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Cinéma
Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème partie) : consécration et déception (II)
Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème partie) : consécration et déception (II)

| Jean-Louis Requena 1369 mots

Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème partie) : consécration et déception (II)

Maturité, succès et déception

Jean-Pierre Melville est un ancien combattant F.F.L (Forces Françaises Libres). Il est resté fidèle au Général de Gaulle (1890/1970) y compris depuis son retour à la tête de l’état en mai 1958. Durant son passage à Londres en 1943, il a lu le roman de Joseph Kessel « L’Armée des ombres » fraîchement publié à Alger. Depuis des années il garde ce projet en tête qui lui parait difficile à réaliser car demandant, outre un savoir-faire cinématographique qu’il a acquis, de gros moyens financiers. Robert Dorfmann (1912/1999) prestigieux producteur de la place de Paris accepte de produire L’Armée des ombres (1969) sur la base du scénario du réalisateur. La photographie, peu contrastée, très sombre, exigée par le metteur en scène est de Pierre Lhomme (1930/2019) qui travaillera excédé sur ce film, le réalisateur se montrant sans cesse vétilleux sur la lumière.

En 1942, en France occupée, Philippe Gerbier (Lino Ventura) ingénieur, est arrêté par la police de Vichy : il est soupçonné de « pensées gaulliste ». Interné, il réussit à s’évader et s’enfuit à Marseille où il rejoint son groupe de résistants : Felix Lepercq (Paul Crauchet), Guillaume Vermesch dit « Le Bison » (Christian Barbier) et le Claude Ullman dit le « Masque (Claude Mann). Ils doivent exécuter un « mouchard » …

L’histoire basée sur des faits réels, ici « compactés » dans le temps, se déroule à un rythme lent, tendu, ou la violence (exécutions, torture) est peu visible à l’écran, mais présente, prête à surgir pour s’exercer au grand jour. Jean-Pierre Melville maintient une tension tout au long du récit qui suivant sa pente psychologique naturelle se répercutera sur le plateau de tournage. Le réalisateur et son acteur principal sont fâchés : ils ne s’adressent plus la parole ! C’est le premier assistant Jean-François Adam (1938/1980) qui donne les indications de jeu à Lino Ventura (1919/1987) qui répondra par le même circuit refusant tout dialogue direct avec Jean-Pierre Melville.

L’Armée des ombres (139’) sorti en septembre 1969 n’est pas en phase avec la société française d’alors. L’année 1968 a été mouvementée, de surcroît l’on constate un effondrement de la fréquentions des salles obscures (183 millions en 1969 pour 354 millions … en 1960 !). Le Général de Gaulle, Président fondateur de la Vème République a démissionné en avril 1969. Georges Pompidou (1911/1974) son ancien Premier Ministre, lui succède au sommet de l’état … Le film est qualifié de « gaulliste » par les critiques, qualificatif en partie erroné mais qui vraisemblablement érode la fréquentation en salles : 1,5 millions d’entrées.

Jean-Pierre Melville assez satisfait de ses relations professionnelles avec son dernier producteur, Robert Dorfmann, lui propose un scénario pas très original rédigé par ses soins : Le Cercle Rouge (140’). Après cinq ans d’emprisonnement Corey (Alain Delon) est libéré. On lui propose une affaire … Pendant ce temps un malfrat du nom de Vogel (Gian Maria Volonte) est escorté dans un train par le commissaire François Mattei (André Bourvil). Il s’échappe et finit par hasard à rencontrer Corey… Ils décident de monter un gros coup : le casse d’une bijouterie Place Vendôme à Paris.

Le tournage est rapide aux Studios Jenner. Yves Montant (Jansen) qui interprète un ancien inspecteur tireur d’élite, devenu alcoolique, est de la partie… Mais aussi l’italien Gian Maria Volonte encore peu connu en France malgré une filmographie importante en Italie. L’acteur est imposé pour cause de coproduction franco-italienne. Jean-Pierre Melville furieux de ce fait imposé, concentre son agressivité sur l’acteur italien qui ne parle pas français (doublé par Jean Negroni). Pour la quatrième fois le réalisateur a engagé Henri Decaë qu’il houspille car il s’est selon ses dires « embourgeoisé » !

Le Cercle rouge sorti en octobre 1970 est salué unanimement par la critique qui admire ce treizième opus avec une séquence (le casse de la bijouterie) de 25 minutes sans aucun dialogue et André Bourvil (1917/1970) crédible, dont c’est le dernier film, à contre-emploi (commissaire divisionnaire). C’est le plus grand succès de Jean-Pierre Melville : 4,3 millions d’entrées ! Jean-Pierre Melville est devenu la star des metteurs en scène. Il abandonné les grandes voitures américaines et s’achète une Rolls-Royce Silver Shadow. A 53 ans, il est sur le toit du monde !

C’est un réalisateur sûr de lui qui rapidement écrit un scénario genre policier : Un flic (1972). Jean-Pierre Melville voit grand. Avec le même producteur Robert Dorfman et une participation italienne il reprend Alain Delon mais se sépare de toute l’équipe technique du Cercle Rouge qui selon lui a été nonchalante durant le précédent film. Exit Henri Decaë son chef opérateur attiré. Il veut faire un long métrage de classe international d’où l’engagement de l’acteur américain Richard Crenna (1926/2003).

Simon (Richard Crenna), Louis (Michel Conrad, doublé par Jean Davy), Marc (André Pousse) et Paul (Riccardo Cucciolla) forment un gang soudé qui montent des coups très préparés. Cathy (Catherine Deneuve) est la maîtresse de Simon. Le commissaire Édouard Coleman (Alain Delon) a une amitié vénéneuse avec Simon. Il est également l’amant de Cathy. Simon et sa bande préparent un nouveau coup audacieux : L’agression d’un passeur professionnel de drogue dans le train Paris-Lisbonne… Une grande partie du tournage a lieu aux Studios Jenner où le réalisateur omniscient, quelque peu atrabilaire, « bricole » des effets spéciaux (l’attaque du train par l’hélicoptère) dignes de ceux de Georges Méliès (1961/1938) avec des modèles réduits et des transparences...

Un flic sort sur les écrans en octobre 1972. C’est son treizième opus, le dernier. Les critiques sont désastreuses se gaussant de l’indigence du scénario, du jeu stéréotypé des acteurs, des effets spéciaux d’un amateurisme hors sujet. Malgré une combinaison de salles importantes Un flic ne totalisera que 1,4 millions d’entrées ce qui ramène le réalisateur à ses anciens scores. Jean-Pierre Melville a 55 ans.

Malgré son relatif échec au box-office, Jean-Pierre Melville est courtisé par des producteurs de la place de Paris. Le 1er aout 1973 Paris est désert. Le réalisateur dîne avec des amis. La conversation s’arrête sur une discussion autour du « film noir » mythique Le Grand Sommeil (1946) d’Howard Hawks. Jean Pierre Melville s’écroule terrassé par une attaque cardiaque. Il avait 56 ans.

Jean-Pierre Melville : l’outsider épicurien

Jean-Pierre Melville est un cinéaste à part dans la longue histoire du cinéma français. Il est un « pont » entre celui d’avant-guerre (1930/1945) et la « Nouvelle Vague » (1960/1970). C’est avant tout un autodidacte qui a appris son métier en visionnant des centaines de films dans les salles obscures de quartier. Homme de méthodes et de listes, il en avait bâti une qui comprenait 63 réalisateurs américains qu’il considérait comme ses maîtres pour certains et tous comme modèle. Très vite, Il a cherché à être indépendant en achetant de vieux hangars branlants dont il a fait, à perte constante, les Studios Jenner. C’était un solitaire, un outsider, un anachorète vivant reclus, dans l’obscurité, mais aussi un bon vivant aimant s’amuser avec quelques amis capables d’endurer ses outrances. Du reste il est mort foudroyé dans un restaurant entouré de quelques commensaux.

Jean-Paul Melville s’était fabriqué un personnage voyant comme un écho amplifié de ses derniers longs métrages stylisés : Stetson sur la tête qui masquait sa calvitie, lunette noire qui obturait ses yeux bleu clair, trench-coat qui dissimulait son embonpoint. Il se montrait pour se cacher…

Un temps, reconnu comme le « Père de la Nouvelle Vague », il s’est empressé dès 1962, de renier « ses enfants » par trop dilettantes (selon ses dires).

Jean-Pierre Melville a toujours tenté de fabriquer un cinéma de qualité mais cependant accessible à tout public. Il se considérait comme « un entrepreneur de spectacles ». Le « style melvillien » a fait beaucoup d’émules de par le monde car c’est une écriture cinématographique aux cadres nets, aux images simples, économes, d’une grande sobriété, à la rencontre de peu de mots. Ainsi, la perception de l’ensemble (image et son) est instantanément compréhensible.

P.S : Tous les films de Jean-Pierre Melville sont édités en DVD ou Blu ray à l’unité. Pour le centenaire de sa naissance (2017) Studiocanal a édité un magnifique coffret de toutes ses œuvres avec un livret et des heures de bonus.

Pour les lecteurs qui s’intéressent à ce personnage fascinant, deux biographies assez courtes (l’ouvrage de référence reste à écrire) : 
Jean-Pierre Melville, une vie (2017) d’Antoine de Baecque (Éditions Le Seuil).
Jean-Pierre Melville, le solitaire (2017) de Bertrand Tessier (Éditions Fayard).L

Jean-Louis Requena

Légende : Jean-Pierre Melville sur le tournage du « Cercle Rouge », 1970

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