La mi-octobre réveille la fièvre de la palombe. Chasses, confréries, gastronomie, chants et publications alimentent cette passion dévorante.
Henri IV se serait-il rendu aux palombières de Sare avec son ministre Sully ? Jacques Antz, l’érudit historien de Sare qui a consacré une monographie très documentée et illustrée sur les chasses aux palombes dans le n°10 (2e trimestre 2000) de la revue « Jakintza » laisse cet épisode « à la mémoire populaire ». Comme sur les autres cols du Pays Basque, ce mode de capture ancestral consistant à rabattre dans un filet, sans les blesser, des oiseaux volant à plus de 100 km/h, plongerait ses racines dans la légende de Roncevaux avant de faire transformer aux révolutionnaires le nom même de Sare en « Palombière » ! Mais, plus près de nous, Napoléon III et le roi d’Angleterre Edouard VII y goûtèrent à cette fièvre bleue qui précipite depuis des siècles une population de chasseurs – et d’amateurs de tout poil et de toutes plumes – sur les cols du Pays Basque. Car, selon Gaétan Bernoville, « les palombes sont une des grandes poésies du ciel basque. Elles sont le signe de l’automne, saison-reine… et les accompagnatrices fidèles du vent du sud. Parmi les nuées étirées sous le ciel ardent, elles passent, innombrables, et souvent rasent les collines et les toits sous le vent ; elles sont migratrices comme les Basques et à la fois, comme eux, fidèles aux mêmes horizons. »
Souvenirs d'un art de vivre
Du « grand truc » à la Saint-Luc et du « grand train à la Toussaint » jusqu’à « la fin » à la Saint-Martin, et de Sare aux Aldudes ou de Soule à Lantabat, l’homme a mis en œuvre toute son ingéniosité afin de mieux intercepter le vol du pigeon ramier, développant à l’occasion un art de vivre autour de ses cabanes masquées de feuillages : « c’est un grand moment de détente, on en parle pendant des semaines, et il est inutile d’espérer trouver un artisan dans la région pendant cette période », remarquait Gérard Bidegain, qui attendait les grands vols pour offrir ces délectables palombes flambées au capucin dans son restaurant « Hauzteya » à Garris, hélas fermé depuis des années. Déformation du mot basque « haroztegia » signifiant la forge, celle installée par son grand-père lui permettait de les apprêter à la vue des gourmets qui réservaient leur table « parfois dès le mois d’août, pour ceux qui auraient raté l’opportunité l’année précédente ». Car la réputation du lieu attirait la clientèle de la côte comme celle du Béarn, et Gérard Bidegain servait beaucoup de repas d’entreprises qui « y invitaient leurs clients pour des réunions de travail qui s’achevaient autour d’une palombe ».
D’ailleurs, on se presse à Saint-Palais, « surtout à partir du 20 octobre », me confirmait naguère Michel Salaberry, patron du restaurant du Trinquet et président d’une « Confrérie de la Palombe flambée » qui réunissait à l'époque une demi-douzaine de restaurateurs du cru pour la plus grande gloire de la gastronomie locale.
Nous aurons l'occasion de revenir, la semaine prochaine, sur les meilleurs restaurants de notre région qui servent les palombes...
Une passion encyclopédique
Je me souviens avoir été intronisé (il y a bien longtemps) au sein de la Confrérie de la Palombe « Uso batasuna » à Sare : la mecque de la contrebande et des pottoks continue d’honorer le gibier emblématique du ciel basque sur ses meilleures tables comme celles de sa voisine navarraise Etxalar avec qui elle partage ses pantières, ses filets et ses traditions. Car, n’est-ce pas précisément à Etxalar que l’on a retrouvé les plus anciennes traces écrites de cette chasse, un document de 1378 lui faisant obligation « d’attribuer 24 palombes vivantes chaque premier de l’an au curé de la paroisse » ? L’anecdote, entre maintes autres savantes études, était rapportée dans la très belle « Encyclopédie de la Palombe » publiée il y a quelques années par Jacques Luquet aux éditions Atlantica qui a sorti depuis lors un nouvel ouvrage : « Palombes, une histoire illustrée » (éditions Sud Ouest, 2021).
Au fil des années, Jacques Luquet a réuni une foule de documents, souvent rares et précieux, autour de l’oiseau bleu. Dessins, gravures, photos, tableaux, objets, témoignages écrits, rien n’échappe à son œil de collectionneur. Après avoir accompagné à la chasse ses oncles et cousins, le jeune orthézien était entré à l’Office National des Forêts où il avait bénéficié d’une formation cynégétique dans l’Est de la France avant de revenir dans notre région.
Fondateur d’une association « Palombe palombière patrimoine », sa passion lui fait collectionner tout ce qui s’y rapporte de près ou de loin : mécaniques, timbres, pin’s, objets anciens de préférence. Sa conception de la chasse dans l’idéal : « un grand bois de 50 ha où il pratiquerait tous les styles, sauf la volée ». Les couloirs de migration des palombes évolueraient-ils ? « Ils restent les mêmes, mais peuvent changer d’une année sur l’autre à cause de la météo ou des défrichages ».