Turquie, est de l’Anatolie. Soulevant un nuage de poussières, une luxueuse berline traverse, à vive allure, un désert brûlant. A son volant, un jeune homme aisé, bien mis : Emre (Selahattin Pasali), procureur de la République qui rejoint son premier poste dans la bourgade anatolienne reculée de Yaniklar. C’est un citadin, juriste tout juste diplômé, sans attache affective, mis à part sa mère.
Dès son arrivée, il assiste à une chasse au sanglier dans les rues et venelles du village. Des hommes excités, avinés, à l’arrière de pickups, armés de fusils de chasse, tirent en l’air en vociférant. Une cohorte de villageois, en liesse, les accompagne en chantant. Sur le sol, une trace de sang continue : celle du sanglier abattu.
Emre s’installe dans une maisonnée au cœur du bourg ; le logement est spartiate, sans commodités ; des rats circulent sans cesse ; il n’y a pas d’eau courante au robinet. On frappe à la porte d’entrée : un dératiseur est mandaté par la propriétaire des lieux.
Il office, sous le regard étonné du procureur, en dispersant du blé empoisonné dans toutes les pièces de l’appartement. Après son départ, Emre allume son ordinateur et converse avec sa mère qui s’inquiète de son installation.
L’’Anatolie est en partie un plateau calcaire qui favorise la naissance de dolines d’effondrement, lesquelles mettent en péril, dans une zone désertique, les nappes phréatiques : la pénurie d’eau, récurrente, est un lancinant problème de survie. Des dolines, gouffres circulaires et profonds, apparaissent soudainement dans le désert aux alentours de Yaniklar.
Emre fait convoquer dans son bureau, par le commissaire de police interloqué, deux suspects du charivari de la veille. Les responsables sont deux notables de Yaniklar : Sahin (Erol Babaoglu), un moustachu chauve fils du maire, et Kemal (Erdem Senocak) son ami dentiste. Emre rigide, quelque peu condescendant, accuse les deux coupables, qui reconnaissent les faits, d’avoir mis la population en danger par leurs coups de feu intempestifs.
D’abord courtoise, la discussion se durcit face à l’intransigeance du jeune procureur.
Plus tard, afin de s’extraire de la chaleur étouffante, Emre part se baigner dans un lac artificiel à proximité du village. Un homme à moto, observe, avec intérêt, ses ébats dans l’eau : Murat (Ekin Koc), un journaliste opposé au maire qui suit les élections prochaines de Yaniklar.
Pour régler le litige à l’amiable, le maire du village invite Emre à diner, la nuit tombée, dans son jardin en compagnie de Sahin, son fils, et de Kemal. Les convives mangent, trinquent, boivent force raki … la soirée s’éternise, la nuit est noire … Le maire prétexte une obligation urgente pour s’éclipser …
Un « carton » sur l’écran précède cette longue séquence : Le Festin. Trois autres « cartons » découperont Burning Days en quatre chapitres.
Burning Days est le quatrième long métrage de Emin Alper (48 ans). C’est une œuvre ambitieuse car, sous couvert d’un thriller psychologique, elle aborde les thèmes du populisme ordinaire (promesses non tenues par les élus), de la xénophobie (l’étranger, bouc émissaire), de la corruption (politique et autres), de l’homophobie (versant du machisme).
L’enquête filandreuse, erratique, du procureur de la république psychorigide, figé dans le droit, mais sous la pression d’un environnement hostile, est révélatrice de ce microcosme fétide. Les notables manipulent avec cynisme la population pour dissimuler à leur regard, leurs incompétences, leurs déficiences, leurs concussions. Le réalisateur remarque que : « les gouffres béants (dolines) symbolisent les fosses dans lesquelles les populistes nous entraînent ».
Les développements scénaristiques de ce sujet préoccupant (songeons au tremblement de terre de février 2023 en Anatolie, puis à la réaction désastreuse des autorités locales et nationales) sont en tous points remarquables.
La république de Turquie est un grand pays par son histoire multiséculaire, sa superficie (7,8 milliers de Km2), sa population nombreuse (85 millions d’habitants !), sa localisation géographique entre l’Occident et le Moyen-Orient. Toutefois, son histoire tourmentée depuis le début du XXème siècle (Première Guerre Mondiale) conclue par l’accession au pouvoir, en 1923, de Mustafa Kemal Atatürk (1881/1938) bâtisseur des fondations fragiles de cet état laïque.
Cependant, pour causes diverses (coups d’état militaire, élections truquées, etc.), le pays demeure toujours en tension entre l’occident et l’orient, et le centre de gravité politique/religieux glisse vers l’est depuis deux décennies (2003, Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ; 2023, toujours au pouvoir en tant que Président).
Burning Days a été présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section Un certain regard. Malgré son succès critique, le ministère turc de la culture, après projection, a exigé le remboursement du financement public consenti lors de la préproduction. Fort heureusement, ce long métrage dépendait également d’une coproduction importante avec pas moins de cinq pays européens.
Sous couvert de « polar », circonscrit à une bourgade désolée, Burning Days est une œuvre riche, intense, sans baisse d’intérêt, qui en dit long sur l’état de lieux actuels de la république de Turquie.