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Rétrospective
Il y a 20 ans, Jean Haritschelhar donnait une série de conférences en euskara sur un demi-siècle qui avait révolutionné le monde basque
Il y a 20 ans, Jean Haritschelhar donnait une série de conférences en euskara sur un demi-siècle qui avait révolutionné le monde basque

| Alexandre de La Cerda 1332 mots

Il y a 20 ans, Jean Haritschelhar donnait une série de conférences en euskara sur un demi-siècle qui avait révolutionné le monde basque

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Château d'Ilbarritz, juin 1985 : pt-fils de douanier, J. Haritschelhar s'entretient avec le directeur des Douanes à Bayonne (à gauche sur la photo) ©
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Janvier 2002 : avec l‘idée de recueillir les témoignages de personnalités marquantes du monde basque sur leur vie et leur environnement, l’Institut Culturel Basque avait choisi comme « invité d’honneur de l’année 2002 » le professeur Jean Haritschelhar. Le président de l’Académie de la langue basque Euskaltzaindia devait évoquer sa riche trajectoire au cours de trois entretiens avec Teresa Lekumberri et Pantxika Maitia, respectivement responsables des services Ethnologie-Patrimoine et Langue basque de l’institut. Le premier, intitulé « ene bizia Baigorrin » (ma vie à Baïgorri) s'était déroulé symboliquement dans cette vallée qui l’avait vu naître et traverser son enfance, à la mairie qu’il occupa pendant une décennie. 

Singulière destinée que celle de ce fils d’artisan ayant embrassé la carrière universitaire et à l'époque reçu régulièrement par les souverains espagnols qui avaient dès l’origine accordé leur patronage à l’Académie royale de la langue basque dont il était le président !

« Mon nom est originaire de Soule », précisait Jean Haritschelhar, « mais ma famille vint d’Esterençuby pour s’installer dans la vallée en 1887, à Urdos, où ma grand-mère fut institutrice jusqu’en 1925 ; elle souhaitait me voir continuer dans la même voie, de préférence au métier de mes parents, tailleurs d’habit, ou à ceux de mes grands-pères » (douanier ou maquignon pour la branche maternelle – les Duhalde de Louhossoa -). 

Voilà donc notre jeune Baïgorriar promis à une Ecole Normale dont la suppression momentanée pendant la guerre l’obligea à obliquer vers les lycées de Bayonne et de Mont-de-Marsan en attendant de la rejoindre à Saint-Cloud puis Toulouse… Jeune agrégé d’espagnol, il est d’abord nommé au lycée d’Agen avant d’être détaché au CNRS et de commencer sa thèse de doctorat basque consacrée au poète-koblakari Pierre Topet « Etchahun » de Barcus – travail d’une douzaine d’années qui le familiarise avec le dialecte souletin -. 

Entrepreneur tous azimuts de la culture basque

Période clef de la vie d’un jeune basque saisi d’un appétit d’entreprendre partout où il passe : à l’origine d’une équipe de recherche dont la succession sera assurée par le professeur Orpustan, puis par Benat Oyharzabal, il forma à la fac de Bordeaux des générations d’universitaires basques (Charles Videgain, Manex Goyeneche, Aurelia Arkotxa, etc.), décupla la bibliothèque, recréa le bulletin et transforma de nombreuses salles du Musée Basque lorsqu’il en assuma la direction, édita des ouvrages pédagogiques comme président d’Ikas ; maire de Baïgorri, il fut à l’origine du SIVOM en 1974 et réalisa des travaux importants (complexe Rugby-trinquet-piscine-CES) ; joueur de rebot, il créa le magazine « Pilota » au moment de son passage à la Fédération de la pelote. 
Dans la presse, Haritschelhar donna une impulsion à la revue « Gure Herria » et participa à l ‘hebdomadaire « Herria ». Enfin, il se donna entièrement aux considérables études d’Euskaltzaindia, en particulier la publication d’une grammaire en cinq tomes, d’un dictionnaire général dont le treizième volume venait précisément de voir le jour en ce début d'année 2020 et la « classe linguistique basque », soit une enquête de 2800 questions en 145 points du territoire bascophone qui aboutiront à l’édition de près de 2000 véritables cartes dialectales. En gardant un œil attendri sur son œuvre de jeunesse, point de départ d’une passion pour la littérature basque : « Etchahun, ce poète romantique sans le savoir qui crie sa douleur, son mal-être par rapport à son entourage… »

Le 1er septembre 2013, Jean Haritschelhar s’était éteint à l’âge de 90 ans. Un choc pour les lecteurs de son « billet » hebdomadaire dans « Herria » qu’il signait « Gehexan Pontto » et tous les bascophiles qui l’avaient encore côtoyé au printemps à Sare lorsque, fort judicieusement, le 30ème Biltzar des écrivains avait rendu hommage à ce remarquable serviteur de la langue et de la littérature basque, présent parmi les premiers participants à Pâques 1984. Ses amis pilotaris avaient encore eu la joie de vivre avec lui la finale de rebot et le repas qui suivait, le 11 août 2013, sous un soleil de plomb à Hasparren.

Pour ma part, je garderai toujours le souvenir de ce sourire au coin des lèvres dont on ne savait trop s’il était marqué du sceau de l’ironie, de la bonhomie ou de l’affabilité ; peut-être, un mélange des trois ? C’est ce qui semblait ressortir du feu de la discussion qui nous occupait lors de ces déjeuners des mardis de l’hebdomadaire « Herria », pris sur une très commune toile cirée dans une humble auberge du bas Mouguerre, à la fin des années soixante-dix (j’en ai donné le récit dans les Actes de l’Académie de la Langue Basque de 2001).

C’est à cette époque que j’eus le loisir de côtoyer Jean Haritschelhar en compagnie de Pierre Lafitte, d’Etienne Salaberry - cette extraordinaire brochette de chanoines savants qui ont animé la vie intellectuelle du Pays Basque et transmis le flambeau de la culture aux jeunes générations – et de quelques autres personnalités (parmi lesquelles, l’abbé Emile Larre) dont le savoir et l’intelligence ne le disputaient qu’au caractère humain bien trempé. Je venais de fonder Radio Adour Navarre grâce aux heures d’émission dont me faisait bénéficier sur Radio Popular de Loyola son directeur, le père jésuite Ignace Arregui, et je revois encore cette salle de réunion du Musée Basque qui reproduisait une cidrerie où, en qualité de directeur de l’institution depuis 1962, Jean Haritschelhar nous avaient reçus pour une matinée en « reconnaissance » à nos activités. N’avait-il pas ressuscité le Bulletin du Musée Basque, arrêté depuis la guerre, pour y publier les articles de nombreux universitaires et prouver que le musée inspirait des sujets de recherche ? 

Je me souviens également de sa présence lors d’une réception que j’avais organisée en juin 1985 au château d’Ilbarritz pour marquer une nouvelle étape, qui s’avéra moins heureuse, de notre station de radio (notre photo)

De "Baionako suprefeta" à Bayrou et Lamassoure

Son ouverture d’esprit agaçait dans certains milieux politiques, et je me souviens de la cabale grotesque soulevée contre lui – en tant que maire de Baïgorri – « car il avait prêté une salle municipale à des abertzale, ou tout autre prétexte futile qui ferait sourire aujourd’hui », commentait Robert Poulou qui fut son secrétaire pendant les nombreuses années où Jean Haritschelhar présida Pilotarien Biltzarra. Heureusement, de l’époque où Roger Idiart écrivait la chanson « Baionako suprefeta », on évolua progressivement vers une reconnaissance de la culture, de la langue basque et de son Académie, acquise à la suite d’une visite à Pau, auprès de François Bayrou qui était président du Conseil Général (c’est lui qui avait trouvé un compromis avec Seaska). Le futur ministre de l’Education nationale, avec l’aide de son collègue aux affaires européennes, Alain Lamassoure, obtiendra même pour Euskaltzaindia une déclaration d’utilité publique avec l’agrément de Charles Pasqua à l’Intérieur ! Bien auparavant, l’académie basque avait déjà reçu le qualificatif de « royale » en Espagne où, lors d’une réception officielle par les souverains, la reine Sophie l’avait questionné sur la situation de la langue basque en France et le roi Juan Carlos, au cours d’un entretien en privé, avait gratifié Jean Haritschelhar d’un « eskerrik asko ». Et notre euskaltzain de commenter : « Au moins il savait le dire » !

Il faut dire que la perspective d’un « basque-français » à la tête d’une Académie basque créée outre-Bidassoa n’allait pas de soi mais, comme les émissions de Radio Adour, hébergées en leur temps sur Radio Loyola avaient témoigné de la présence des Basques d’Iparralde auprès des auditeurs guipuzcoans, l’élection de Jean Haritschelhar (sur l’initiative de son prédécesseur, le père Villasante, victime d’un accident en montagne) avait contribué à certaines évolutions… Jusqu’à la lettre de félicitations de Jack Lang alors ministre de la culture ! 

Il conviendrait encore de rappeler sa visite à la diaspora basque aux Etats-Unis en 1996, lorsqu’il décerna la médaille d’or académique à la radio locale KBBS de Buffalo dans le Wyoming qui diffusait un programme en euskera depuis 40 ans… 

Et, comme une pointe d’humour finale, cette poignée de main de Michèle Alliot-Marie lors d’une réception de sportifs émérites à la mairie de Saint-Jean-de-Luz, avec cette salutation adressée au fondateur de la revue « Pilota » : « Bonjour Monsieur, bienvenue dans notre pays »… Il paraît, après coup, que ses copains n’ont pas arrêté de chambrer Jean Haritschelhar : « Alors, vous vous plaisez dans notre pays » ?

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