Philippe Oyhamburu avait fêté ses 102 ans, avec toujours cette éternelle flamme vive envers le Pays Basque, sa culture, sa langue, sa musique et ses danses !
Son départ est une énorme perte pour le Pays Basque et sa culture.
Et à la question du secret de son éternelle jeunesse, en dehors de ses bains quotidiens dans l'Océan ou à la piscine municipale de Biarritz (à l'eau de mer), Philippe Oyhamburu avait un jour répondu :
"Il faut vouloir vivre, j'entends par là non seulement exister, mais vivre, c'est-à-dire avoir envie de choses, des choses et, tout d'abord, savoir sortir de soi-même pour s'intéresser au monde, aux gens, essayer de les comprendre et d'apprendre, toujours apprendre... Pour rester jeune, il faut construire, toujours recommencer à construire, même si certains s'acharnent à détruire, autant par bêtise que par méchanceté, ce que vous avez construit. Et, je l'ai déjà dit, il faut se mettre à apprendre, et c'est encore une façon de rester vivant que de découvrir lucidement ce qu'on ne sait pas, ou que l'on ne sait pas assez bien... J'oublie aussi, dans ce catalogue des recettes, la soif de découvrir le monde et la diversité extraordinaire de ses cultures et de ses habitants... Je dirai pour terminer ces conseils de bonheur et de longévité qu'il faut savoir regarder en arrière, certes - et c'est également une grande richesse que d'avoir bien rempli son passé - mais qu'il faut aussi vivre le présent et regarder vers l'avenir et d'y avoir des projets, plein de projets".
Il y a deux ans avait eu lieu au Casino municipal de Biarritz et sur une initiative de Pantxoa Etchegoin qui l'avait remarquablement animée, une cérémonie d’hommage à Philippe Oyhamburu à la veille de ses 100 ans : l’adjointe déléguée à la Culture et à l’Euskara Anne Pinatel lui avait remis la médaille de la Ville en reconnaissance de son parcours au service du rayonnement de Biarritz et de la culture basque, et trois gaiteros d'Etorki avaient interprété des airs navarrais, en commençant par l'hymne des Cortes (parlement) de Navarre ; des chants et danses par un groupe venu de Soule que rythmait un ttun ttun ; un message enregistré de Maider Arosteguy, maire de Biarritz (dont le grand-père, Félix Arostéguy, lui était très lié) avaient ponctué les interventions en son honneur et Philippe Oyhamburu lui-même avait relaté avec beaucoup d'humour le cheminement de sa vie.
Il n'est pas inutile de rappeler encore cette extraordinaire trajectoire d'un véritable "gentilhomme de la Culture basque", une expression que j'avais utilisée voilà déjà bien des décennies et qui a fort opportunément été reprise par des collègues dans la presse...
Né d'un père biarrot depuis de nombreuses générations - à l'exemple de ses compatriotes, son aïeul Doyhamboure parlait aussi bien le gascon que le basque - connut-il "ce moment dans l'enfance où la porte s'ouvre et laisse entrer l'avenir" à Montevideo, en Uruguay, où son père représentait les "Chargeurs Réunis"?
Son baccalauréat en poche, à l'issue d'un séjour parisien, Philippe Oyhamburu suit son père qui revient prendre sa retraite à Biarritz en 1939.
Il y goûtera aux joies d'un mouvement culturel basque animé par Michel d'Arcangues (le frère aîné de Guy, perdu en mer en 1946), mais aussi par une somme considérable de tous les meilleurs talents réchappés du drame d'Euskadi en 1936/37, particulièrement le groupe Erresoinka, puis après sa disparition, celui d'Olaeta, qui sut propager de ce côté de la frontière, les "danses biscayennes du cycle guerrier, si typiquement euskariennes par leur mélange de force et d'élégance".
Elles servaient en quelque sorte "d'exutoire aux jeunes des cités côtières débasquisées qui voulaient exprimer leur basquitude par tous les pores de la peau".
Les années saltimbanques
Pour échapper aux réquisitions de l'organisation Todt, qui construisait le Mur de l'Atlantique, Philippe Oyhamburu regagne Paris où il mènera la difficile existence d'un clandestin, objet d’un de ses livres – un recueil de mémoires, - retrouvailles et instauration d'un dialogue - en de véritables "arrêts sur image" - avec le journal qu'il tenait en ces temps troubles.
A la Libération, après un intermède dans les boues dacqoises - pour soigner des rhumatismes contractés pendant la guerre - il décide d'apprendre le basque en séjournant dans des fermes, à Larressore, Espelette et aux Aldudes. Ce seront ensuite "Les Années Saltimbanques", qui le mèneront "de Biarritz à Tbilissi, en passant par Bogota", à la tête des groupes Olaeta, Oldarra, Etorki, et des "Choeurs Oyhamburu de Biarritz".
Car Philippe Oyhamburu avait débuté sa carrière artistique – danses et musique basques - en 1942 avec Segundo de Olaeta, maître de danse biscayen, chorégraphe et musicien, alors réfugié à Biarritz. D’abord accordéoniste, danseur puis metteur en scène du groupe Olaeta qui deviendra Oldarra en 1945, il enseignera la danse aux étudiants basques de Paris de 1943 à 1944 avant d’être directeur artistique et chef des chœurs des ballets basques de Biarritz Oldarra de 1945 à 1953.
« Poupou » Oyhamburu poursuivra ainsi sa carrière à la tête des ballets et chœurs Etorki qu’il avait fondés en 1954. Dès ses débuts, au théâtre des Champs-Élysées, Etorki recueillera les éloges de la presse parisienne, puis internationale.
Sans oublier son emploi de physionomiste, au Casino de Biarritz, au début des années cinquante, ni son passage à la radio. Car, lors d'une période difficile que traversaient les ballets Etorki - il y en eut quelques-uns - un tir croisé de pressions amicales avait décidé le remarquable homme de média et grand précurseur en la matière, Pierre Schaeffer, à engager l'artiste basque, d'abord dans les bureaux de la Radio de la France d'Outre-Mer, puis en tant qu'animateur de programmes. D'ailleurs P. Oyhamburu restera toujours attaché à la radio, à France-Culture, puis à Radio-Adour-Navarre, dont les cassettes enregistrées pour ses reportages dans différents villages servirent longtemps de référence aux élèves de ses cours de langue basque !
Un regard serein, mais critique
Du choc des idées rencontrées, des artistes et des créateurs, dont ceux impliqués dans la culture basque et qu'il avait regroupés au sein de la fédération "Izan", de sa riche expérience artistique, jusqu'aux divers publics côtoyés pendant les nombreuses tournées au Pays Basque et dans le monde, je me souviens de plusieurs entretiens avec Philippe Oyhamburu qui a toujours gardé une vue sereine mais critique sur l'évolution de la "plante basque".
A l'amélioration incontestable de la qualité d'un chant choral apprécié d'un public, lui aussi "entendu", ne correspondait pas, à son opinion, un progrès similaire dans le domaine de la danse : les chorégraphes utilisent souvent des pas empruntés à des traditions étrangères - yougoslave, géorgienne, etc. - sans qu'un public, davantage expert en danse classique que folklorique, ne sache distinguer la véritable authenticité, à laquelle ne nuit pas d'ailleurs une certaine "théâtralité", souvent négligée.
"Ah, si seulement le gouvernement basque pouvait consacrer, ne fut-ce qu'une partie des sommes importante engouffrées dans l'Orchestre Symphonique d'Euskadi, à la création d'une compagnie d'Etat, à l'image des ballets mexicains, philippins ou ukrainiens...", soupirait alors Philippe Oyamburu, reprenant l'exemple d'Eresoinka, formé en 1937 par les autorités d'Euzkadi, déjà en exil !