Toutes les facettes virtuoses de Chaplin se trouvaient réunies au cours du Ciné-Concert que l'Ensemble Orchestral de Biarritz dirigé par Yves Bouillier avait donné devant une Gare du Midi comble pour la Noël 2019. Il s’agissait du chef d 'œuvre « Les Lumières de la ville » réalisé en 1931, où rires et larmes s'entremêlent comme par magie, la musique entre en résonance profonde avec les images et en intensifie l'éclat poétique.
Or, Yves Bouillier ne pouvait mieux choisir Charlie Chaplin et « Les lumières de la Ville » car, parmi les étoiles du VIIème Art hollywoodien qui firent de Biarritz leur destination privilégiée pendant les Années Folles, Charlot occupe une place de choix : il était précisément en Europe pour une tournée de présentation des « Lumières de la Ville » en compagnie de May Reeves, une créature troublante et mystérieuse qui lui inspirera plus tard « La Comtesse de Hong Kong ».
Ainsi, une photo prise vers 1931 au Bar Basque à Biarritz le montre attablé avec son mentor Harry d'Arrast : Henri d'Abbadie d'Arrast, le neveu du savant constructeur du château d'Abbadia sur la corniche hendayaise s’était fait connaître à Hollywood comme « Harry d'Arrast », le réalisateur de « Service for Ladies », « Serenade », « Topaze » d'après Pagnol et « A Gentleman of Paris ». Il avait emmené dans son château d’Etchauz à Baïgorri son ami Charlie Chaplin, en tournée de promotion de son film « Les lumières de la ville ». Il y avait une nuée d'aristocrates autour d'eux, car les divas hollywoodiennes appréciaient fort le sang bleu : Charlie Chaplin consacra ainsi une bonne partie de ses mémoires à ses relations aristocratiques et à l'ex-Reine Victoria-Eugenia d'Espagne avec qui il lui arriva de prendre le thé.
Mais au château baïgorriar d'Echauz de son ami Harry d'Arrast, Charlot préférait la résidence du marquis d'Ivanrey à Biarritz. S'adonnant en toute quiétude aux joies combinées du tennis, du golf et du canot à moteur, assistant même à une corrida à Saint-Sébastien, Charlot fuyait les honneurs et les réceptions officielles, se défiant particulièrement des journalistes.
A ce propos, il y a une anecdote peu connue : un journaliste britannique qui l'avait suivi exprès depuis Londres où Charlot avait commencé sa tournée européenne, afin de lui arracher des propos sensationnels, avait réussi à forcer le barrage qui protégeait l'acteur en usurpant sur un bristol de qualité le nom d'un baronnet de son pays.
Le voilà donc introduit dans l'antichambre de la villa du marquis par la naïve domestique de son hôte.
Dès qu'il l'aperçut, Charlot s'immobilisa, et sans desserrer les lèvres, l'examina rapidement, de la tête aux pieds, en connaisseur.
Puis, sans laisser à l'intrus le temps d'une quelconque réaction, et ouvrant toute grande la porte d'entrée, il fit de la main droite un geste expressif, mettant ainsi un point final à ce gag digne de ses meilleurs films muets.
Une autre fois, tout comme Buster Keaton qu'il avait précédé à Biarritz de quelques jours, Charlot mystifia un reporter français avec le récit imaginaire d'une rocambolesque chasse à l'éléphant.