La disparition récente du professeur Jean de Viguerie constitue une grande perte pour le monde universitaire, particulièrement les historiens, ainsi que pour l’Académie des Jeux Floraux où il occupait le 26ème fauteuil depuis 2001, élu l’année qui a suivi ma propre entrée comme Maître ès-jeux dans ce plus ancien cénacle littéraire d’Europe.
Professeur émérite à l’Université de Lille. Agrégé d’Histoire, Docteur ès Lettres. Président de la Société Française d’Histoire des idées et d’histoire religieuse. Auteur de plusieurs ouvrages d’histoire religieuse, d’histoire de l’éducation et d’histoire du Siècle des Lumières, lauréat de l’Académie Française (Prix Marcellin Guérin, 1974), Prix Renaissance (1987) et Prix Hugues Capet 2003 pour son ouvrage « Louis XVI, le roi bienfaisant ». Dernier ouvrage paru : Le sacrifice du soir. Vie et mort de Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI (1764-1794). Éd. du Cerf, 2010.
Il y a une quinzaine d’années, « La Nouvelle Revue d’Histoire » avait publié un entretien de Pauline Lecomte avec le professeur de Viguerie, dressant le portrait intellectuel d’un homme de conviction qui avait écrit : « Le passé n’est pas accessible à tous les historiens. Seuls quelques-uns y parviennent (...) Pour être un véritable historien, il faut croire à l’existence du passé, il faut être attiré par lui. « Il faut, ai-je écrit quelque part, ce don inné qui rend l’âme sensible à l’attrait du passé ». Il faut passer de l’autre côté du miroir et, cela est tristement vrai, tous n’y parviennent pas. Comment y parvenir ? Il n’y a pas de recette. Cela dépend du don, mais aussi d’une grande attention au détail. Souvent une minuscule anecdote glanée dans un récit, nous en dira cent fois plus que mille actes notariés. Ne récusons a priori aucun document. Le moindre témoignage livre le passé.
Il est difficile d’exceller dans notre discipline. Les grands historiens ont toujours su allier l’intuition du poète à la rigueur du savant. « Où les historiens s’arrêtent, ne sachant plus rien, écrit Barbey d’Aurevilly, les poètes apparaissent et devinent ».
Quant au problème d’une certaine « soumission » aux dogmes dominants, sans laquelle il n’était pas possible de faire carrière dans l’Université, le professeur de Viguerie ne manquait pas d’évoquer certains de ses « déboires d’historien, un historien qui n’est pas marxiste, et qui n’a jamais été non plus soumis aux dogmes du structuralisme et du sociologisme dominants. J’en conviens, faire carrière est difficile pour de tels historiens. Les avancements exceptionnels et les postes prestigieux de professeurs dans les grandes universités parisiennes ne sont pas faits pour eux. L’Institut et le Collège de France leur sont fermés.
Plus grave, on fait le silence sur leurs travaux. On ne les cite jamais. Je connais un historien dont les ouvrages et les articles ont même disparu de la bibliographie annuelle de sa discipline. En somme, cet historien n’existe plus. De tels procédés rappellent fâcheusement ceux des régimes totalitaires, mais comme on n’en parle jamais, nul ne s’en émeut ».
Par ailleurs, concernant la crise actuelle de l’enseignement, le professeur de Viguerie estimait que, datant d’il y a une quarantaine d’années, elle n’avait pas de précédent : « Aussi haut que l’on remonte dans le temps, on ne trouve rien de semblable. Depuis les origines de l’Histoire, on n’avait jamais vu pareille subversion des méthodes, pareil défi au bon sens, pareil mépris de l’intelligence. C’est la première fois que l’on dévalue à ce point la mémoire, le « par cœur » et l’exercice de la raison ; la première fois que l’on sépare ainsi la jeunesse de l’histoire et de la littérature de son pays, et que l’on prétend faire passer « l’épanouissement de l’enfant » et sa libre expression avant l’acquisition du savoir et la formation de l’intelligence. On avait vu des époques avec peu d’écoles et un grand nombre d’analphabètes. Mais, au moins, le petit nombre qui s’instruisait, observait les règles élémentaires et de tous temps respectées, de l’apprentissage des connaissances. La véritable instruction subsistait, même si elle n’était dispensée qu’à très peu d’enfants. Aujourd’hui les écoles sont innombrables, mais les enfants qu’elles prétendent former, n’acquièrent jamais, sauf exception, ce savoir de base qui permet à l’homme de garder sa dignité en cultivant sa mémoire et en exerçant sa raison ».
Des propos à méditer dans la crise sociale et politique actuelle…