Spontané, aussi indocile aux modes intellectuelles que rétif à l’égard de tout militantisme, le talent poétique d’Itxaro Borda jaillit d’une pensée libre et originale, toujours assaisonné d’une pointe d’humour et d’un brin de nostalgie.
Combien de fois avons nous partagé les occasions de signer notre production littéraire, elle, désormais membre de l’Académie de la Langue basque « Euskaltzaindia » et moi, de l’Académie des Jeux Floraux, son « pendant » gascon.
C’est donc avec plaisir que nous avions appris en novembre dernier l’élection de notre « consœur » Itxaro à l’académie basque. Sa réception se déroulera ce samedi 28 octobre à 10h30 dans le Grand Salon de la Mairie de Bayonne : le président d'Euskaltzaindia, Andres Urrutia, et le maire de Bayonne, Me Etchegaray, accueilleront les participants et Itxaro Borda lira ensuite son discours d'entrée. Elle évoquera "le concept de frontière, Muga, ainsi que sa relation avec la langue basque et ses expériences comme écrivain basque".
L'académicienne navarraise lui répondra, retraçant le parcours d'Itxaro Borda, ses écrits et ses préoccupations ainsi que le thème des frontières administratives de la langue basque. Enfin, la nouvelle académicienne prêtera serment et recevra des mains du président d'Euskaltzaindia sa médaille, son diplôme et ses insignes d’académicienne de la langue basque.
Pour ma part, comment ne pas évoquer quelques souvenirs (datant déjà d'une vingtaine d'années (!), lorsque chaque dimanche matin, Itxaro Borda quittait Bayonne où elle résidait (et travaillait) pour emprunter les méandres interminables de la route d’Orègue.
Au détour d’un bosquet, au cœur de cette symphonie en vert tachetée de collines rousses qu’arbore la palette des paysages bas-navarrais, se détache la blanche silhouette d’« Oyhenartia » (entre les forêts), la ferme ancestrale nichée parmi les jeux d’ombres et la chanson d’un torrent. Entre les pâturages pentus où avec ses frères, après l’école, elle allait chercher les brebis pour les ramener au bercail, et l’eskaratz qui abrite deux nids d’hirondelles parmi ses grosses poutres en châtaigner, l’âme vibre aux voix de la nature. Un coup de folie par vent du sud la fera même s’évader vers ces lointaines contrées qui ont fourni à l’exploitation familiale la culture des kiwis et, plus inédit encore localement, l’élevage des autruches !
Or, constatait-elle dans son roman « 100% basque » qui lui avait valu le Prix Euskadi en 2002, « nous avons évolué de la même façon que les brebis de ce siècle » (qui se placent, parait-il, dociles dans les stalles dès qu'elles hument les relents fumants des aliments pré-conditionnés), « productifs, déductifs et inductifs. Apeurés par l'idée même de la solitude, nous nous rendons au boulot, au supermarché, aux réunions, au dodo en troupeaux, sans nous préoccuper de construire pour nous-même une pensée libre et originale ».
Nul regret cependant, chez l’écrivain, pour cette la période « où nous formions une communauté rurale de sauvageons sans contact avec le monde extérieur ».
Mais, à présent, il s’agit d’une autre violence, « qui n'a rien à voir avec la sauvagerie primitive où l'ennemi était quand même considéré comme un humain. Dans une situation qui justifie l'assassinat, l'humiliation, la mutilation, l'exclusion, l'exploitation de l'homme par l'homme, la mémoire forme une réserve de compassion d'où peut jaillir la lumière ; je garde les yeux grands ouverts et je sens monter en moi, conjugué à mon envie de désert, le souvenir de l'enfant rêveuse que j'étais. Aux frontières de cet état mental, voir un troupeau paître l'herbe grasse qui pousse le long de la route me suffit à retrouver un peu de paix ; les brebis blanches tachètent le vert des pâturages et sous mes yeux ébahis, se fondent dans un horizon couleur cobalt, à la fois lointain et désirable. Limites de la liberté. Liberté des limites. Annonce d'un avenir possible et menacé ».
A l’image des vers de Jean Giono qu’elle place volontiers en exergue, Itxaro Borda croit qu’il faut « voir, aimer, / Comprendre, haïr l'entourage des hommes, / Le monde d'autour, comme on est obligé / De regarder, d'aimer, de détester / Profondément les hommes pour les peindre ».