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Cinéma
Je verrai toujours vos visages (118’) - Film français de Jeanne Herry
Je verrai toujours vos visages (118’) - Film français de Jeanne Herry

| Jean-Louis Requena 753 mots

Je verrai toujours vos visages (118’) - Film français de Jeanne Herry

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"Je verrai toujours vos visages" ©
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Des groupes de travail simulent des échanges tendus entre victimes et agresseurs sous la conduite, implacable, de Paul (Denis Podalydès), leur professeur. A plusieurs reprises il interrompt brusquement ses élèves pour souligner, avec force, le maître mot de l’exercice : l’écoute. En effet, il s’agit de comprendre l’autre et non le juger : la justice a déjà été rendue, il a été condamné, il purge la peine. 
Paul travaille sur un concept nouveau en France (depuis 2014) : la « justice restaurative ». Des mesures de « justice restaurative » sont proposées à des victimes d’agressions (vols, viols, etc.) ainsi qu’aux auteurs d’infractions diverses, mais non mortelles, afin qu’ils dialoguent dans le cadre de dispositifs sécurisés. Ces derniers sont de deux types : soit une confrontation directe, longuement préparée en amont par un médiateur professionnel ; soit un cercle de discussion entre délinquants et victimes sous le regard bienveillant de deux bénévoles d’une association. 

Au terme du stage, les élèves (professionnels, bénévoles) partent sur le terrain …

Chloé Delarme (Adèle Exarchopoulos) est une jeune femme qui a été violée par son frère entre 7 ans et 15 ans. Elle est furieuse, angoissée, depuis qu’elle a appris que ce dernier allait s’installer dans la même ville qu’elle après sa libération. 
En entretien, elle ne décolère pas face à sa médiatrice professionnelle Judith (Elodie Bouchez) qui lui propose, si elle le souhaite, une rencontre de réconciliation avec son frère. Dans un premier temps Chloé, horrifié refuse …

Fanny (Suliane Brahim) et Michel (Jean-Pierre Darroussin) sont deux visiteurs de prisons bénévoles au sein d’une association d’insertion des détenus. Ils initient un groupe de travail dans un établissement pénitentiaire ; c’est une première pour eux et pour les détenus volontaires qui vont y participer ; une salle commune leur est attribuée, aménagée avec dix chaises placées en rond autour d’une table basse sur laquelle est posé un « bâton de parole ». Le cercle de discussion est constitué de dix personnes : trois délinquants Nassim (Dali Benssalah), Thomas (Fred Testot) et Issa (Birane Ba) ; trois victimes Nawelle (Leïla Bekhti), Grégoire (Gilles Lellouche) et Sabine (Miou-Miou) et les deux animateurs Fanny, Michel auxquels viennent s’ajouter deux observateurs. 
Le jeu consiste à prendre la parole en s’emparant du bâton puis à s’interrompre dès que l’on le repose. Les échanges commencent d’abord hésitants puis plus denses … Ceux-ci doivent durer trois heures, à cadence régulière. C’est la règle tacite …

Des mois durant, Chloé Delarme refuse toute confrontation avec son violeur. Quant au le cercle de discussion, il progresse laborieusement … « la justice restaurative est un sport de combat » avait affirmé Paul lors du stage de formation.

Je verrai toujours vos visages est le troisième long métrage de la réalisatrice, comédienne (Conservatoire national supérieur d’art dramatique à Paris) et scénariste Jeanne Herry (44 ans, fille de Miou-Miou et Julien Clerc). Ses deux précédents films étaient : Elle l’adore (2014) récit de l’aveuglement d’une groupie face à un chanteur populaire ; Pupille (2018) qui met en scène plusieurs travailleurs sociaux confrontés à la détresse humaine. 
Ces trois œuvres, bien que différentes, ont un élément commun : les conduites complexes pour tisser des liens, les rompre, puis les transférer à d’autres personnes. C’est, pour l’instant, le « nœud gordien » de l’œuvre singulière de Judith Herry. 
Pour écrire son scénario, la réalisatrice a participé à de nombreux ateliers de formation en « justice restaurative » et même obtenu un diplôme validant celle-ci ! En tant que spectateurs, nous sommes subjugués par la justesse des propos, des situations : en solo (Cloé Delarme), ou en groupe de discussion (détenus, bénévoles, animateurs). Les dialogues ou monologues, longs, précis, élaborés par la réalisatrice et restitués par les comédiens à la virgule près, sonnent juste ; ce n’est pas un mince compliment. 
Malgré un sujet a priori peu cinématographique, aride (un groupe ou la parole circule d’une façon plus ou moins confuse, brouillée par l’émotion) est rendu clair sur l’écran par un savant découpage des scènes (tournage à trois caméras et minutieux montage). 
Tous les personnages (agresseurs, agressés) à divers moments se mettent à nu, dévoilent leur angoisse, leur crainte, leur espoir. La prise de parole difficile, véhémente, chaotique, de chacun, ouvre la porte à l’entendement de l’autre.

Avec Je verrai toujours vos visages, Judith Herry démontre la vitalité du cinéma français produit en 2022 par des femmes qui ne craignent pas d’aborder des sujets difficiles comme ceux de Revoir Paris d’Alice Winocour, Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, Un beau matin de Mia Hansen-Love, ou Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi. Une génération de réalisatrices, pour la plupart également scénaristes, nous proposent un autre regard sur l’art cinématographique.

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