L'hommage qui lui sera rendu ce vendredi 10 novembre à Baigorri nous remet en mémoire qu'il y a dix ans, le dimanche 1er septembre 2013, disparaissait Jean Haritschelhar à l’âge de 90 ans. Un choc pour les lecteurs de son « billet » hebdomadaire dans le journal en langue basque « Herria » qu’il signait « Gehexan Pontto », et pour tous les bascophiles qui l’avaient encore rencontré quelques mois auparavant à Sare lorsque, fort judicieusement, le 30ème Biltzar des écrivains avait rendu hommage à ce remarquable serviteur de la langue et de la littérature basques, présent parmi les premiers participants à Pâques 1984. Et ses amis pilotaris avaient eu la joie de vivre avec lui la finale de rebot et le repas qui suivait, trois semaines avant sa disparition, sous un soleil de plomb à Hasparren.
Il est impossible de résumer en un article la richesse d’une vie consacrée, toute entière, à sa famille et au Pays Basque. Simplement, telles des touches « impressionnistes », quelques visions me reviennent à la mémoire. Rappelons d’abord qu’après ses thèses consacrées au poète souletin Pierre Topet-Etxahun et à son œuvre, Jean Haritschelhar enseigna au lycée d'Agen, puis il occupa la chaire de Langue et littérature basque à l'Université de Bordeaux III. Nommé directeur du Musée Basque de Bayonne et entré à l'Académie de la langue basque « Euskaltzaindia » qu’il présidera pendant une quinzaine d’année, il sera également maire de Baïgorry où il était né. Docteur honoris causa de l'Université du Pays Basque, il reçut le « prix Manuel Lekuona » de la Société d'études basques Eusko Ikaskuntza.
Pour ma part, je garderai toujours le souvenir de ce sourire au coin des lèvres dont on ne savait trop s’il était marqué du sceau de l’ironie, de la bonhomie ou de l’affabilité ; peut-être, un mélange des trois ? C’est ce qui semblait ressortir du feu de la discussion qui nous occupait lors de ces déjeuners des mardis de l’hebdomadaire « Herria », pris sur une très commune toile cirée dans une humble auberge du bas Mouguerre, à la fin des années soixante-dix (j’en avais donné le récit dans les Actes de l’Académie de la Langue Basque de 2001).
C’est à cette époque que j’eus le loisir de côtoyer Jean Haritschelhar en compagnie de Pierre Lafitte, d’Etienne Salaberry - cette extraordinaire brochette de chanoines savants qui ont animé la vie intellectuelle du Pays Basque et transmis le flambeau de la culture aux jeunes générations – et de quelques autres personnalités (parmi lesquelles, l’abbé Emile Larre) dont le savoir et l’intelligence ne le disputaient qu’au caractère humain bien trempé. Je venais de fonder Radio Adour Navarre grâce aux heures d’émission dont me faisait bénéficier sur Radio Popular de Loyola son directeur, le père jésuite Ignace Arregui, et je revois encore cette salle de réunion du Musée Basque qui reproduisait une cidrerie où, en qualité de directeur de l’institution depuis 1962, Jean Haritschelhar nous avaient reçus pour une matinée en « reconnaissance » à nos activités. N’avait-il pas ressuscité le Bulletin du Musée Basque, arrêté depuis la guerre, pour y publier les articles de nombreux universitaires et prouver que le musée inspirait des sujets de recherche ?
Je me souviens également de sa présence lors d’une réception que j’avais organisée en juin 1985 au château d’Ilbarritz pour marquer une nouvelle étape, qui s’avéra moins heureuse, de notre station de radio… Notre photo de couverture le montre - lui, petit-fils de douanier - devisant avec le directeur des Douanes à Bayonne, en présence du célèbre dessinateur Jacques Faizant, résident angloye comme Haritschelhar !
De Baionako suprefeta à Bayrou et Lamassoure
Son ouverture d’esprit agaçait dans certains milieux politiques, et je me souviens de la cabale grotesque soulevée contre lui – en tant que maire de Baïgorri – « car il avait prêté une salle municipale à des abertzale, ou tout autre prétexte futile qui ferait sourire aujourd’hui », ajoutait Robert Poulou qui fut son secrétaire pendant les nombreuses années où Jean Haritschelhar présida Pilotarien Biltzarra. Heureusement, depuis l’époque où Roger Idiart écrivait la chanson « Baionako suprefeta », on évolua progressivement vers une reconnaissance de la culture, de la langue basque et de son Académie, acquise à la suite d’une visite à Pau, auprès de François Bayrou qui était alors président du Conseil Général (c’est lui qui avait trouvé un compromis avec Seaska). Le futur ministre de l’Education nationale, avec l’aide de son collègue aux affaires européennes, Alain Lamassoure, obtiendra même pour Euskaltzaindia une déclaration d’utilité publique avec l’agrément de Charles Pasqua à l’Intérieur ! Bien auparavant, l’Académie basque avait déjà reçu le qualificatif de « royale » en Espagne où, lors d’une réception officielle par les souverains, la reine Sophie l’avait questionné sur la situation de la langue basque en France et le roi Juan Carlos, au cours d’un entretien en privé, avait gratifié Jean Haritschelhar d’un
« eskerrik asko ». Et notre euskaltzain de commenter : « Au moins, il savait le dire » !
Il faut dire que la perspective d’un « basque-français » à la tête d’une Académie basque créée outre-Bidassoa n’allait pas de soi mais, comme les émissions de Radio Adour, hébergées en leur temps sur Radio Loyola, avaient témoigné de la présence des Basques d’Iparralde auprès des auditeurs guipuzcoans, l’élection de Jean Haritschelhar (sur l’initiative de son prédécesseur, le père Villasante, victime d’un accident en montagne) avait contribué à certaines évolutions… Jusqu’à la lettre de félicitations de Jack Lang alors ministre de la culture !
Il conviendrait encore de rappeler sa visite à la diaspora basque aux Etats-Unis en 1996, lorsqu’il décerna la médaille d’or académique à la radio locale KBBS de Buffalo dans le Wyoming qui diffusait un programme en euskera depuis 40 ans…
Et, comme une pointe d’humour finale, cette poignée de main de Michèle Alliot-Marie lors d’une réception de sportifs émérites à la mairie de Saint-Jean-de-Luz, avec cette salutation adressée au fondateur de la revue « Pilota » : « Bonjour Monsieur, bienvenue dans notre pays »… Il paraît, après coup, que ses copains n’ont pas arrêté de chambrer Jean Haritschelhar : « Alors, vous vous plaisez dans notre pays » ?