Federico devient Fellini (1960/1968)
La dolce vita (1960)
Au début des années 1960, l’Italie est en plein boum économique. Rome, avec Cinecitta est devenue « Hollywood sur Tibre ». Le cinéma italien par sa quantité de films produits (200 environ), leurs qualités (et leurs défauts), la dimension impressionnante du marché intérieur (700 millions d’entrées, à titre comparatif la France … 350 millions) est le premier d’Europe et le second au monde. Federico veut rompre avec la veine « néoréaliste » de ses réalisations précédentes : raconter une histoire linéaire et quelque peu édifiante. Il déclare : « Il faut créer une sculpture à la Picasso, la casser en morceaux, et la recomposer selon notre caprice ».
Avec ses complices habituels, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano auxquels viennent se greffer Brunello Rondi (1924/1989) et surtout Pier Paolo Pasolini avec lequel il sillonne la nuit les rues de Rome, il élabore un script : La dolce vita. Le film est constitué de 8 blocs narratifs peuplés de personnages différents (prostitués, nobliaux désargentés, acteurs désœuvrés, parasites en tout genre, etc.) rencontrés lors des pérégrinations du chroniqueur mondain Marcello Rubini (Marcello Mastroianni). La dolce vita (167’) se veut le Satyricon du XXème siècle, une allégorie dramatique du désert sociétal adossée au « miracle économique italien ».
Après avoir refusé de diriger de grands acteurs américains pressentis (Paul Newman, Gary Grant !) le réalisateur choisit un acteur italien de théâtre et cinéma : Marcello Mastroianni (1924/1996) dont il sera le pygmalion et l’ami (difficile) de toute une vie. Le tournage (production franco-italienne) démarre en mars 1959 et comme toujours avec le réalisateur, le contenu du scénario est sans cesse modifié durant la fabrication du film.
A sa sortie en Italie en février 1960, La dolce vita est attaquée par les partis conservateurs et par le Centre Catholique du Cinéma qui le déconseille vigoureusement. Le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano condamne La dolce vita comme « La sconnia vita » (La vie répugnante !). Le cardinal lombard Mgr Giovanni Battista Montini (1897/1978) demande aux projectionnistes de Milan d’obscurcir (atténuer la lumière du projecteur) les scènes tendancieuses ! Seuls quelques jésuites courageux, autour du père Angelo Arpa (ils seront sanctionnés), défendent La dolce Vita. Federico déclarera : « et dire que j’étais convaincu d’avoir fait une œuvre catholique ».
Présentée en mai 1960 au XIII ème Festival de Cannes préside par Georges Simenon (1903/1989), La dolce vita remporte La Palme d’Or contre un autre film italien : L’Avventura de Michelangelo Antonioni. La dolce vita est un triomphe mondial. En Italie, le film est premier au box-office avec 14 millions de spectateurs. En Espagne, il connaitra un énorme succès lors de sa sortie en … juin 1981 !
Huit et demi (1963)
Après le succès mondial de La dolce vita, Federico réalise un sketch (le deuxième) pour Boccace 70 (Boccaccio’70 – 150’) avec l’actrice fétiche de son précédent opus Anita Ekberg (1931/2015) et le dramaturge Peppino De Filippo : Les Tentations du docteur Antoine (Le tentazioni del dottor Antonio – 50’).
Federico quelque peu dépressif, suite à l’immense succès de La dolce vita élabore avec son équipe habituelle un scénario en partie autobiographique : La Bella Confusione (Le Beau Désordre) qui deviendra à sa sortie 8 ½. (Otto e mezzo – 138’). C’est selon ses calculs son septième long métrage auquel il faut ajouter trois moyens métrages comptant pour un film et demi. Un cinéaste dépressif, Guido Anselmi (Marcello Mastrioanni) fuit le monde du cinéma et se réfugie dans une station thermale avec sa femme Luisa (Anouk Aimée) bientôt rejoint par son encombrante maitresse Carla (Sandra Milo). Dans la station thermale, il est assailli, la nuit, par des souvenirs d’enfance, et le jour, par ses collaborateurs, ses amis, ses acteurs, son producteur qui tous attendent impatiemment la réalisation du « magnum opus » du maitre.
Federico Fellini reprend, en l’élargissant et la complexifiant, sa narration éclatée de plusieurs personnages qui gravitent, pour de multiples raisons, artistiques, financières, sentimentales, autour de la figure centrale de Guido, le metteur en scène. C’est une mise en abime de sa propre existence avec la brusque « remontée » de souvenirs réels ou fictionnels. Le récit très élaboré est d’une virtuosité étourdissante, magnifié par une photo noir et blanc du chef opérateur Gianni Di Venanzo (1920/1966) et rehaussé par la musique inspirée, inoubliable, entraînante, de Nino Rota.
A sa première à Milan, en févier 1963, dans le grand cinéma « Capitol », le film est sifflé avec quelques brefs applaudissements. De nouveau le Cardinal évêque de Milan, Monseigneur Giovanni Battista Montini, bientôt élu Pape après la mort de Jean XXIII en juin 1963, attaque violemment le film (menace d’excommunication des spectateurs). L’Observatore Romano du Vatican n’est pas en reste. 8 ½ remporte un bon succès en Italie (4 millions d’entrées) cependant moindre que le précédent opus du réalisateur. Il est présente hors compétition au Festival de Cannes 1963 (Federico ne veut plus concourir). 8 ½ a du succès aux États-Unis malgré les mauvaises critiques de Pauline Kael (1919/2001) du The New-Yorker « désastre structurel » et de John Simon (1925/2019) « un fiasco » (en italien !).
A la cérémonie des Oscars 1963, 8 ½ obtient celui du meilleur film en langue étrangère, le troisième pour Federico Fellini.
Juliette des esprits (Giulietta degli spiriti) – 1965
Giulietta Masina et Federico Fellini forment un couple en apparence indestructible depuis leur mariage en 1943. La carrière du Maestro est au zénith après ses deux derniers films qui ont connu un succès mondial : La dolce vita (1960) et 8 ½ (1963). Entre temps, celle de Guilietta stagne après son refus, motivé par son éducation stricte, conventielle, de participer à des films importants comme la Notte (La Nuit - 1961) de Michelangelo Antonioni entre autres. Née en 1920, petite (1,57 m), menue, elle a 45 ans : ses rivales italiennes sont grandes, élancées, avec des physiques avantageux et de surcroit plus jeunes (Sophia Loren, Silvana Mangano, etc.). Instruite, cultivée (elle parle un français parfait), elle côtoie depuis une vingtaine d’années, un compagnon charmeur mais cachotier, menteur et passablement volage. C’est la crise classique du couple à la fois personnelle et professionnelle.
Federico qui affirme avoir testé (sous contrôle) du LSD, drogue alors à la mode, travaille avec ses complices habituels à un scénario : Juliette des esprits (Giulietta degli spiritit – 137’) production une nouvelle fois franco-italienne. Dans une belle demeure moderne, Giulietta (Giuliette Masina) la quarantaine passée, sans enfant, mène une vie morne dans son foyer. Toujours amoureuse de son mari, Giorgio (Mario Pisu), elle est délaissée par ce dernier qui cherche mille excuses pour s’échapper de l’univers familial. Avec son chef opérateur Gianni Di Venazo dont c’est le premier film en couleur. Federico fait d’abondants essais afin de maitriser une palette de couleurs qui corresponde à l’effet recherché : Giulietta se déplace dans un univers (décors et costumes de Piero Gherardi) à la fois vide, absurde, taché de couleurs franches, flamboyantes. Sa crise du couple est soulignée par des couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) et quelques secondaires plus atténuées.
Juliette des esprits (Giulietta degli spirit) est une longue déambulation dans la maison ultra moderne, suivie de quelques échappées dans la forêt de pins maritimes jouxtant sa demeure. Les décors à la fois agressifs et sophistiqués de Piero Gherardi (disposition des pièces, mobilier, éclairage, etc.) participent à la description du désarroi, des tourments de l’héroïne.
A sa sortie simultanée en Italie et en France (octobre 1965) le film est incompris. Les critiques sont dubitatives face à l’usage agressif de la couleur et de la durée du film (137’).
C’est la cinquième fois que Federico Fellini met en scène son épouse, Giulietta Masina depuis Les Feux du music-hall (1950). Il faudra attendre 20 ans pour la fois suivante (Ginger et Fred (Ginger e Fred – 1986).
Le voyage de G. Mastorna (1966) et Toby Dammit (1968)
Federico est dépité par le mauvais accueil de son dernier opus. Il met en chantier un nouveau film : Le voyage de G. Mastrona avec l’important producteur italien Dino De Laurentiis. Marcello Mastroianni est à nouveau pressenti pour le rôle principal. En septembre 1966, Federico dénonce officiellement le contrat qui le lie au producteur : c’est la crise. Les avocats s’agitent autour des deux protagonistes qui finiront par s’entendre en avril 1967, mais Federico Fellini tombe gravement malade : le projet est définitivement abandonné. Une nécrologie (« une viande froide ») du metteur en scène circule. Federico finit par se rétablir.
En 1968, Federico tourne un sketch issu des histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe (1809/1849) : Toby Dammit ou il ne faut jamais parier sa tête avec le diable avec l’acteur anglais Terence Stamp. Son moyen métrage est mieux accueilli que les deux autres : Metzengerstein de Roger Vadim et William Wilson de Louis Malle qui complètent Histoires extraordinaires (121’), film fantastique.