1 – Une force personnelle.
Bientôt promis à la canonisation, la personnalité du Bienheureux Charles de Foucauld a toujours fasciné les publics les plus divers, militaires, civils ou religieux, historiens, chroniqueurs et aventuriers.
L’homme séduit, étonne, et fait rêver. On le place avec Thérèse de Lisieux, comme les deux personnalités du temps qui ont illuminé le XXème siècle selon Yves Congar.
- Douze congrégations religieuses, huit associations de vie spirituelles ont suivi les intuitions de Charles, le mystique ermite.
- Dans sa vie, depuis son enfance, son adolescence, ses études militaires et le parcours indicible du soldat, plusieurs vies s’imbriquent les unes aux autres.
- Avant que n’advienne la vie monastique atypique du religieux jusqu’à l’extrême, son assassinat dans l’ermitage algérien qu’il avait construit de ses mains pour vivre une vie érémitique absolue, en ce jour mémoriel du 1er décembre 1916.
Les origines de Charles sont périgourdines pour une partie de son ascendance, et alsaciennes pour l’autre.
Né à Strasbourg le 15 septembre 1858, les grands parents y avaient subi la Révolution française et connaîtront le sort de nombre d’aristocrates de ce temps. Cependant, dans la famille, les deux traditions - royaliste et républicaine - cohabitent chez ses deux parents.
Un frère aîné naîtra, prénommé Charles, mais il mourra un mois après sa naissance. Charles portera ce même prénom et celui d’Eugène à sa naissance le 15 septembre 1858 dans la maison familiale alsacienne - l’hôtel particulier de ses parents où la « Marseillaise » fut chantée pour la première fois, en 1792.
On devine la ferveur et les ardeurs patriotiques de ce fils de bonne famille.
Baptisé dans une église qui servait à la fois de temple protestant et d’église pour les catholiques, le profil de Charles fut marqué par cette histoire sociale et religieuse à l’époque de la guerre franco-prussienne de 1870, date à laquelle la famille quitte Strasbourg pour Nancy.
Puis les drames personnels affecteront l’enfant devenu orphelin dès l’âge de six ans, privé de ses père et mère. Il sera confié au grand-père, un militaire du rang, polytechnicien – le colonel de Merlet - dont il dira : « mon grand père dont j’admirais la belle intelligence, dont la tendresse infinie entoura mon enfance et ma jeunesse, d’une atmosphère d’amour dont je sens toujours avec émotion la chaleur ».
Charles subira de par son statut d’orphelin une instabilité des lieux de villégiature au cours de sa scolarité difficile. Les internats jésuites parisiens, les règles de disciplines imposées ne répondent pas à ses souhaits. L’adolescence poursuit le jeune Charles de requête critique vis à vis de la foi religieuse reçue dans sa famille. Son caractère affirmé rebelle en fait un enfant difficile et ombrageux.
Nanti de diplômes scolaires et de mention pour ses études, une jeunesse fort dissipée l’attend, faite de liberté, de camaraderie et de contestation. La lecture des livres de Voltaire, d’Erasme, de Rabelais, de Laurence Sterne, ouvrent des horizons inespérés pour l’adolescent en quête d’aventure spirituelle.
Ces aventures de jeunesse suivront.
La distance d’un grand père malade et sa disparition accentuent encore la séparation affective d’une vie nouvelle insolite, dissolue et frivole. Scolarisé à Saint Cyr, Charles à dix neuf ans quand meurt son grand père aimé. Il lui laissera une fortune colossale dont il dilapidera en peu de temps une grande partie, avant d’être placé sous protection juridique dans la gestion de ses biens familiaux.
Saint-Cyr avec sa discipline scolaire de l’Ecole ne s’accorde guère avec le caractère impétueux du postulant de la carrière militaire. Il connaîtra le renvoi et dira de sa vie dévergondée : “J’étais moins un homme qu’un porc”!
Bien qu’éloigné de ses camarades un premier temps, il garde le contact avec ceux-ci, retrouve les bancs de sa formation et devient un officier reconnu par nombre de camarades de sa promotion qui l’entraînent vers l’Algérie. Une respiration personnelle dans une jeunesse compliquée, tourmentée et lâchée à sa gouverne.
2 – De Saint Cyr et Saumur au Maroc.
Il y rencontre un officier du nom de François Laperrine avec qui se noue une réelle amitié personnelle. Le militaire et l’aventurier formé à l’Ecole Militaire s’attachent l’un à l’autre.
Voici Charles devenu explorateur au Maroc où il étudie l’arabe, l’islam, et l’hébreu. Camouflé dans des rôles et des missions officieuses, il accomplit une carrière discrète, brillante et personnelle.
Le pays fascine le jeune homme qui s’enracine dans cette culture nouvelle pour lui. Il y rencontre un rabbin israélite de la communauté juive marocaine Mardochée Daby Serour qui lui demande de “devenir juif” lui aussi, guidé par le rabbin comme un disciple pour entrer dans les tribus marocaines et partager la vie de la communauté juive de ce pays.
Echappant de la sorte au contrôle direct du sultan et pouvant mener ses études in situ sans suspecter la garde marocaine.
“Les juifs, dira-t-il, ne comptant pas pour ces musulmans, et les chrétiens demeurant chassés, la seule alternative pour Charles était d’endosser cet uniforme et circuler avec son maître et compagnon en camouflage ! Il passera pour le Rabbin Joseph Aleman, un pseudonyme de juif d’origine moldave pour le cas, chassé par des Russes fictifs et venu rendre visite aux juifs marocains, ses ancêtres...
Charles est en fait un géographe muni des accessoires nécessaires aux calculs, sextant, boussoles, baromètres et thermomètres, carnets et papiers dissimulés pour réaliser les études, à la demande d’un autre géographe français qui cherchait à étudier le pays in situ.
Charles mène ainsi cette vie aventurière un an durant, 1883-84, il sera le premier européen à s’introduire dans des terres reculées du Maroc, sous le déguisement d’un faux juif, guidé d’un vrai rabbin, car pour échapper à la sécurité rudimentaire du temps, les juifs passent pour des populations marginales sans risque de menace pour le sultan.
A son retour en France, Charles recevra la médaille d’Or de la Société Géographique française, et les Palmes Académiques en Sorbonne pour ses études, graphiques, et les récits ethnologiques totalement inédits relevés dans ses carnets, pour cette époque.
Le séjour parisien est court : Charles est heureux au Maroc à nouveau, mais envisage de passer en Algérie.
A Paris, les siens chercheront à le marier avec une jeune fille de bonne ascendance, mais peine perdue, il est rebelle et les belles parentés doutent encore de son intention de le faire.
Il sera célibataire, libre de toute attente, aventurier de toute une vie !
Mais lors de son séjour parisien, sa vie a changé. Retrouvant sa foi de jeunesse, dissipée et abandonnée, il demandera à devenir prêtre et sera ordonné en 1901 à Viviers.
Le revoilà en Algérie à Bein Abbès, moine trappiste. Il embrasse une vocation religieuse mais l’expérience est courte. Ses exigences personnelles sont déçues. La vie monastique lui parait manquer de discipline, de rigueur et d’austérité. Trappiste, cistercien, un temps, le sien est de vivre en ermite de la stricte obédience.
De Nazareth, au Sahara, sa voie est désormais tracée, ce sera l’ermitage de Tamanrasset en 1905 dans le désert du Hoggar qu’il construira de ses mains ...
Après des séjours multiples dans diverses abbayes, cherchant sa voie, et sa vocation. Espérant trouver des compagnons, il doit déchanter !
- Il faut se souvenir des études produites par Charles de Foucauld, mué en géographe marocain, qui permirent de dessiner le tracé du transsaharien pour le train qui viendra en ce pays grâce à son travail.
- On doit rappeler que le premier Dictionnaire en quatre volumes de français/tourareg fut produit par l’explorateur Charles de Foucauld, sur un travail long de plusieurs années mené sur le terrain, interrompu et repris plusieurs fois.
- il écrivit dans ses notes personnelles ses “Prières d’abandon” qui le conduiront sa vie durant dans sa vie érémitique.
René Bazin sera le premier biographe de cette vie, sous le thème de La biographie de son martyre.
Toute sa vie fut une succession d’aventures personnelles, inachevées, à l’image originale d’un sujet exceptionnel.
L’Eglise fut fascinée par ce moine du désert de l’Orient : elle canonisera le témoin de ce temps historique passé qui conjuga la vie militaire, la vie sociale et spirituelle traversée par les guerres, les rivalités et les épreuves nationales du XX ème siècle naissant.
Sa vie fut un questionnement, sa mort un mystère, son destin un recueil en quête de réponses.
- Qu’en diront ses “frères Touareg” qui le vénèrent dans leur mémoire ?
- Qu’en feront les moines trappistes et cisterciens, qui l’admirent sans l’oublier ?
- Qu’en pourra l’Eglise des deux rives de la Méditerranée porteuse de ce récit spirituel exceptionnel, de la rencontre des religions dans le monothéisme d’aujourd’hui?
L’avenir le dira prochainement lorsque seront connues les conditions d’une canonisation romaine “d’un français à l’âme orientale”qui choisit d’aimer ses co rélegionnaires au prix de sa vie !
3 – Une floraison d’œuvres sur sa vie.
- Depuis le livre publié par René Bazin à la demande de Louis Massignon, les œuvres spirituelles de Charles n’ont cessé de se répandre dans le monde.Les correspondances privées sont connues désormais.
- Aux oeuvres scientifiques se joignent les chants, les musiques, une grammaire touarègue, et de la prose en cette langue.
Depuis le livre de René Bazin Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, plus de 45 livres furent publiés en français.
- Il faut ajouter les bandes dessinées de sa vie, les films, le théâtre, les DVD qui s’en sont inspirés.
- Léon Poirier réalise un film intitulé Charles de Foucauld en 1936.
- Un aumônier militaire Xavier Louis, aux Invalides, propose en 1940 une Exposition sur le soldat Foucauld l’Africain.
- On ajoutera à cette énumération une pièce de théâtre pour les familles, Charles de Foucauld, prince du désert, de l’abbé Pierre Amar.
- Un court métrage sur ses premières années à la Trappe en 2009.
- Des vitraux illuminent en France, Montmartre, l’église Saint Maurice de Lille, ou à la Sainte Baume.
- A Saumur une place porte son nom, l’Ecole Saint Cyr-l’Ecole de Coetquidan, une paroisse.
- Une statue enfin à Strasbourg de bronze est placée dans l’église de son baptême en 2006 et la Maison des Enarques de la ville s’enorgueillit de son patronage.
Charles de Foucauld n’ayant laissé que peu de gens indifférents à cette vie d’exception, la canonisation prochaine devrait de toute évidence réveiller sa mémoire et son génie spirituel revisité par des générations plus jeunes qui le découvriront au fil des années suivantes.
Légende : tCharles de Foucauld à Tamanrasset en Algérie, 1905