Débutée ce samedi 29 octobre, la 53ème édition de la Fête du Piment à Espelette continue le lendemain dimanche, jour des « solennités », lorsqu’après la messe de 10h avec la chorale d'Espelette et la bénédiction des piments se déroule le défilé des confréries conclu à 11h30 derrière le château par la cérémonie des intronisations et la remise du Prix Piment 2022. Pour ma part, je me souviens avoir été intronisé dans la Confrérie du Piment d'Espelette le 26 octobre 1980... il y a quarante-deux ans !
L’occasion de revenir sur les liens qui unissent la cité labourdine aux rouges solanacées et à leur « fête ».
C’est Andde Darraïdou, propriétaire de l’emblématique hôtel-restaurant Euzkadi, ancien maire d’Espelette et président du Biltzar des maires du Labourd – hélas trop tôt disparu il y a trois ans - qui avait mené le combat en faveur du piment d’Espelette dont l’obtention de l’AOC avait permis une relance de la vie agricole dans le village et aux alentours, ainsi qu’une notoriété qui a développé la vie commerciale ezpeletar.
Quant à l’ardente solanacée, elle a dû être rapportée d’Amérique par les découvreurs basques, à l’égal du chocolat ou du maïs, ce dernier ayant été planté pour la première fois en Europe en 1523, dans la vallée de la Nive.
Actuellement, des semis commencés en février et du repiquage des plants en plein champ courant mai, on obtient à partir d‘août une récolte que l’on encordera pour le séchage, suivie d’une cuisson au four. Broyée, notre solanacée donnera la fameuse poudre rouge qui parfumera la cuisine et animera, en janvier, les disputes des maquignons lors de la foire aux pottoks.
Et, depuis des années, cette fête du piment d’Espelette a lieu le dernier week-end d’octobre.
En fait, c’est dès octobre 1721 qu’Espelette avait bénéficié des lettres patentes accordées par le jeune roi Louis XV, sous la Régence du Duc d'Orléans : elles permettaient aux habitants d'Espelette « de faire tenir En lad. paroisse au lieu le plus comode une foire de 8 jours a commancer le 15 juin de chaque année et un marché de 15 en 15 jours les 2. et Le 4. mercredy de chaque mois (...) voulons et nous plait que les exposants Et leurs Successeurs fassent battir Et Construire les halles, Estaux, Boutiques et Echopes nécessaires (...) et que tous les marchands puissent aller venir séjourner vendre débitter troquer et changer toutes sortes de marchandises licittes et permises »...
Une production chargée d'histoire
Reconnu comme faisant partie des poivres, le piment fut d'abord utilisé pour relever certaines recettes de chocolat Dès le XVIe siècle, les jambons du Pays Basque en sont recouverts avant le séchage, il est aussi utilisé pour les boudins, pâtés, saucisses et autres charcuteries (il faut compter une livre de piment par cochon). D'une manière générale, la cuisine basque l'emploie en lieu et place du poivre. Mais, surtout, il avait son utilité au-delà des mers où l’on exportait par navires les fameux cuissots généreusement frottés de piment rouge d’Espelette afin d’en assurer la conservation (et les protéger des rats qui faisaient partie des expéditions maritimes).
L’épopée des grands navigateurs basques nous fait suivre la route des épices : il y avait une grande rivalité entre les souverains des Espagnes que servaient les Basques, et les portugais, comme le démontre l’épisode d’Elkano qui devait trouver une route évitant les navires portugais qui l’attendaient en embuscade. Or, c’est le navigateur portugais Vasco de Gama qui se voit confier en 1497, par le roi du Portugal, la direction d'une grande expédition maritime devant ouvrir la route directe vers les terres orientales, productrices d'épices, dont le commerce est alors aux mains des marchands arabes et vénitiens.
Le piment va alors briser un monopole : celui des épices venues d'Orient. Ce proche cousin de la tomate a tout de suite fait l'unanimité, il a révolutionné les saveurs culinaires d'Europe. La consommation du piment se répandit rapidement à partir du Portugal, à tel point que les négociants de poivre fortement concurrencés, tentèrent de réprimer ce commerce florissant. En l'espace d'un siècle, le piment va se répandre dans le monde entier. A la suite de Gonzalo Fernandez de Ovidio qui fit en 1526 la première description du piment, les navigateurs de la conquête espagnole, pour la plupart basques, rapportèrent la très grande variabilité de formes, de couleurs et de parfums des piments consommés par les Indiens.
Et le piment va se répandre sur tous les continents : grâce à leurs comptoirs, les Portugais avaient répandu des piments du Brésil en Afrique et aux Indes où les plantes se sont si bien acclimatées que l'on a cru le piment originaire de ces pays. En 1548, le piment est connu en Angleterre, dans le sud de l'Italie à peu près à la même époque, et en Hongrie vingt ans plus tard.
Mais, c’est le Mexique, le Pérou et la Bolivie qui demeureront le berceau d'origine du piment : il s'étend du Mexique jusqu'au sud de la Bolivie et du Brésil. Les peuples amérindiens l'ont connu très tôt : les fouilles archéologiques de Thuacan au Mexique et de Guitarrero au Pérou datées de 7000 à 6000 ans avant J.C. ont permis de découvrir des graines de piment et de haricot associées à l'habitat humain. A cette époque, l'homme était nomade et ne pratiquait pas encore l'agriculture. Les fruits étaient cueillis sur des piments sauvages dans les forêts du Chiapas et du versant Amazonien des Andes.
Les Aztèques le considéraient comme un symbole de joie et de beauté et les historiens de la conquête espagnole ont noté que les indiens chérissaient le piment, le plaçant dans leur estime juste après le maïs. Plus qu'un simple condiment agréable à consommer, ce fruit était chargé de toute une symbolique. C’est l’ancêtre du piment d'Espelette, traditionnellement cultivé dans cette région du Pays Basque depuis des temps très anciens. Il était séché en guirlandes suspendues sous les avants toits, habillant ainsi d'un rouge éclatant les murs blancs des fermes basques.
Au Pays Basque
Reconnu comme faisant partie des poivres, le piment fut d'abord utilisé pour relever certaines recettes de chocolat, Bayonne étant au XVIIe siècle la première ville chocolatière du royaume.
C'est également au XVIIe siècle que l’on commence à distinguer les différentes variétés importées sous nos latitudes : le père Larramendy établit la relation entre le piper mina (poivre piquant) castillan, le pimenton espagnol, et le bipergorria (poivre rouge) basque qui désigne désormais la poudre de piment considérée comme une épice. Gustativement, le piment d'Espelette se situe entre le piment de Cayenne et le piment Doux. Il se situe au niveau 4 de l'échelle de Scoville qui en comporte 10. Si traditionnellement, les jambons du Pays Basque en sont recouverts avant le séchage, le piment d'Espelette est aussi utilisé pour les boudins, pâtés, saucisses et autres charcuteries (il faut compter une livre de piment par cochon). D'une manière générale, la cuisine basque l'emploie en lieu et place du poivre.
Depuis 1983, la transformation du piment s'est vraiment diversifiée, grâce à la coopérative agricole Biperra. Entier au vinaigre, en lamelles, en saumure, aux aromates, en coulis ou encore en sauces. Après réduction du piment en purée, il est possible de réaliser des sauces condimentaires. Ces sauces diversement parfumées, sont obtenues après assemblage avec d'autres piments et des légumes, des aromates et un tour de main propre à chaque artisan.
Les sauces se consomment suivant leurs caractères comme une moutarde forte ou bien comme une sauce tomatée un peu relevé. Elles sont utilisables en bases de cuisine pour "monter" une mayonnaise en lieu et place de la moutarde (c'est alors une "Bayonnaise"), en déglaçage de jus de cuisson, etc…
Mais le piment peut être également très utile pour la santé : si tous les pays chauds font un usage abondant du piment en raison de ses propriétés excitantes, il constitue, à dose modérée, outre un condiment agréable et utile, un excellent remède. Bases de vitamines A; le piment contient un taux important de vitamines C, il se classe juste après le persil.
Pauvres en sodium, en calories, sans cholestérol et contribuant à une bonne protection contre les accidents cardiaques, les piments ont aussi la particularité d'accélérer le métabolisme. On estime que 6 g de piments peuvent " brûler" en trois heures près de 45 k cal.
Considéré par les homéopathes comme un médicament de grande valeur, il est aussi utilisé en allopathie et en phytothérapie. Les indiens d'Amérique Latine, considèrent aussi le piment comme un médicament. Selon la tradition il fait transpirer, élimine les toxines, régule la température du corps et chasse les moustiques. Un dicton du XVIIIe siècle dit : "Piment, appétit l'excite, vents les dissipent, esprit le réveille, digestion et transpiration les excitent".
En plus de faciliter la digestion, l'utilisation culinaire de la poudre de piment d’Espelette passe pour prévenir les troubles urinaires et les problèmes de prostate, contrairement au poivre qui les provoque. Il y a peu de temps encore, le piment entrait dans la pharmacopée domestique des Ezpeletars. Après une journée de travail fatigante, lors d'un "rhume de cerveau" ou d'une bronchite, un bain de pieds chaud additionné d'une poignée de poudre ou de morceaux de piments simplement séchés au soleil, "ça tire", "ça fait descendre le sang".
Le piment est réputé jusqu’ aux Etats-Unis, en Louisiane, où il paraît que les joyeux fêtards se transmettent un petit secret : un mélange de jus de citron vert et de tabasco - le concentré de piment local, plus fort et que je trouve nettement moins parfumé que le nôtre – en tout cas, ce serait un remède souverain pour guérir les "gueules de bois". En revanche, si on en a consommé un peu trop, les meilleurs "antidotes", au caractère piquant du piment, sont les produits laitiers (yaourt, lait, crème glacée) ou encore le pain ou le riz qui en neutralisent la saveur âcre et brûlante.
Et pour en revenir à la fête du piment d'Espelette qui a lieu ce week-end, elle est issue d’un contexte culturel particulièrement riche à Espelette entre 1965 et 1970 : de nombreuses associations sont créées à cette époque dans le courant des idées lancées par le secrétaire de mairie Lucien Halty, le curé de la paroisse Pierre Harignodorquy et le maire Auguste Darraïdou.
Ainsi Ezpela, la fameuse association de danses basques, le syndicat d’initiative, l’association sportive des jeunes d’Espelette et l’association Napurrak de force basque sont venues insuffler un véritable renouveau culturel au village. C’est dans cet élan que le syndicat d’initiative lance en septembre 1967 une fête baptisée « La fête du piment », sorte d’un hommage à la production-phare du village, mais sans autre intention que de faire une petite fête comme on les aime tant au Pays Basque : messe avec la clique, suivie d’un apéritif concert, repas chacun chez soi, partie de pelote et bal. 300 personnes participent à cette première fête du piment !
En 1968, la mort d’Auguste Darraïdou en septembre fit décaler la fête du piment à la fin du mois d’octobre.
Devenue une véritable institution, presque un rite vécu à date fixe, le troisième dimanche d’octobre, elle a pris d’année en année de l’ampleur, puisqu’elle accueille aujourd’hui des milliers de participants.
Programme :
Samedi 29 octobre
12 heures, dégustation à l’atelier de cordage au syndicat du piment d’Espelette.
15 h 30 : danses basques avec Ezpela au fronton.
16 heures : goûter gourmand à l’atelier de cordage au Syndicat du piment d’Espelette.
17 h 30, concert avec le chœur d’hommes Ezpeletan Kantuz, à l’église Saint-Etienne.
20 heures : dîner populaire avec animation, servi sous les halles du marché couvert. Réservation sur place à partir de midi.
- par ailleurs, ce samedi de 10h à 17h au local Denen Xokoa (derrière le pôle médical), le Secours catholique organise une braderie : vêtements adultes et enfants, très petits prix, ainsi que pour le linge de maison, articles de puériculture, jouets et petite brocante.
Dimanche 30 octobre
10 heures, messe solennelle avec la chorale d’Espelette et la batterie-fanfare Ezpeletarrak, bénédiction des piments.
11 heures : défilé des confréries dans les rues.
12 heures : cérémonie d’intronisation
Le Prix Piment sera attribué au rugbyman de l’Aviron Bayonnais Camille Lopez et le titre de Monsieur Piment décerné à Beñat Olaizola, pionnier de la production. Seront intronisés dans la Confrérie : David Ibarboure, chef étoilé du restaurant « Briketenia » à Guéthary, Nicolas Maggiorani-Bengoechea, brasseur et producteur de piment d’Espelette, Margaux Dalla-Torre, miss Côte basque 2022 et l’accordéoniste Jean-Louis Bergara.
12 h 30 apéritif repas dans tous les bars-restaurants de la ville.
13 heures : repas de gala pour les confréries. En après-midi, rues animées avec les bandas.
15 h 30 : spectacle des makilaris au fronton.
(service de navettes depuis Saint-Pée-sur-Nivelle, Souraïde, Cambo et Itxassou)