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Critique de Cinéma
Jouer avec le feu (118’) - Film français de Muriel et Delphine Coulin
Jouer avec le feu (118’) - Film français de Muriel et Delphine Coulin

| Jean-Louis Requena 783 mots

Jouer avec le feu (118’) - Film français de Muriel et Delphine Coulin

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Standing ovation à la Mostra de Venise ©
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"Jouer avec le feu" ©
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Villerupt, en Lorraine (Meurthe et Moselle). Pierre (Vincent Lindon) est chef d’équipe sur les chantiers roulants de la SNCF. Avec son groupe, de nuit, il répare les catenaires endommagés. C’est un homme consciencieux apprécié par ses coreligionnaires. A la fin son intervention harassante, il rentre chez lui où l’attendent ses deux enfants : Felix dit Fus, l’aînée, et son frère Louis. Pierre devenu veuf, a élevé avec tendresse ses deux adolescents de 19 ans et 17 ans, très différents l’un de l’autre. Fus est athlétique : c’est un champion de football local que son père soutient comme supporter. Il est élève dans un IUT qui ne semble pas l’intéresser. Les études ne sont pas son fort, d’ailleurs il sèche souvent les cours. Louis, plus posé, est en classe terminale : c’est un brillant élève dont l’avenir est prometteur. Il ambitionne d’accéder aux classes préparatoires des grandes écoles à Paris.

Fus sort le soir sur sa moto. Il fréquente des hommes aux crânes rasés, aux mines patibulaires, arborant des tatouages néo-nazis. Pierre, un ancien syndicaliste, s’inquiète de ses mauvaises fréquentations. Rien n’y fait. La tension monte dans la maison où Fus devient de plus en plus agressif contre son père qu’il accable de reproches.

A l’évidence, malgré les remontrances de son père, Fus se radicalise aux contacts de ses amis devenus encombrants. Il poursuit sa dérive fascistoïde …

Jouer avec le feu est le troisième long métrage des sœurs Coulin, Muriel (54 ans) et Delphine (52 ans). Leurs deux précédents films, Dix-sept filles (2011) et Voir du pays (2016) ont été remarqués notamment pour leurs sujets : la première histoire est celle de 17 jeunes filles d’un même lycée qui décident de tomber enceinte ensemble ; la seconde, le retour difficile de deux femmes soldates qui passent par un étrange « sas de décompression ». Deux histoires innovantes, deux œuvres peu communes. 
Jouer avec le feu est une adaptation par les sœurs Coulin du roman de Laurent Petitmangin Ce qu’il faut de nuit (2020) paru à La Manufacture de Livres. En réalisatrices chevronnées, elles ont construit un univers plausible (maison, costumes, accessoires de jeu, code couleurs, etc.) dans lequel les personnages parés de cette authenticité, quoique factice (c’est du cinéma), nous parlent sans affèterie. C’est un problème social d’une grande banalité dans ces anciennes régions du nord-est de notre pays après l’effondrement des industries centenaires (charbon, acier, textile, etc.) qui ont cédé la place à des friches industrielles. 
Muriel Coulin déclare à propos de ces catastrophes économiques et de leurs conséquences sociétales : « Ce sont des questions qui ne sont pas très souvent abordées au cinéma, alors qu’elles sont omniprésentes dans nos vies. Nous nous sommes dit qu’il fallait prendre notre courage à deux mains en les affrontant ».

Outre les quatre personnages principaux rendus crédibles par leurs apparences et leurs comportements, les réalisatrices ont adapté leur langage cinématographique sans toutefois tomber dans la trappe commode du « cinéma social » avec son cortège de bonnes intentions. Ainsi ont-elles choisi le format écran large (2.39: 1) qui ouvre de « grands espaces » à l’intérieur de la petite maison familiale à étage : la cuisine, lieu de rencontre et de convivialité ; l’escalier qui mène aux chambres de deux garçons, elles-mêmes

symétriques séparées verticalement par une cloison créant sur l’écran un effet spilt screen (écran partagé). La cuisine lien des collations, puis d’évitement ; l’escalier lieu de fuite puis d’affrontement, les chambres espaces de désunion de Fus et Louis. La maison, espace clos recèle, en son sein, des objets iconiques : la table à rallonge, l’escalier, les chaises, les trophées de Fus et les livres de Louis, etc.

De nombreuses scènes intérieures, courantes puis dramatiques, sont enregistré en plans séquences lesquels permettent aux acteurs de s’installer dans la continuité de la situation. Les sœurs Coulin montrent une maitrise de ce type de grammaire cinématographique laquelle favorise le jeu des comédiens en ne le hachant pas en de multiples plans parfois jusqu'au tournis (montage cut). Ainsi l’émotion s’installe dans la durée. Trop de cinéastes (nous ne citerons pas les noms) oublient souvent, par paresse, ce principe simple : la continuité visuelle.

L’interprétation des trois acteurs principaux est en tout point remarquable : Vincent Lindon (Pierre, le veuf) en bloc minéral mais fissuré, toujours impressionnant de justesse (filmographie de plus de 70 longs métrages depuis 1983 !) ; Benjamin Voisin (Fus, l’ainé violent) jeune adulte, aigri et frustré ; et Stefan Crepon (le cadet, studieux) en bon élève. Jouer avec le feu a été projeté en sélection officielle à la Mostra de Venise 2024 où Vincent Lindon a été récompensé s’ajoutant à d’autres prix prestigieux (2015 : Prix d’interprétation au Festival de Cannes pour La Loi du marché et César 2016 du meilleur acteur pour le même rôle) de la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine.

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