Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Catherine Domain quitte chaque été sa libraire « Ulysse » parisienne de l’île Saint-Louis pour celle installée dans l’immeuble Croisière, l’ancien casino d’Hendaye aux pieds dans l’eau. Créé en 2007 par Catherine Domain avec l’aide précieuse – entre autres – de la ville d’Hendaye, de l’Académie des Sciences via le château d’Abbadia, de l’association internationale des Amis de Pierre Loti, le prix Pierre Loti récompense chaque année un récit de voyage. Julien Viaud alias Pierre Loti arborait plus d’un couvre-chef selon les circonstances, un canotier à la mode en tenue de ville, ou sa casquette d’officier de Marine lorsqu’en mission.
Les sept Hendayais membres du comité de lecture, après avoir dévoré la vingtaine d’ouvrages retenus, ont délibéré à distance et il n’y a pas eu l’ombre d’un doute quant au choix de l’œuvre primée : le prix Pierre Loti 2020 a été décerné à un jeune Breton - Guirec Soudée - pour son livre « Le monde selon Guirec et Monique, un marin, une poule, un incroyable voyage » (aux éditions Flammarion).
De part son prénom, Guirec ne pouvait être que breton, et donc être attiré par les océans. Ce qu’il a fait, parti à l’âge de 21 ans et ce durant cinq années, vivant ses rêves seul en parcourant mers et océans à bord d’un voilier de 10 mètres. Enfin, pas tout à fait seul puisque accompagné par Monique, une poule rousse, peut être pas parfaite comme membre d’équipage, mais précieuse car offrant un œuf par jour, ce qui améliore l’ordinaire du bord. Ensemble ils ont traversé l’Atlantique, rallié le Groenland, sont restés prisonniers de la banquise durant 130 jours. Navigation ensuite dans des conditions extrêmes dans les latitudes sud, passage du cap Horn vers l’Antarctique avant un long retour en Bretagne sur l’île Yvinec, où il a grandi. De son journal de bord Guirec a fait un livre dans lequel il raconte souvenirs, joies, doutes. 45.000 miles nautiques, une odyssée de cinq ans.
Comme les lauréats qui l’ont précédé, Guirec Soudée a été invité à Hendaye afin de recueillir son prix des mains du maire d’Hendaye Kotte Ecenaro. Un court séjour à l’hôtel Le Connect en compagnie de sa future (comme il dit), une visite des jardins de la maison « Bakhar Etxea » où vécut et mourut Pierre Loti, une soirée à la Maison Mauresque voisine, une visite privée au château d’Abbadia.
Ce vendredi 31 juillet, il dédicacera son livre à la librairie « Ulysse » de 16 heures à 20 heures, où sont entassés livres rares, anciens, de voyages, d’histoires plus surprenantes les unes que les autres.
Manex Barace
A propos de Pierre Loti, quelques anecdotes de Pasajes à Isturitz...
Il est heureux qu'une "Association des amis de Pierre Loti" ait été créée à Hendaye afin que "le volet basque de la vie et de l’œuvre de l’écrivain fût mieux connu et reconnu", dont l'un des objectifs serait de "de faire traduire en basque « Ramuntcho », ce qui n’a jamais été fait".
Dans mon livre "Nathalie de Serbie, la reine errante", je relate comment "Pierre Loti, dans son bel uniforme d'officier de marine, sensible aux honneurs, se rendait volontiers aux invitations qui le flattaient", en l'occurrence une vente de charité organisée par la souveraine exilée à Bidart.
On trouve également beaucoup d'anecdotes sur Loti dans les mémoires de Gheusi : le directeur de l'Opéra Comique avait acquis un des pavillons au bas du château du baron de l'Espée à Ilbarritz, ce qui lui avait donné l'opportunité de faire des randonnées au Pays Basque avec Déroulède (exilé hors de France), l'écrivain Juliette Adam dont le salon parisien constituait le rendez-vous obligé des "gloires" de la IIIème république... et Loti ! Ils visitèrent en particulier le port de Pasajes/Pasaia pour retrouver les traces de Victor Hugo. Avisant "un robuste grison, la barbe drue poivre et sel, le cheveu ras, l'oeil cerclé de marbrures, qui battait du tambour avec violence :
- Loti, cria Juliette Adam, regardez cet homme !
- Eh quoi ? fit le doux rêveur, séparé soudain de ses songes.
- Regardez-le ! insistait Juliette Adam. Je vous en prie : à qui ressemble-t-il ? Dîtes-le ! Allons donc ! Mais vous êtes aveugle : c'est Hugo ! C'est lui, tout craché. Je vous dis que c'est son fils !
Ma foi, murmura un de leur compagnon de randonnée, c'est fort étrange, il faut en convenir... Enfant d'une batelière, une fille-mère, peut-être une de celles dont Hugo parle avec admiration. On sait bien ce qu'il était, le séducteur !"
Gheusi décrit encore un Loti "victime de nombreuses jalousies, surnommé « animal musqué » car il se fardait pour cacher son teint blême (...) distant en apparence, parce qu'il était timide : Loti, l'excellent officier Viaud, était trop au-dessus des camaraderies banales du métier pour être compris ailleurs que parmi des coeurs d'élite, émerveillés de son génie particulier"…
On connaît son amitié avec le pilotari azkaindar Jean-Pierre Borda « Otharre ». Amateur de virées nocturnes de « gauasko lana » avec les contrebandiers « maritimes » de la baie de Txingudi, Pierre Loti a également laissé de très nombreux écrits sur ses « pérégrinations » en Pays Basque, telle cette description des grottes d’Isturitz :
« Nous voici dans la grande nef. Au milieu, malgré cette obscurité de rêve où tremblent nos petites lumières, on distingue vaguement quelque chose de gigantesque, qui se dresse dans une pose presque humaine ; c'est tout blanc et laiteux, cela semble un colosse en albâtre, qui essaierait de toucher la voûte avec sa tête ...
Notre guide nous emmène dans plusieurs galeries latérales où sont pétrifiées toutes les variétés de ces êtres qui hantent les cauchemars. Les stalactites (..), sont groupées là par familles, par formes à peu près semblables, comme si les Génies de la grotte avaient pris la peine de les classer. Telle galerie est consacrée plus spécialement aux franges légères, si fines quelquefois qu'on les briserait en les touchant ; elles descendent de partout comme une pluie figée, elles pendent de la voûte en guirlandes innombrables...
Ailleurs, ce sont comme de longs doigts de cadavres, tantôt ouverts, tantôt crispés en griffe ; on dirait des collections de bras et de mains, les uns absolument géants, qui seraient appliqués, enchevêtrés, superposés à profusion contre les parois froides ... Quand nous revenons dans la première nef, notre guide allume un feu de paille, et l'obscurité lourde s'en va, se recule dans les bas-côtés, dans les couloirs profonds d'où nous venons de sortir. À la lueur de cette flamme rouge, la haute voûte de cathédrale se révèle, apparaît toute festonnée et frangée ; le colossal spectre blanc, entrevu tout à l'heure à l'arrivée, semble tout à fait une femme drapée dans des voiles, et son immense ombre monte, descend sur les parois de ce lieu un peu effroyable... Alors on reste confondu devant la raison des choses, devant l'énigme des formes, devant le pourquoi de cette magnificence étrange, édifiée dans le silence et les ténèbres, sans but, au hasard, à force de centaines et de millions d'années, par d'imperceptibles suintements de pierre ».
Alexandre de La Cerda
Légendes :
1. Le lauréat Guirec Soudée avec la libraire Catherine Domain et le maire d'Hendaye
2. Villa Mauresque : réunion du Prix Pierre Loti autour d'Axel Brücker