Le 2 septembre 1953, la fête donnée à Chiberta par le Marquis de Cuevas marquait la renaissance artistique de la côte basque. Ses ballets continuent d’inspirer les projets culturels de Biarritz.
Le 2 septembre 1953, la fête donnée à Chiberta par le Marquis de Cuevas marquait la renaissance artistique de la côte basque. Ses ballets continuent d’inspirer les projets culturels de Biarritz.
A peine achevée la guerre de 39-45, l’Université américaine avec ses 4000 soldats encadrés par un millier d’officiers avait annoncé le retour à Biarritz des grandes manifestations qui eurent presque toutes pour cadre le Casino Municipal, en particulier une exposition d’Art français contemporain alors que tous les musées de Bayonne, de Bordeaux et du Sud-Ouest demeuraient encore fermés. Car, dès son élection, le nouveau maire Guy Petit s’était préoccupé de faire renouer la ville avec sa vogue touristique et artistique passées.
Ainsi, la saison 1953 voyait-elle sur cette la scène du casino Marie Bell et Aimé Clariond briller dans « Le Misanthrope » de Molière ; le violoniste Jacques Thibaud troquer exceptionnellement contre la baguette de chef d’orchestre son archet « à la mâle éloquence, à l’élégance française, à la sonorité ravisseuse », et se faire acclamer triomphalement avant de périr, hélas, quelques jours plus tard, à bord du « Constellation » d’Air-France, écrasé contre un sommet de Barcelonnette / voir notre article de vendredi dernier :
https://baskulture.com/article/thibaud-ravel-et-lme-du-violon-un-double-anniversaire-6240
Jacques Heim ouvrir la saison du haute-couture en présentant au « thé des Ambassadeurs du Casino Municipal » sa somptueuse collection de robes du soir accompagnées de merveilleuses fourrures et des bijoux de Boucheron ; enfin et surtout, le Marquis de Cuevas connaître le succès fulgurant de ses extraordinaires ballets, point culminant des arts et des fêtes sur la Côte Basque et œuvre de mécénat en faveur de la restauration du château de Versailles.
Car pas une saison ne se déroulait sans que l’ « International Ballet of the Marquis de Cuevas » ne vînt fasciner et enthousiasmer des public connaisseurs, en illustrant la scène du théâtre des plus grandes étoiles de la danse classique : Rosella Hightower, impeccable de sûreté, et l’étourdissant, l’aérien Serge Golovine, dans le « Pas de deux » de Tchaïkovsky, Jacqueline Moreau et Wladimir Skouratoff dans une composition espagnole, véritable festival de l’art chorégraphique de Pépita à Fokine, Massine ou Balanchine.
Chiberta : que la fête commence !
Le 1er septembre 1953, l’enchantement continuait à Chiberta, où le divin marquis donnait dans un décor de rêve la fête la plus fastueuse et la plus éblouissante qui se puisse concevoir.
Déjà, la veille, on avait installé les décors, hissé de grands velums bleus en haut des pins et habillé de treillages et de fleurs le Country-Club, transformé en palais Louis XV ; sur l’estrade, un piano accompagnait d’illustres dames s’essayant à des révérences en short, Pierre Balmain se dandinait avec bonne humeur, Guy d’Arcangues dansait et se multipliait et, dans un coin, le marquis-mécène dirigeait les répétitions, un pékinois sous le bras, avec quelques golfeurs comme toile de fond.
Sur sa chorégraphie savante, la nuit féerique verra les évolutions colorées et chatoyantes de deux mille invités en costumes du XVIIIe siècle, accueillis par une double rangée de laquais en habit rouge et perruque blanche.
Mais le spectacle commence : les trompettes annoncent le roi des Jardins – le Marquis de Cuevas, en somptueux costume de drap d’or, coiffé d’un haut panache de plumes jaunes – entouré des quatre saisons.
Après avoir vu Rosella Hightower et Georges Skibine danser le « Rondo Capriccioso », le souverain accueille ses hôtes, Louis XV - Maurice Escande – accompagnant la chaise de la Pompadour, Merle Obéron en robe blanche à longue traîne, Gabrielle Dorziat en Arlequine entourée des personnages de la Comédie italienne, Zizi Jeanmaire chevauchant un véritable chameau, Anabella, Suzy Solidor, une nuée de Persans et de Turcs vêtus de soie et de velours, parés d’aigrettes et de diamants, suivis d’esclaves porteurs de dais ; Elsa Maxwell en Sancho Pança suit Don Quichotte ; le duc de Brissac , imposant dans son habit rouge d’amiral, conduit l’Ambassade des terres lointaines avec le comte et la comtesse de Castries.
Pierre Balmain avait composé l’entrée finale, une saynète mimée, dansée et chantée par la marquise de Portago, le prince Michel Ghika, Guy d’Arcangues, Raymond Marcillac et quelques autres invités, dont Luis Miguel Dominguin, coqueluche des photographes...
Et maintenant, place au « Lac des cygnes », interprété par la compagnie du Marquis de Cuevas.
Venant de la rive opposée, les danseurs traversent très lentement le lac de Chiberta, sur un radeau dont l’étrave et les bordages figurent des cygnes blancs ; les projecteurs accompagnant la marche de l’embarcation sur laquelle évoluent les artistes, illuminant en même temps le petit temple de l’Amour construit sur le lac et revêtu de draperies irisées.
L’effet était prodigieux. Jamais sans doute le ballet romantique ne fut présenté et mis en scène avec un tel déploiement de luxe et de goût, dans un cadre aussi somptueux.
Prolongeant la féerie jusqu’au jour, le ballet désenchaîna le bal, où le moindre figurant était prince, la moindre ballerine marquise ou duchesse, et tout spectateur, pour le moins ministre ou Grand d’Espagne…
Tard dans la nuit, la soirée se terminait et les derniers invités encore éblouis rejoignaient les bras de Morphée. Le marquis de Cuevas et son épouse regagnaient leur belle demeure de Biarritz.
Il me reste la médaille que recevait chaque invité, au nombre desquels, ma tante Sophie de R. de La Cerda, ainsi que ma grand-mère maternelle, qui me l’avaient transmise…
On peut revoir le reportage qui avait été tourné à cette occasion :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85005243/le-bal-du-marquis-de-cuevas