Il avait vingt ans lorsqu'il découvrit le Pays Basque, par hasard, à l'occasion d'un trajet à bicyclette de Capbreton à Saint-Jean-de-Luz où il avait été invité : c'est le professeur Bartolomé Bennassar, son confrère académicien aux Jeux Floraux hélas également disparu, qui le relatait dans son "éloge" de Jacques Allières prononcé à la suite du décès de l'universitaire dont la carrière avait débuté comme... agrégé de grammaire au lycée de Bayonne en 1954 !
"Or, le Pays Basque, dont il ne savait rien, auquel ne le rattachait aucune tradition familiale, étranger à ses ascendants et à toute parentèle", lui sera une révélation, "une manière de coup de foudre" selon Bartolomé Bennassar qui précisait : "Jacques court les routes de l'intérieur, visite les villages de Labourd et de Soule, est intrigué par les toponymes, notamment ceux des maisons. Il achète un petit dictionnaire de basque pour élucider les significations mais aussi les sonorités insolites des mots de la langue basque dont son oreille, exercée aux variations musicales, discordances comprises, perçoit les étrangetés.
Dès 1960 et 1961, il est assez avancé dans les études basques pour risquer un petit "Atlas linguistique basque français", enrichi de plusieurs dizaines de cartes.
Et en 1977, parce qu'il a complété ses recherches linguistiques par l'étude de l'ethnographie et de l'histoire basques, il publie un Que-Sais-Je ?, "Les Basques"...
L'époque où il m'avait été donné de rencontrer au Pays Basque le professeur Jacques Allières, au retour de mes études parisiennes et de mon service militaire.
De Saint-Jean-de-Luz à Hokkaïdo...
Et en dehors de l'attrait du Pays Basque, c'est également un engouement précoce pour la musique qui nous réunissait, en particulier notre admiration pour Ravel : en 1999, lorsque "jeune quinqua", membre de la "Presse Musicale Internationale", j'étudiais sur "France Musique" et la radio "Suisse Romande" l'amitié de Ravel avec le musicologue Père Donostia, le professeur Allières, lui-même pianiste de qualité, écrivait un article sur le compositeur ziburutar pour le "Dictionnaire des Pyrénées"...
Et pour qui "flânait à travers la bibliothèque de Jacques Allières", de rayons en rayons, on ne pouvait être surpris d'y découvrir d'innombrables ouvrages de toutes sortes sur les Basques, leur langues, ainsi que la linguistique romane, les troubadours, mais également de multiples volumes et dictionnaires concernant d'autres langues, en particulier germaniques et slaves. Sa passion pour les études basques ne l'avait-elle pas même entraîné jusqu'à explorer Hokkaïdo, partie septentrionale de l'archipel japonais ? Peut-être en relation avec la visite à nos mardis de "Herria" - au tout début des années quatre-vingt - d'une équipe de l'institut ethnologique de Tokyo bardée de caméras que le chanoine Lafitte m'avait chargé d'accompagner chez notre grand ethnologue l'abbé Barandiaran, dans sa villa "Sara" à Ataun en Guipuzkoa... Il s'agissait, pour eux, de vérifier des relations anciennes qui auraient pu exister dans un passé lointain entre les Basques et les Aïnhous, population septentrionale de l'archipel nippon, décimée par les Japonais actuels, tout comme les Indiens d'Amérique le furent progressivement par les colons américains...
Un confrère à l'Académie des Jeux Floraux
Or, j'avais à peine été élu à l'Académie des Jeux Floraux en qualité de "Maître ès-Jeux" le 3 mai 2000 que disparaissait hélas Jacques Allières, le 31 août suivant...
Le magazine littéraire des éditions Atlantica m'avait alors demandé de rédiger cet article "In Memoriam" paru en septembre :
"Perte irréparable pour la linguistique tant basque que gasconne, le professeur Jacques Allières, mainteneur de l'Académie des Jeux Floraux, membre d'honneur de l'Euskaltzaindia (Académie de la langue basque) et de nombreuses autres sociétés savantes vient d'être ravi brusquement à l'affection des siens et à l'admiration de ses collègues et disciples. Comment ne pas se souvenir de ces "mardis" de l'hebdomadaire "Herria" dans un bistrot de Mouguerre où l'on voyait débarquer de temps à autre l'universitaire toulousain pour échanger avec le chanoine Lafitte de savantes comparaisons entre langues d'oc et euskara et, devant nous, médusés, faire progresser la connaissance d'un parler ancestral encore énigmatique. Ses ouvrages linguistiques concernant le basque, le gascon ou le français ne se comptent plus, depuis les petits "Que sais-je" aux P.U.F. jusqu'aux éditions moins profanes (y compris en allemand, que dominait parfaitement le professeur Allières) de lexiques, de dictionnaires et de traits concernant les langues basque et romanes. Et nous revoyons Jacques Allières, il y a quelques mois encore, à la faculté de Bayonne, repasser au crible toute la partie gasconne de l'immense thèse d'Hector Iglesias consacrée aux toponymes de l'agglomération B. A. B. qui vient d'être éditée chez Elkar. Mais son humeur enjouée, teintée d'humour gascon, contrastait avec l'austérité de ses travaux et des innombrables colloques internationaux auxquels il participait ; et, rapportant l'évolution des langues de l'Europe à la formation historique du continent quand, à Toulouse, il traversait un pont sur la Garonne, il ne manquait pas de rappeler à l'occasion que l'on passait de Gascogne en Languedoc"...
C'est l'éminent juriste Pierre Bouyssou, amoureux de la musique (de Bach) comme Jacques Allières, des Belles-Lettres et des vieilles pierres, lié au Pays Basque par son épouse, qui a été élu à sa suite au 38ème fauteuil de l'académie.