Corse, été 2019. Une jeune femme, Madeleine Pastor (Rebecca Marder) se baigne longuement. Plus tard, elle sort de l’eau pour rejoindre son compagnon, Antoine Mandeville (Benjamin Lavernhe), qui se prélasse au soleil méditerranéen, dans une magnifique villa dominant la mer. Les deux amoureux préparent l’oral de la prestigieuse E.N.A (École Nationale d’Administration), tremplin pour de grandes carrières dans la haute fonction publique.
Madeleine, tout juste diplômée de Sciences Po, est d’origine modeste : elle est native de Vénissieux, banlieue ouvrière de la mégalopole Lyonnaise. Son père, veuf, y séjourne encore. Toute accaparée par ses longues études, elle ne lui a pas vu rendu visite depuis des années et ne lui a donné aucun signe de vie.
Antoine est le fils unique d’une grande famille bourgeoise, les Mandeville ; son père Bertrand (Pascal Elso) est un important avocat lyonnais.
Au dîner du soir, sur la grande terrasse, autour de la table familiale, démarre une discussion animée : Madeleine et François affirment vouloir « changer les ligne » lorsqu’ils seront entrés dans la vie active après leur sortie de l’E.N.A. Ils ont des postures de gauche, plus en pointe pour Madeleine ; Bertrand moqueur, ironise sur la qualité de l’environnement et des biens matériels dont ils disposent, à leur gré, dans cette belle demeure estivale.
Une parente des Mandeville, la députée socialiste Gabrielle Dervaz (Emmanuelle Bercot) est amusée par les interventions enflammées des deux jeunes gens. L’élue interroge Madeleine très convaincue par l’urgente nécessité d’une réforme « révolutionnaire » du monde du travail.
En validant les propositions de Madeleine, Antoine déclare à son tour, péremptoire, que « lorsque l’on veut détourner un avion, il faut d’abord monter dedans ». Durant le diner, Bertrand, par ses incessantes remarques caustiques, agace son fils.
Le lendemain, Madeleine et Antoine apprennent qu’ils sont admis à l’oral de l’E.N.A. Fous de joie, ils décident d’aller se baigner sur une belle plage d’alentour. Ils empruntent une voiture ; Antoine est au volant … Sur une petite route un incident tragique éclate …
De grandes espérances n’est que le troisième long métrage de Sylvain Descloux (50 ans). Sa précédente œuvre est un documentaire, Campagne de France (2022), sur l’affrontement de trois candidats lors de la campagne pour les élections municipales de 2020 de Preuilly-sur-Claise (1.000 habitants), commune rurale d’Indre et Loire.
Dans ce dernier opus, le réalisateur, coscénariste avec Pierre Ewan Guillaume, poursuit sa quête politique par une fiction documentée : Madeleine, brillante étudiante « transclasse » (transfuge de classe), issue d’un milieu populaire, entretient une liaison amoureuse avec Antoine, un « fils à papa » de la grande bourgeoisie lyonnaise. Tous deux ont une sensibilité politique de gauche : l’une viscérale, Madeleine, l’autre bien-pensante, Antoine (« gauche caviar »).
La députée ambitieuse, ambiguë, Gabrielle Dervaz (magnifiquement campée par Emmanuelle Bercot) fera, à son insu, le pont entre ces deux protagonistes.
De grandes espérances est un thriller psychologique sur les comportements humains, les choix assumés, face à un drame : selon que l’on soit riche ou pauvre, la résolution du problème ne sera pas la même. Les entourages familiaux réagiront différemment, avec leurs propres armes, pour faire face à cette douloureuse affaire.
Le réalisateur nous propose une galerie de portraits acides mais lucides, des intervenants de ce drame. Le champ social élargi par cette dramaturgie, est bien plus flou, plus méandreux, plus complexe, que celui de l’habituelle opposition manichéenne prolétaires/bourgeois.
Le nouveau film de Sylvain Desclous est sagement, sobrement, mise en scène mais avec efficacité ; il s’attache à décrire le comportement des personnages, avec une focale sur Madeleine (interprétée avec subtilité par Rebecca Marder), un soldat, prise dans un étau qu’elle s’efforce de desserrer par son intelligence et son opiniâtreté.
De grandes espérances est un film français de qualité dont le scénario « bien ficelé », nous fait appréhender, sans didactisme, en sous-texte, les contradictions de notre société fragmentée du chacun pour soi.