Élise Gautier (Marion Barbeau) 26 ans, est première danseuse à l’Opéra de Paris. En coulisses, elle s’échauffe car ce soir, elle va interpréter La Bayadère avec un danseur soliste qui est aussi son amoureux … du moins le croit-elle. A quelques minutes du lever de rideau, elle le surprend dans les bras d’une coryphée. Le coup est rude ! Cependant bien que troublée, en bonne professionnelle, elle assure ses solos et duos avec son partenaire mais chute brutalement à la fin du tableau final. Son médecin, peu aimable, diagnostique une grave entorse qui succède à d’autres. Elle propose une intervention chirurgicale suivie d’un rétablissement hypothétique sur une durée d’un an voire deux ans. Élise est effondrée malgré le soutient de quelques camarades du corps de ballet. Sa carrière jusqu'alors prometteuse est compromise.
Élise contacte Yann (François Civil) son kiné thérapeute « new-âge », secrètement amoureux d’elle. Il lui propose un long protocole de réadaptation, réappropriation de son corps, plutôt qu’une intervention par nature brutale, traumatisante. Elle en accepte le principe.
En attendant, Élise sort avec des amis dans Paris et décide de se rapprocher de son père Henri Gautier (Denis Podalydès) avocat dans une ville de province. Son père veuf, bavard, manque d’empathie pour le métier de Marion qu’il dénigre : « la danse ne mène à rien passé l’âge de 35 ans ! ». Élise toujours handicapée par sa blessure à la cheville (elle claudique) décide de seconder un couple de restaurateur, Sabrina (Souheila Yacoub) et Loïc (Pio Marmaï) qui partent en Bretagne avec leur « Food-Truck » dans une résidence pour artistes gouvernée d’une main sûre par Josiane (Muriel Robin).
Une troupe de danse contemporaine dirigée par le chorégraphe israélien Hofesh Shechter (lui-même) ne tarde pas à s’installer et à commencer les répétitions de leur ballet : Political mother : The Choregrapher’s cut ?
Élise qui est cantinière et serveuse observe les danseurs de cette compagnie si différents de ceux formés par l’Opéra de Paris. Peu à peu elle s’intègre à ce groupe dont les rythmiques, les mouvements, les attitudes corporelles, sont très éloignés du langage de la danse classique.
Encouragée par Josiane et ayant recouvré une partie de ses moyens physiques, Marion se mêle à la compagnie d’Hofesh Shechter …
Dès son adolescence Cédric Klapisch (60 ans) a vu, au Théâtre de la Ville à Paris, de nombreuses troupes de ballets contemporains : Merce Cunningham (1919/2009), Carolyn Carlson (1943), Alwin Nikolais (1910/1993), Murray Louis (1926/2016), Lucinda Childs (1940), Pina Baush (1940/2009), etc. Plus tard, Anne Teresa de Keersmaeker (1960), Alain Platel (1959), Angelin Prejlocaj (1957), Philippe Decouflé (1961) pour lequel il a réalisé un film pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympique d’Albertville (1992) et enfin, à Londres, l’israélien Hofesh Shechter (1975). Aussi affirme-t-il en balletomane averti : « la danse en fait a été assez présente tout au long de mon parcours ».
Avec son coscénariste, Santiago Amigorena, Cédric Klapisch a choisi de narrer une histoire simple, linéaire autour du personnage d’Élise Gautier, danseuse classique, qui suite à un accident professionnel (grave entorse de la cheville) se reconstruit grâce à sa ténacité et découvre ainsi une nouvelle vie à la fois professionnelle (danse contemporaine) et personnelle (un nouvel amour : Mehdi, un danseur hip-hop).
Comme lors de ses précédents opus les plus connus, L’auberge espagnole (2002), Les Poupées russes (2005), Casse-tête chinois (2013), le réalisateur développe autour du personnage principal, d’autres figures nombreuses, mais secondaires (Yann le kiné thérapeute transi, Henri, le père sermonneur d’Élise, Sabrina et Loïc le couple chamailleur, Josiane l’hôte bretonne bienveillante, Mehdi son nouvel amour, etc.) qui « nourrissent », non sans humour, par petits segments, l’intrigue centrale somme toute ténue.
Le montage d’En corps a été laborieux car le réalisateur voulait privilégier la danse d’abord classique puis contemporaine sans (trop) de plans de coupes à l’intérieur de la même séquence (ce procédé courant permet d’insérer de vrais danseurs à la place de comédiens : Nathalie Portman dans Black Swan - 2011 de Darren Aronofsky).
En visionnant les grandes comédies musicales classiques Les Chaussons rouges (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger, Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly, West Side Story (1961) de Robert Wise et Jérôme Robbins, Les Demoiselles de Rochefort (1967) de Jacques Demy, avec sa monteuse Anne-Sophie Bion, Cédric Klapisch s’est aperçu que les numéros de danses ne représentent que 1/4 à 1/3 de la durée du film et la narration 3/4 à 2/3 contrairement aux ressentis du spectateur.
Après moult essais de montage, il a conservé ces proportions. D’autre part, lors du casting, il souhaitait pour le personnage principal une vraie danseuse du corps de ballet de l’Opéra de Paris pour plus de véracité, d’authenticité du récit : son choix s’est arrêté sur Marion Barbeau première danseuse, qui pour le rôle, a pris des cours de comédie.
En corps est le quatorzième long métrage de Cédric Klapisch ou son talent de metteur en scène, sa connaissance de l’écriture cinématographique (les 15 premières minutes du film sont un hommage au cinéma muet : raconter une trahison amoureuse sans paroles !) éclate. Si l’histoire d’Élise Gautier est prévisible, programmatique (de l’accident à la renaissance) l’amour que porte Cédric Klapisch à l’art de la danse transparait dans chaque séquence. C’est assez peu répandu dans l’univers cinématographique mondial et à fortiori français malgré quelques belles exceptions : l’anglais Michael Powell (1905/1990), les américains Vicente Minnelli (1903/1986), Stanley Donen (1924/2019) et Gene Kelly (1912/1996), le français Jacques Demy (1931/1990).
En ces temps orageux, incertains, En corps est une bulle d’optimisme dans un monde lourd, angoissant.