Plus dangereux que le Coronavirus : la pandémie intellectuelle qui affecte un monde en voie de déstructuration, confus et brouillé, gavé de « toujours plus d'infos » mais frappé d'amnésie (sélective), simplifié par des clichés et des slogans, déformé par l'effet de zoom des médias, façonné par « le 20 heures » et les chaînes d’information continue, identique partout avec les mêmes mots et les mêmes images débités pratiquement au même moment! Nous sommes ainsi « domestiqués » pour ne plus devenir que des consommateurs « téléguidés », infantilisés, déracinés, des « supporters », des clones, des zombis, contraints par la pression croissante de la pensée unique, de la norme (de préférence « citoyenne, dans un esprit républicain », les grands mots!), de la mode et du « polit’correct » !
Dans cette démocratie « médiatique », volontiers démagogique et impudique, sensible par nature à la manipulation et à la loi marchande de l’offre et de la demande, à l’image d’une fonction politique captive d'une oligarchie soumise à l'esprit de meute des grands médias et réduite au conflit des ambitions personnelles… La charité m’empêche de citer quelques ténors des partis politiques, mais le lecteur suivra sans doute mon regard!
Dans son « Retour au meilleur des mondes » publié en 1958, Aldous Huxley avait déjà prévu ce danger: « Par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, parlements, hautes cours de justice - demeureront mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent.
Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux mais (…) l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera ».
La démonstration d’un universitaire bayonnais
Dans son cours sur le cynisme politique, inspiré entre autres du « Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley et d’« Obsolescence de l’homme » de Gunther Anders, Serge Carfantan, docteur agrégé de philosophie qui a enseigné pendant dix ans à la Faculté de Bayonne ainsi qu’au lycée Victor Duruy à Mont de Marsan, auteur d'une centaine de publications, décrit cette nouvelle forme de totalitarisme qui formate les individus dès la naissance : « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.
L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.
Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter.
Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
Empêcher l’esprit de penser
Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.
On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.
Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclu du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
Comme un troupeau
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels.
On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir ».
Utiliser le « confinement » pour reprendre « ses esprits »
Au sein de ce monde du (mauvais) spectacle qui privilégie l'immédiat, la « pub », l'image « photoshopée » avec ses pièges, la fausse émotion à bon marché, les sondages manipulés, les petites phrases « buzz » et autres « tweets », il convient grâce à de saines lectures (les auteurs classiques de notre jeunesse, par exemple) et d’utiles « méditations », de retrouver autonomie et esprit critique, discerner l’accessoire et l'important, l'immédiat et le plus long terme, l’apparent et le réel, montrer que la vraie ligne de fracture se situe au niveau de quelques fondamentaux politiques authentiques - véritable enjeu de civilisation - par-delà les jeux de rôles des politiciens, dits de droite, de gauche ou d'ailleurs. Vous voyez un rapport avec l’actualité présente ? Vous n’êtes pas le seul, cher lecteur…
Addendum : concernant le "Coronavirus" :
Interrogé par Vincent Trémolet de Villers dans "Le Figaro", Sylvain Tesson charge "l’ultra-mondialisation cyber-mercantile" : rien n’est nouveau. Pestes et choléras fauchent les hommes depuis longtemps. L’Histoire, cette contradiction de l’idée de progrès, n’est que l’éternel retour des désastres et des renaissances. Mais nous avons changé d’échelle. Quand un système change d’échelle, il change de nature. Des drames similaires se produisaient avant le XXème siècle. Ils n’avaient pas cette puissance de volatilité. L’ampleur de la chose est un problème supérieur à la chose elle-même. La grippe espagnole a tué 3 % de la population mondiale, mais, en 1920, la mécanique de la propagation n’avait pas été érigée en instrument de l’organisation globale. N’est-ce pas le principe de propagation qui permet le commerce mondial, le capitalisme financier, l’échange frénétique, l’uniformisation linguistique et culturelle. Pourquoi le virus n’emprunterait-il pas le même courant ?