C'est le 21 juillet 1954 qu'avaient été signés les accords de Genève mettant fin de la guerre d'Indochine. Un échec doublé d'un désastre humain (37 000 morts ou disparus côté Français entre mars 1945 et juillet 1954).
0n ne peut guère ignorer les erreurs commises par le nouveau gouvernement installé à la Libération, et son représentant l’Amiral Thierry d’Argenlieu, nommé Haut-commissaire de France et Commandant en Chef pour l’Indochine par le général De Gaulle en août 1945, et qui s'opposa à la politique réfléchie et intelligente de son prédécesseur, l’Amiral Jean Decoux face aux envahisseurs japonais.
Et l'échec de Thierry d’Argenlieu face à Ho Chi Minh, sera tel qu’il sera remplacé le 5 mars 1947 par le radical-socialiste Emile Bollaert.
C'est sur ces entrefaites que Biarritz et le Pays Basque reçurent la visite du chef communiste...
Juin 1946. La France se débattait dans les difficultés de la reconstruction d'après-guerre. A la pénurie alimentaire et des matières premières s'ajoutait une grave crise constitutionnelle et politique.
A Biarritz, depuis la fin de la guerre, le maire était Guy Petit, le fils de Joseph Petit qui avait été élu dans les années 20 : il avait - entre autres - construit le Casino municipal.
Or, dès son élection à la mairie, Guy Petit se préoccupa de faire renouer Biarritz avec sa vogue touristique passée. Il dota la ville des infrastructures nécessaires grâce à une très habile politique de financement, recourant à des emprunts en période de grande inflation. Il récupéra les terrains et les bâtiments du Casino Municipal au départ de l'Université américaine en février 1946, fit rouvrir la frontière avec l'Espagne, racheta l'hôtel du Palais menacé d’être transformé en centre de repos pour les Charbonnages de France, libéra Javalquinto en installant la mairie dans les anciens locaux des magasins du Bon-Marché où elle se trouve encore de nos jours, et reprit l'idée d'un grand aéroport à Parme afin que la Côte Basque demeurât un centre de tourisme international.
Guy Petit venait d’être élu député des Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantiques), et il se vit confier la tâche inattendue d'accueillir une délégation vietnamienne présidée par Ho Chi Minh, que l'on envoie « se reposer à Biarritz en attendant la constitution du gouvernement français ».
Car le gouvernement français de Félix Gouin, confronté à des enjeux politiques, avait démissionné, et plutôt que de voir Hô Chi Minh repartir en Indochine, on préféra le faire s'arrêter à Biarritz dans l'attente des nouvelles élections et la désignation du gouvernement.
Fondateur du parti communiste indochinois et du Viet-Minh, l'autorité d'Hô Chi Minh venait d'être reconnue par le délégué de la France au Tonkin, Jean Sainteny.
Des touristes qui ne passèrent pas inaperçus !
Précédant de peu leur président, les membres de la délégation vietnamienne se firent remarquer à Biarritz où les étrangers étaient encore rares. On lisait dans la presse de l’époque : « cette jolie fille, qui malgré la pluie battante, s'était rendue à la poste en pyjama de soie blanche sous le peignoir d'indienne, ne laissait pas d'intriguer les Biarrots ; tout comme ces jeunes gens bien soignés, aux beaux vêtements de laine couleur prune, qui se pressaient aux guichets du télégraphe, avec sous le bras, des appareils de photo, et sur leurs visages aux traits agréables, un sourire énigmatique... ».
Ils venaient poster un nouveau télégramme afin de protester contre leurs appartements au « Carlton », alors en plein travaux de rénovation, et demander qu’on les fît changer d’hôtel.
Ils acceptèrent finalement de loger au Palais, après qu'on leur eut parlé de Napoléon III et d'Edouard VII ! En toute simplicité !
Puis, le 13 juin 1946, c’est finalement Hô Chi Minh qui débarqua à l'aéroport de Pau. Il y fut d'abord accueilli par les « Hurrah » et les poings levés d'une « délégation de compatriotes » déplacée exprès de Paris.
A l'Hôtel du Palais, on lui offrit le thé debout, afin d’éviter tout conflit de préséance.
Le 16 juin, il excursionnera en compagnie du Général Salan, de Jean Sainteny et de Guy Petit à Saint-Jean-de-Luz, Ascain et Sare, où il assista à une fête basque. A son retour à Biarritz, il offrit un vin d'honneur à sa suite.
Le fils de Guy Petit, Peyo, alors âgé de 15 ans, se souvenant du cortège officiel des « Delahaye », se revoyait lui même assis à côté du chauffeur: « sur la banquette arrière, la barbichette de mandarin de Ho Chi Minh sympathisait avec le petit bouc que portait son grand'père, l'ancien maire Joseph Petit ».
Ce dernier jouissait encore d'une grande popularité parmi la population biarrote, qui continuait à l'appeler « Monsieur le Maire ».Pour cette raison, d'ailleurs, Guy Petit avait prié son père d'accompagner Ho Chi Minh au cours d'une promenade en barque : il s'agissait d'inspirer confiance à « un homme mystérieux, très réservé, mais très poli. Comme tous les asiatiques, on ne savait absolument pas ce qu'il pensait ».
C’était effectivement un sacré personnage : « Hô Chi Minh se méfiait de tout, il n'avait aucune confiance... il n'avait peut-être pas tort ! ». Car, racontait Guy Petit, « à un moment, l'un des marins qui menait la barque dit à mon père : - Alors M. le Maire, on la coule cette barque ?
Mon père avait répondu : - non, ce n'est pas le moment, et nous ne savons pas ce que ça donnerait... alors ce n'est pas la peine.
- Parce que vous, répliqua le marin, on vous sauvera, mais lui, on le laissera couler ! ».
D'ailleurs, il y a quelques années, Christian Millier m'avait confié que son père Bernard Millier, qui était commerçant à Biarritz en 1946 et faisait partie du syndicat d'initiative, lui avait raconté qu'il était sur la barque avec l'ancien maire Joseph Petit et Hô Chi Minh. Et plus tard, Bernard Millier dira à son fils que "s'il avait su les crimes commis par Hô Chi Minh, il l'aurait jeté à l'eau" !
Or, si tout comme Bismarck quelques 80 ans plus tôt, également à Biarritz, Hô Chi Minh n'avait pas été sauvé de la noyade, le cours de l'histoire en eut-il été transformé?
Le 19 juin 1946, après avoir déposé la veille une gerbe au monument aux morts en souvenir de l'appel du Général de Gaulle, Ho Chi Minh quittait l'aérodrome de Parme à bord d'un avion militaire pour Paris, où l'attendait le nouveau gouvernement, enfin constitué. Il ne manqua pas de « remercier sincèrement les autorités et la population de Biarritz pour leur aimable accueil ».
La suite des événements avec Dien Bien Phu confirma ce jugement de Guy Petit à son endroit : « On savait que c'était un adversaire redoutable, on lui passait la main dans le dos... et redoutable il le fut, il nous le prouva hélas ! »
De ce curieux épisode, il reste un film tourné à Biarritz par un compatriote (résident en France) de Hô Chi Minh, le peintre Mai Trung Thu (1906-1980) :