Il est dix neuf heures à l’église du quartier Saint André.
La fête du jambon bat son plein de convives et de verres de bière distribués dans les bars, sur les terrasses et les tables dressées ce jour au pas de porte et dans les rues adjacentes de ce quartier populeux.
On est venu de partout pour célébrer le printemps pour les uns, le premier jour de fête non confiné depuis longtemps. Deux années lourdes pour une jeunesse impatiente en quête de rencontres spontanées.
Du côté de l’église Saint-André, on se prépare à la messe du jeudi de la Semaine sainte.
Les femmes bienfaisantes et actives ont tout prévu.
Un moment intense et animé de la liturgie pascale. Acteurs, enfants de choeur, choristes, porte croix, cérémoniaires, thuriféraires, encensoir et encens, célébrant et ordinaire liturgique de cette cérémonie exceptionnelle ajoutent à la fébrilité du moment.
L’heure est proche, il faut penser à tout et le tout est orchestré par ces petites mains habituées et discrètes qui n’oublient rien pour la circonstance.
Devant le tabernacle, ce petit monde d’enfants recrutés dans le scoutisme pour les uns, alors que d’autres viennent des familles proches de la paroisse de ce quartier, ils attendent la consigne du curé François de Mesmay pour dire un notre père à genoux, puis défiler du fond de l’église à l’autel pour la cérémonie.
Une noria d’angelots, de chérubins, d’éliacins suivent la croix de procession portée par un jeune adolescent flanqué d’enfants de choeur ensoutanés, de jeunes garçons, et de figurants vêtus d’aube blanche, les mains jointes, et qui s’avancent vers l’autel central de l’église pour la liturgie de ce jeudi saint.
L’orgue annonce les prémisses de chants dirigés par madame Barbara, secrétaire de l’évêque du diocèse.
Et selon un rituel bien rodé la messe commence. Elle se déroule dans une nuée d’encens et de senteurs liturgiques dès la bénédiction de l’autel revêtu d’une nappe de circonstance. Les objets sacrés du culte célébré ce soir appartenant au trésor paroissial, sont présents
On reconnaît de magnifiques calices d’or et d’argent, des patènes de la même provenance, des burettes raffinées, des objets du culte exposés rarement sinon pour ces cérémonies exceptionnelles sont présents à proximité de l’autel de la célébration.
A l’heure du Gloria annonçant la solennité du moment, des cloches, clochettes,’'xilinxak”, des “joariak” - comprenez ces sonneries attachées jadis au collier des attelages ou des béliers lors des transhumances, aux bêtes de somme de nos fermes agricoles - résonnent dans le choeur de l’église tandis que les cloches appellent à la joie de la célébration urbi et orbi, conviant les fidèles à la jubilation. En harmonie, ciel et terre se conjuguent et s’accomplissent à la fois.
Un rite que M. Goutenègre, père de famille attaché au service paroissial, introduisit dans le programme de cet office de la Semaine sainte.
Les enfants sont à la fête !
Il n’est pas commun de faire chorus avec cet environnement extérieur et champêtre lors d’une cérémonie aussi stylée et peaufinée du Jeudi saint, dernier repas de Jésus avec ses douze apôtres. Les jeunes scouts, familiers des marches paysannes dans les contrées alentour, sont ravis.
Le lavement des pieds trouve sa place ensuite. Quelques sujets désignés présentent leur extrémité pour une purification symbolique de ce soir mémoriel et liturgique.
Par trois fois le rite de purification se fera. A l’offertoire, au lavement des pieds et après la communion par le célébrant.
Le célébrant a quitté sa chasuble, endossé son tablier blanc serré à la taille et se livre à ce geste en divers lieux de l’église.
L’orgue accompagne ce rite avec gravité et recueillement. Prêche et commentaire, intentions de la prière universelle suivront.
Le second défilé de ce temps viendra avec les offrandes portées à l’autel. On y trouve le pain et le vin eucharistique, les fleurs mais point de jambon ni de victuailles célébrées dans le carré des halles proches.
La messe est dite en français, quelques chants basques ponctuent la liturgie, mais sans excès car, selon toute probabilité, l’assistance réunie en ce lieu vient de Bayonne, du sud des Landes et d’autres communes voisines habituées de cet office bayonnais.
Nous sommes bien à Saint-André de Bayonne dans le quartier historique qui connut la présence de congrégations religieuses au Moyen Age que l’on ne cesse de redécouvrir encore par les forages du sol autour du Musée Bonnat, de l’ancien couvent dominicain sis autour de la Place du Réduit.
A Saint André où le jansénisme eut ses racines bayonnaises autour d’une école fondée par Monsieur de saint Cyran à l’histoire tumultueuse dans la cité.
En ce lieu où les jésuites de mémoire religieuse ne purent s’implanter, curieux avatar de l’histoire passée lors d’une opposition franche entre les jansénistes et les disciples d’Inigo de Loiola, indésirables en terre basco-bayonnaise !
En cet espace où, rasant l’école janséniste, on construisit l’église actuelle non sans péripétie sur pilotis, et où les flèches ajoutées de l’édifice menaçaient de faire choir la structure du bâtiment.
En ce quartier des musées, des écoles supérieures et de la vie noctambule des Bayonnais où l’on croise le fêtard d’une rencontre fortuite, et la visiteuse d’un soir en goguette.
En ces ruelles où l’on connut des règlements de compte, et in fine la célébration de la paix des coeurs qui annonçait la trêve de la violence et le retour à la concorde. Quartier toujours prompt au débat et aux échanges virils du temps présent !
En ce lieu mémoriel de la cité où l’histoire perpétue ses agréments et désagréments et enchante le visiteur en recherche d’authenticité. D’aucuns osent dire de l’âme de Bayoune !
D’autres encore, le coeur ajouté de la ville aux monuments anciens par l’humain et la convivencia, terme venu d’outre-Pyrénées pour souligner que Bayonne est bien la première ville d’Espagne, de Navarre - d’Euskadi et des apports du sud de l’Europe sur le vieux continent.