holger Olsen : veut-il de l’aide ? En quelques mots, ce dernier décline l’offre.
Quelques années auparavant, Holger Olsen, immigré d’origine danoise, rencontre sur le port de San Francisco Vivienne Le Coudy, une jeune femme d’origine canadienne française au caractère volontaire, farouchement indépendante. Malgré leur différence de culture, d’âge, ils « tombent en amour ». Holger parvient à convaincre Vivienne de se rendre au Nevada où il a acheté, au fond d’une vallée poussiéreuse, un petit ranch.
A leur arrivée, après un moment de stupeur devant la nature hostile du lieu, Vivienne emménage l’intérieur de la maisonnette et plus tard, passionnée par les plantes (elle était fleuriste), arbore avec gout l’environnement de celle-ci.
La Guerre de Sécession éclate en avril 1861 entre les États du Nord (abolitionnistes) sous la présidence d’Abraham Lincoln (1809/1865) et les États du Sud (esclavagistes) présidés par Jefferson Davis. Holger Olsen est un ancien soldat. Contre l’avis de Vivienne, fidèle à ses idéaux, il s’engage pour l’Union (États du Nord) ; il part à la guerre pour de longues années laissant le ranch à celle-ci.
Pour survivre, Vivienne Le Coudy accepte un travail de serveuse dans le saloon du village. Des hommes violents, incultes, le fréquentent dont un important propriétaire terrien Alfred Jeffries (Garret Dillahunt) par ailleurs co-propriétaire du saloon et son fils brutal, alcoolique, et imprévisible Weston (Solly McLeod).
Dans le saloon, Weston fait des avances insistantes à Vivienne. Elle les ignore …
Jusqu'au bout du monde est le second opus de l’artiste « multicarte » américano-danois Viggo Mortensen (65 ans) tout à la fois acteur (près de 70 films !), réalisateur, scénariste de ses films, producteur, musicien, photographe, peintre et poète (il possède une maison d’édition spécialisée dans la publication de nombreux poèmes, dont les siens !). Citoyen du monde, il parle couramment l’anglais, le danois, l’espagnol, le français et possède de bonnes notions d’italien, de suédois et de norvégien.
Dans l’univers cinématographique mondial, Viggo Mortensen est un personnage singulier conjuguant dans une filmographie étonnante, la diversité (alternance de films intimistes et de blockbusters telle la trilogie du Seigneur des anneaux) et la qualité (Green Book : Sur les routes du Sud). Ainsi, sa filmographie en tant que réalisateur est à son image. Sa première œuvre Falling (2020) sur les rapports douloureux entre un père atrabilaire et son fils homosexuel est puissante. Malheureusement la pandémie a obéré sa distribution. Jusqu'au bout du monde est donc son second opus lequel explore l’univers rebattu du western, genre cinématographique américain par excellence (André Bazin 1918/1958), dont nous avons été saturés durant 30 ans (1940/1970).
Les codes sont très connus et convenus : un cowboy solitaire, une ingénue, un village poussiéreux, un « méchant » riche, etc. Variation infinie sur les mêmes thèmes.
Viggo Mortensen à partir d’une histoire de l’Ouest américain (Far-West) classique, a écrit durant le confinement, un scénario élaboré à partir de ce standard tout en déstructurant l’histoire à coup de flash-backs astucieux et de quelques inserts intrigants, oniriques, lesquels rehaussent l’intérêt de ce récit. De fait, il en casse sa linéarité. Quand Holger, ancien soldat, part s’engager pour l’Union, Vivienne reste seule dans une contrée perdue et doit s’assumer.
Dès lors, Holger absent durant les quatre années de la Guerre de Sécession, l’histoire se focalise sur la jeune femme face à ses difficultés (pécuniaires, personnelles, etc.).
Viggo Mortensen déclare lors d’un interview : « Dans cette histoire, Holger rencontre Vivienne qui lui ressemble un peu. C’est une femme résolument indépendante, aussi têtue que lui, et qui ne compte que sur elle-même. » Jusqu'au bout du monde est un western (plus exactement sur-western pour reprendre la définition d’André Bazin), mais ici dans son propos résolument féministe. Vivienne, solitaire, lutte face à la lâcheté, à la violence des hommes.
Viggo Mortensen ne cache pas son admiration pour les grands westerns américains du passé qui en ont établi, en quelque sorte, les codes cinématographiques : La Chevauchée fantastique (1939) de John Ford (1894/1973), La Rivière rouge (1948) de Howard Hawks (1896/1977) et Seuls sont les indomptés (1962) de David Miller (1909/1992). Jusqu'au bout du monde est une œuvre qui peut être considérée en dépit de sa modernité narrative, comme un hommage à ces longs métrages qui ont enchanté notre enfance.
Dans la pure tradition « westernienne », Jusqu'au bout du monde a été quasiment tourné en décors naturels, éclairés, en écran large, par le directeur de la photo Marcel Zyskind. Les décors intérieurs et les costumes sont tout aussi soignés et correspondent à la dure existence dans le Wild West (Ouest Sauvage) telle que nous l’imaginons (les costumes ne sont pas immaculés ; les coiffures sont négligées, etc.).
Soulignons la performance des deux acteurs principaux : Viggo Mortensen et Vicky Krieps. Cette dernière à nouveau une fois étonnante de vérité dans son rôle inattendu de québécoise immigrée (de temps à autre elle parle le français du Canada !). Nous l’avons découverte dans Phanthom Tread (2017) de Paul Thomas Anderson au côté de l’intimidant Daniel Day-Lewis.
Durant ces dernières années nous avons, hormis quelques exceptions, été privé de westerns si nombreux autrefois qui ont, pour nombre d’entre nous, un goût d’enfance. Les innombrables séries télévisées américaines ont « dilué » ce genre majeur dans l’histoire du cinéma par des appauvrissements thématiques et des excès caricaturaux.
Jusqu'au bout du monde est un « revival » d’un genre oublié. De ce point de vue c’est un pari à l’heure ou les franchises nous abreuvent de « supers héros » inconsistants.