Dans un bar cosy parisien, Charlotte (Sandrine Kiberlain), la cinquantaine épanouie, discute avec Simon (Vincent Macaigne), un quarantenaire emprunté. Elle est une mère célibataire de trois enfants, lui un père, marié depuis vingt ans, avec deux enfants. Charlotte propose à Simon d’aller chez elle pour prendre un dernier verre, et plus si affinité. Simon d’abord hésitant, décontenancé, accepte, mais dans un souffle, estime que « ça va trop vite ».
Dans son appartement, Charlotte, toujours aussi à l’aise, propose une tisane, sur fond de musique indienne sensuelle (Swarna Jayanti de Ravi Shankar) à Simon qui, maladroitement, tente de freiner l’enthousiasme de celle-ci : il n’est pas « sans doute un bon plan ». Ils finissent sur l’incitation de Charlotte à faire l’amour … et s’en trouvent bien. Débute alors une liaison entre eux ou la sexualité s’exprime sans contrainte mais l’amour y semble absent. Charlotte a fixé les règles de leur aventure : sur un calendrier aléatoire, ils conviennent de rendez-vous rapprochés ; ils se font du bien sans penser au lendemain, au quand-dira-t-on, sans s’encombrer de « morale bourgeoise ». Les mois passent : leurs rendez-vous épisodiques qui ne débordent pas, empiètent leurs routines, les contentent. Tantôt chez Charlotte, tantôt à l’hôtel, le duo s’épanouit sans l’ombre d’un nuage. Ils voyagent aussi, visitent des musées, se baladent dans la campagne tout en devisant : elle étincelante au débit rapide ; lui plus appliqué, lent, cherchant ses mots. Leurs caractères sont opposés, leur langage aussi, mais l’harmonie règne.
Lors d’une visite d’un château, Charlotte et Simon rencontrent fortuitement une guide occasionnelle, Louise (Georgia Scalliet) avec laquelle ils vont sympathiser …
Chronique d’une liaison passagère est le onzième long métrage d’Emmanuel Mouret (52 ans) dont les deux précédents opus nous avaient enchantés : Mademoiselle de Joncquière (2018) histoire d’une frivole dans la France du XVIIIème siècle à la manière de Pierre Choderlos de Laclos (1741/1803), et Les Choses qu’ont dit, les choses qu’ont fait (2020) film choral sur les intermittences du cœur entre quatre personnages.
Ici, Emmanuel Mouret et son co-scénariste, Pierre Giraud, « réduisent » l’histoire autour de deux protagonistes, Charlotte et Simon qui seront, tardivement rejoints par un troisième, sorte d’électron libre, Louise. Le film est aéré les acteurs étant sans cesse en mouvement que ce soit dans des lieux clos (vastes appartements, lieux de travail, maisons d’architectes, etc.), où à l’extérieur (squares, jardins, forêts, etc.). A nul moment ils ne sont enfermés dans un quelconque lieu contraignant qui pourrait induire une relation toxique : c’est exactement l’opposé.
A la précision de l’écriture des dialogues s’ajoute une fluidité constante dans la mise en scène : le réalisateur multiple les plans séquences qui suivent ou anticipent le rythme des paroles énoncées, surtout par Charlotte sous forme de travelling dynamique qu’il ralentit aux débits laborieux, hésitants, de Simon.
Le cadre est toujours parfait nonobstant le choix du format scope de l’image (2.39 :1) en principe peu propice aux scènes intimistes ! Emmanuel Mouret lorgne à l’évidence du côté des grands metteurs américains de la comédie sentimentale, romantique, ou dramatique tels que Ernst Lubitsch (1892/1947), Preston Sturges (1898/1959), ou plus près de nous le Woody Allen des grands jours (Annie Hall – 1977).
A l’instar de ses glorieux aînés, il ne montre pas la fièvre sexuelle directement mais la suggère, l’irradie tout au long du récit par la bande son musicale : La Javanaise de Serge Gainsbourg (1928/1991), de multiple sonates et adagios pour piano de Wolfgang Amadeus Mozart, sans oublier Georg Friedrich Haendel (The Arrival of the Queen of Shea) et Francis Poulenc (Concerto pour deux pianos et orchestre). La musique existante, non originale, omniprésente, constitue un support auditif constant à l’action des deux protagonistes ; elle imprime à leurs rapports un climat sonore empreint de légèreté absente de tout drame. La bande son mixée avec élégance, contribue selon le vœu d’Emmanuel Mouret, à ce qu’un film soit fait pour « jouer avec l’attente du spectateur ».
C’est autrement dit une position anti frères Dardenne (Jean-Pierre et Luc) qui nous assènent des récits sociaux programmés ! Par ironie, la seule sortie de Charlotte et Simon au cinéma est pour visionner Scènes de la vie conjugale (1974) du suédois Ingmar Bergman (1918/2007), récit implacable d’un couple qui se défait.
Avec Chronique d’une liaison passagère Emmanuel Mouret a atteint son magnum opus que laissaient préjuger ses deux dernières œuvres. Il a ramené son récit à un couple (puis une troisième intervenante …) tout en élargissant la palette des émotions : les personnages gagnent en profondeur sans nous accabler de leurs sentiments. C’est une coupe de champagne !
Chronique d’une liaison passagère a été au dernier Festival de Cannes en sélection officielle section « Cannes Première ».