Après ses « premiers émois musicaux », nous poursuivons le récit d’Elisabeth Lamarque, pianiste accompagnatrice, concertiste, professeur de piano et écrivain.
Pour payer mes études, j'ai été contrainte de travailler, ce qui m'a obligée à savoir optimiser mes heures pianistiques, puisqu'elles étaient inférieures à celles des autres étudiants.
Cours de piano dans une école privée et même cours de latin m'ont permis de survivre dans un premier temps.
Puis se sont enchaînées des propositions intéressantes : professeur assistante de piano à la Schola Cantorum, remplacements en région parisienne et à Amiens, collaboration avec Yamaha pour leur méthode d'apprentissage du piano chez de très jeunes enfants. Ce dernier travail a abouti à l'élaboration de deux ouvrages utilisables en France, ainsi qu'à une invitation à travailler au Japon, que j'ai déclinée.
Pour mes élèves de piano, j'ai inventé des jeux pour l'apprentissage du solfège : cartes, jeu de l'oie, etc..., bien sûr, entièrement faits à la main !
Durant mes études sous la houlette d'Henriette Puig Roget et Anne Grappotte, j'ai eu beaucoup de demandes d'accompagnement de classes et d'examens. C'est ainsi que j'ai vécu trois expériences marquantes :
1) Pianiste de l'orchestre dans la pièce de théâtre "Opérette" de Gombrowicz, début 1970 au TNP.
Karel Trow avait composé la musique pour cette pièce et était donc le chef d'orchestre. Pendant les deux à trois mois de répétitions, mon rôle était d'apprendre aux acteurs les parties chantées, ce qui ne leur était pas habituel. Il y avait notamment Judith Magre et François Maistre.
J'ai deux souvenirs amusants :
- le premier avec François Maistre, acteur célèbre qui, quand il se trouvait juste au dessus de ma tête, profitait d'un moment où il devait dire des paroles dénuées de sens pour me susurrer des inepties dans le but de me faire rire pendant que je jouais et ainsi d'essayer de me déconcentrer !
- Le deuxième fut celui du chef qui, bavardant à voix basse avec un musicien, oublia de nous faire partir après une tirade se terminant sur le mot "la nudité" alors que les acteurs, aidés par l'orchestre devaient chanter. L'acteur, surpris, fit une superbe improvisation sur le thème de la nudité, mais à bout d'inspiration, démarra ce chant avec les autres, et nous avons dû les rattraper en transposant !
Dans cet orchestre il y avait toujours des doubles pour chaque poste de musicien, car nous avons fait trois mois de représentations. Ainsi, j'ai eu le plaisir de jouer, entre autres, avec Jean-Pierre Drouet, brillant percussionniste, et avec Michel Portal, merveilleux clarinettiste originaire de Bayonne.
2) accompagnatrice de la classe de saxophone au CNSM de Paris.
J'ai eu à remplacer la pianiste de la classe de saxophone de Daniel Deffayet au Conservatoire de Paris, du 1er octobre au 30 décembre 1970. J'ai donc accompagné les élèves qui présentaient le concours d'entrée. Le premier concours comportait une œuvre libre. Les candidats étaient donc tenus de m'envoyer leur partition pour que j’aie le temps de la travailler. Un candidat avait omis de le faire, j'ai donc dû l'accompagner en déchiffrage, avec la bénédiction du directeur Raymond Gallois-Montbrun !
Daniel Deffayet était un professeur exigeant avec ses élèves mais très cordial. Pour moi tous ces accompagnements représentaient un travail très important facilité par une très bonne ambiance.
3) Accompagnatrice du premier CA de saxophone en 1970 (il s’agit du concours pour obtenir le Certificat d'Aptitude à l'enseignement en Conservatoire équivalent à un master. Il n'y a pas de grade plus élevé. Il correspond au statut de Professeur).
Le morceau imposé était la "Sérénade" de Boutry, pièce difficile à mettre en place rythmiquement entre le saxophoniste et la pianiste. J'ai appris par cœur la partition pour rattraper l'instrumentiste le cas échéant, sans que le jury s'en aperçoive ! Nous étions trois accompagnateurs pour l'ensemble des candidats. Le président du jury était Antoine Tisné. Après l'épreuve instrumentale, les candidats avaient un déchiffrage à vue difficile accompagné par le piano. Antoine Tisné m'a choisie alors comme pianiste pour tous les candidats car, m'avait-il dit, "nous nous sommes rendus compte que vous aviez bien aidé vos candidats rythmiquement". J'ai eu le même temps de préparation que le premier candidat, c'est à dire quelques minutes. Quelle aventure !
En 1969, j'ai été recrutée par le Conservatoire Municipal de Drancy pour y donner des cours de piano. J'y suis restée jusqu'en 1974. J'avais une classe importante avec 20h de cours.
J'avais des collègues qui, pour la plupart, étaient musiciens à l'Opéra, au National, etc. Le niveau d'ensemble des élèves était très bon. Durant ces années, j'ai donné deux récitals, même si je préférais nettement jouer en formation.
C'était mes années dans la classe de Thierry de Brunhoff à l'Ecole Normale de Musique de Paris, pendant lesquelles j'ai obtenu mon diplôme de concert en 1972 et ma licence d'enseignement en 1973. A la fin de cette même année, j'ai eu un accident à l'auriculaire gauche. J'ai été opérée par un grand chirurgien mais, malheureusement, j'ai eu des séquelles importantes qui m'ont provoqué un raccourcissement du doigt alors même que j'ai une petite main, et surtout des douleurs importantes qui ont duré plus de vingt ans.
J'étais désorientée car cela correspondait à un passage charnière pour moi, Thierry de Brunhoff partait, ma vie changeait, car j'avais décidé pour des raisons familiales d'habiter à Anglet et je réalisais que je ne pouvais pas demander à ma main gauche les efforts techniques nécessaires pour continuer une carrière de pianiste.
(à suivre)
ALC - Elisabeth Lamarque chez elle, au Pays Basque