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Il y a 50 ans : le Chili entre Allende et "cacerolazos"
Il y a 50 ans : le Chili entre Allende et "cacerolazos"

| Alexandre de La Cerda 1783 mots

Il y a 50 ans : le Chili entre Allende et "cacerolazos"

« La pensée binaire ou pensée dogmatique est une façon de lire le monde en terme de bien ou de mal, vrai/faux, coupable/innocent »...
Une démarche intellectuelle qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la majorité des analyses concernant les événements qui avaient affecté le Chili il y a 50 ans.
Or, même si certaines « ficelles » étaient tirées par la CIA depuis Washington, les choses n’étaient pas aussi simples, et il est certain que les « cacerolazos » ou concerts de casseroles – parce qu’elles étaient vides - orchestrés essentiellement par les « ménagères » de toutes conditions avaient pour but de protester contre le gouvernement socialiste de Salvador Allende à cause de la situation économique difficile, de l'inflation et des pénuries de biens essentiels.
Il convient donc de remonter le cours des événements afin de comprendre leur enchaînement... 

- 4 septembre 1970 : élection présidentielle, après une campagne électorale marquée par des grèves et une radicalisation politique. Salvador Allende Gossens, membre du Parti socialiste chilien, candidat de la Unidad Popular (Unité populaire, UP), obtient 36,3% des voix, contre les candidats du Partido nacional (droite) et du Partido Demócrata Cristiano (Démocratie chrétienne, PDC). L'UP est une coalition électorale créée en déc. 1969 par les partis de gauche suivants : Partido Radical, Partido Socialista, Partido Comunista, Movimiento de Acción Popular Unitario (MAPU), Partido de Izquierda Radical, Acción Popular Independiente. Izquierda Cristiana (La gauche chrétienne) rejoint l'UP en 1970.
- 5 sept.-24 oct. : longue période de troubles ; le commandant des forces armées chiliennes, le général René Schneider, est assassiné alors qu'il venaitt d'affirmer la neutralité politique de l'armée. Conformément à la Constitution, le Congreso Nacional (parlement) doit, en cas d'absence de majorité absolue, choisir entre les 2 candidats les mieux placés. Le 24 oct., il proclame S. Allende Président du Chili.
- 4 novembre : S. Allende est investi président et forme un gouvernement connu sous le nom de gouvernement de l'Unité populaire, qui se donne pour mission d'acheminer le pays vers un socialisme style "Cuba", pays avec lequel les relations diplomatiques sont rétablies (12 nov)
- décembre 1970 : premières expropriations de propriétaires terriens et amnistie pour des membres emprisonnés du Movimiento de Izquierda Revolucionaria (Mouvement de la gauche révolutionnaire, MIR).
- 8 juin 1971 : Edmundo Pérez Zujovic, ancien vice-président et ministre démocrate-chrétien, est assassiné par un groupe d'extrême gauche, Vanguardia Organizada del Pueblo.
- 11 juillet : législation sur la nationalisation des mines de cuivre, des principales ressources naturelles du pays et de plusieurs banques.
- 10 novembre - 4 décembre : visite officielle au Chili du dirigeant cubain Fidel Castro, vivement critiquée par les partis centristes et conservateurs. Les politiques menées par l'UP se heurtent rapidement à l'opposition de la droite à laquelle se joignent progressivement les couches moyennes. 

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Ollas vacias ©
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- 1er décembre 1971 : première manifestation des "casseroles vides" (cacerolazo) dans le centre de Santiago : des femmes appartenant à l'opposition protestent contre la pénurie alimentaire et la présence de Fidel Castro dans le pays. La manifestation est sévèrement réprimée et l'état d'urgence est décrété dans la capitale.
- 4 avril : résolution de la Direction de l'industrie et du commerce, portant création de comités populaires de contrôle du ravitaillement et des prix.
- 11 avr. : une grande manifestation organisée par la droite à Santiago réunit 200.000 personnes.
- 6 juin et 21 août : grèves générales des commerçants
- 1971-1973 : le déclin progressif de l'économie engendre des grèves à répétition et une opposition croissante au programme socialiste du gouvernement Allende. L'inflation grimpe de 22% à 600 %. Les pénuries de nourriture et de biens de consommation s'aggravent.
- 10 octobre : grève générale et illimitée lancée par la Confédération nationale des transports, soutenue par le PDC.
- 3 novembre : remaniement du gouvernement, dans lequel entrent plusieurs militaires. Le général Carlos Prats, commandant en chef des forces armées, devient ministre de l'Intérieur.
- 4 mars 1973 : élections législatives : l'opposition, regroupée dans l'alliance électorale Confederación de la Democracia, remporte la majorité des sièges au parlement.

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Manifestation contre le gouvernement Allende ©
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- mai-juin : grève des mineurs de la mine El Teniente.
- 27 juin : proclamation de l'Etat d'urgence, en raison du climat de violence dans le pays.
- 29 juin : Tanquetazo, tentative de coup d'Etat : soulèvement d'un régiment de blindés, qui fait le siège du palais présidentiel de la Moneda. La révolte est réprimée par le général Prats et les forces armées légalistes.
- 27 juil. : assassinat, par Patria y Libertad, du chef de la maison militaire de S. Allende, le capitaine Arturo Araya. Le même jour, lancement d'une nouvelle grève des camionneurs.
- 22 août : la Chambre des députés vote une motion de censure contre le gouvernement pour sa gestion de la grève des camionneurs.
- 23 août : après les grèves, le général Prats doit démissionner de ses postes de ministre de l'Intérieur et de Commandant en chef des forces armées. Il est remplacé par le général Augusto Pinochet Ugarte (aux origines maternelles basques, comme son nom l’indique).
- 4-5 sept. : série de manifestations dans les rues de Santiago en opposition au gouvernement de l'UP. 
- 11 septembre 1973 : coup d'Etat militaire ; aux premières heures du jour, la Marine investit la ville de Valparaiso. Le général Pinochet, chef des armées, lance l'assaut à Santiago. Le palais présidentiel de la Moneda est assiégé, puis bombardé. Le président Allende refuse de négocier avec les militaires et meurt durant l'assaut dans l'enceinte du palais (*).

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Ultimes protestations contre le régime Allende 6 sept. 1973 ©
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Une junte militaire, dirigée par les chefs des 4 corps d'armées, prend le pouvoir et proclame la déchéance du gouvernement.
- 13 sept. : le général Pinochet est nommé président de la junte.
- 23 sept. : l’écrivain Pablo Neruda meurt à Santiago.
- 4 janv. 78 : référendum organisé par le général Pinochet pour légitimer le régime : le vote est obligatoire, 75% des votants expriment leur soutien au pouvoir.
- 11 sept. 80 : référendum pour une nouvelle Constitution approuvée par 67% des votants.
- 11 mars 81 : la nouvelle Constitution entre en vigueur. A. Pinochet prête serment comme nouveau président.
- 5 oct. 88 : référendum national, conformément à la Constitution de 1980, sur la candidature du général Pinochet à la présidence. L'opposition l'emporte avec 54,6% des suffrages
- 14 déc. 89 : élections présidentielle et législatives, le candidat de l'opposition Patricio Aylwin remporte l'élection avec 55,2% des suffrages.

A noter que le 11 septembre 2019 (il y a quatre ans), plusieurs médias chiliens importants publient un encart rappelant : "Le 11/09/1973, le Chili a été sauvé de ce qu'est le Venezuela aujourd'hui (...) Allende utilisa la violence et l'illégalité pour imposer une dictature marxiste-léniniste" (titre en pleine page publié par le quotidien "El Mercurio")…

Et encore cinquante ans après le coup d’État qui en avait fini avec le régime d’Allende et plus de trente ans après le retour de la "démocratie", plus d’un tiers des Chiliens considèrent que le général Pinochet « avait libéré le Chili du marxisme », selon un sondage.

Cette mémoire contrastée peut s’expliquer par le fait que « beaucoup de gens qui ont bénéficié du libéralisme économique en savent gré à Pinochet », explique Cécile Faliès, maître de conférence en géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ce modèle économique fut mis en place en 1975 avec l’arrivée au Chili des économistes américains de l’école de Chicago, un courant de pensée qui préconisait une intervention étatique se limitant à aider les entreprises et les acteurs privés à atteindre leurs objectifs.

L’économie se basait alors sur l’exportation des richesses naturelles du pays, en particulier des ressources minières et l’agriculture.

Et le souci des Chiliens pour les questions économiques s’est vérifié récemment avec le rejet du projet "socialisant" de nouvelle constitution qui devait remplacer la loi fondamentale héritée de l'époque du général Pinochet. 

Pour preuve, c'est dans le Nord et le Sud du pays - moins riches et moins "bourgeois" - que le rejet de ce projet de nouvelle constitution "socialisante" a été le plus fort, le risque de voir des entreprises fermer ou devoir réduire leurs activités ayant poussé leurs employés à privilégier leur emploi par rapport à l’instauration de ces réformes, la mémoire des pénuries engendrées à l'époque d'Allende demeurant encore vive.

(*) Malgré les accusations versées contre les militaires chiliens qui auraient assassiné Allende lorsqu’ils avaient pris d’assaut le palais présidentiel, on apprenait en 2011 que l’autopsie qui venait d’être réalisée confirmait ce que les militaires avaient dit : Allende s’est suicidé en se tirant une balle sous le menton.
En septembre 2012, une cour d’appel validera ce rapport : désormais nul ne pourra plus contester qu’Allende était mort en se suicidant avec la kalachnikov que lui avait offerte Fidel Castro, comme on le savait depuis le début, et comme l’avaient dit ses proches...

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Les parents du général Augusto Pinochet et Avelina Ugarte (1914) ©
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Quant à Allende, un article du "Sunday Times" publié en septembre 2005 révélait que les goûts de luxe parfois extravagants du "compañero presidente" étaient nourris et financés par le KGB soviétique : les sources provenaient du livre "The Mitrokhin Archive II: The KGB in the World" (Vasili Mitrokhin, responsable des Archives du KGB, fut exfiltré en Angleterre en 1992) dont le Times avait publié des bonnes pages. 
Les contacts soviétiques réguliers avec Allende après son élection n’étaient pas maintenus par l’ambassadeur soviétique mais par son agent traitant du KGB, Svyatoslav Kuznetsov, qui prenait ses rendez-vous réguliers avec le président socialiste chilien par le biais de sa secrétaire personnelle (et maîtresse favorite), Miria Contreras Bell, connue sous le surnom de La Payita, et "Marta" pour le KGB. (…)
En octobre 1971, sur instruction du Politburo, Allende reçut 30.000 $ pour "renforcer les relations de confiance" avec lui. Allende mentionna aussi à Kuznetsov son désir d’acquérir "une ou deux icônes" pour sa collection d’art privée. Deux icônes lui furent offertes en cadeau.
Le 7 décembre, dans un mémorandum au Politburo, le KGB proposa de donner à Allende 60.000 dollars supplémentaires pour ce qui était appelé "son travail avec les dirigeants de partis politiques, les chefs militaires et les membres du parlement" - c’est-à-dire les fonds pour les corrompre...

Et comme son nom l'indique, Allende avait également des origines basques. Son grand-père, Ramón Allende Padín, (né le 19 mars 1845 à Valparaíso et mort le 14 octobre 1884 à Santiago) était médecin mais aussi député et sénateur du Parti radical qui avait fait sa carrière sous le pseudonyme de « El Rojo » dans la franc-maçonnerie. Il revint en 1864 dans sa ville natale de Valparaíso où il fonda la première école contrôlée par la franc-maçonnerie au Chili, la Blas Cuevas.
Devenu grand-maître de la grande Loge du Chili, il ne put remplir cette fonction que quelques mois car il mourut du diabète la même année.

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