0
Musée
Biarritz : "Sorcellerie, Manigances et Sarabandes" au Musée Historique
Biarritz : "Sorcellerie, Manigances et Sarabandes" au Musée Historique

| Alexandre de La Cerda 1078 mots

Biarritz : "Sorcellerie, Manigances et Sarabandes" au Musée Historique

Une exposition bien documentée.jpg
Une exposition bien documentée ©
Une exposition bien documentée.jpg
Panneau explicatif des relations canadiennes des procès de sorcellerie.jpg
Panneau explicatif des relations canadiennes des procès de sorcellerie ©
Panneau explicatif des relations canadiennes des procès de sorcellerie.jpg

Jusqu’au 17 septembre, le Musée Historique de Biarritz propose l'exposition "Sorcellerie, Manigances et Sarabandes" enrichie des très beaux costumes prêtés par la compagnie Maritzuli et de panneaux explicatifs (entrée six euros / gratuit - douze ans / ouvert du mardi au samedi de 10h à 13h et de 14h30 à 18h30).
Une exposition qui, en dehors du bel aspect esthétique, permettra de revenir sur les véritables "leviers" de cet épisode de notre histoire basque, qui diffère parfois de ce qui arriva dans d'autres pays, même voisins.
Car, parmi les assertions & commentaires entendus sur le sujet, combien de fois aurais-je perçu ce "marronnier" (en termes journalistiques, un sujet qui revient chaque année) de l'aspect "répressif de l’église catholique romaine et de son Inquisition" auquel de bonnes âmes ajoutent encore "un antisémitisme échevelé" à cause de la mention de "sabbat" des sorcières ! 
Or, en ce qui concerne les procès de 1609 en province du Labourd, instrumentalisés par le pouvoir royal, ils répondaient à des questions essentiellement "géopolitiques", et ce sera plutôt l'évêque de Bayonne qui y mettra fin lorsque des prêtres du diocèse seront accusés de... sorcellerie (en particulier celui d'Ascain) ! D'où l'opportunité de ce rappel historique que j'avais publié dans l'hebdomadaire régional il y a une quinzaine d'années à la suite de ma participation - à distance - à un remarquable colloque historique au Québec.

La véritable histoire des sorcières basques

Au début du XVIIème siècle, le Labourd subissait une terrible vague de procès en sorcellerie instruits par Pierre de Lancre, un conseiller au Parlement de Bordeaux d’origine basque. Ces événements ont durablement marqué la province, provoqué un début d’exode en Navarre également touchée et inspiré de grands peintres.

Dans une lettre datée du 17 janvier 1609, le roi Henri IV qui venait de nommer le conseiller au Parlement de Bordeaux Pierre de Lancre à la tête d’une commission chargée d’enquêter sur la sorcellerie au Labourd, « pays quasi infecté en tous endroits par un si grand nombre de sorciers et de sorcières », précisait que « les condamnations à mort des sorciers seront sans appel ».
Or, les célèbres procès en sorcellerie qui ont furieusement agité la province basque en débordant l’année suivante sur les villages navarrais voisins, particulièrement Zugarramurdi, pourraient être mis en relation avec la traite des fourrures que les Basques pratiquaient au Canada bien avant l’arrivée des Français et de Champlain, lesquels voulurent y imposer « leur » monopole d’un commerce si fructueux.

La proximité des dates et des protagonistes des deux affaires ne serait pas dus au seul hasard, même si l’un des éléments déclencheurs provenait des sanglantes rivalités entre luziens et ziburutar. Inimitié aussi vieille que la formation, par sa division d'Urrugne au XVIe siècle, de Ciboure que seule la Nivelle séparait de sa voisine Saint-Jean-de-Luz. Des rencontres sanglantes - attisées sans doute par la présence à Ciboure des cascarots, pour la plupart des nomades chassés d'Espagne par Philippe II - opposaient souvent les adversaires sur une île située entre les deux localités. Ces luttes atteignirent leur paroxysme au début du XVIIe siècle en débouchant sur des accusations mutuelles de sorcellerie.

Les Basques, premiers « trappeurs ».

Or, quelques mois auparavant, les pêcheurs basques qui fréquentaient depuis des décennies les « terres neuves » et les rives du Saint-Laurent au Canada, s’adonnaient au commerce ou traite des fourrures grâce à leurs relations privilégiées avec les Amérindiens autochtones, lesquels avaient même adopté un certain nombre de mots et d’expression de l’euskara : par exemple, le terme orignal, désignant l’élan du Canada, proviendrait du basque. !

C’est, donc, bien résolus à défendre l’antériorité de leurs droits que nos compatriotes accueillirent le protestant Pierre du Gua de Monts, chef d'expédition et principal bénéficiaire des monopoles de commerce. Une bataille navale tourna même au profit du navire basque commandé par Martin Darretche qui ne reconnaissait pas le privilège de la traite des fourrures attribué par Henri IV au sieur de Monts. Champlain, arrivé sur ces entrefaites, dut user de diplomatie avec les Basques pour ne pas compromettre son installation à Québec. Il attendit que l’affaire se règle en France, mais manqua d’être assassiné lors d’un complot ourdi par les marins basques…

Rendu furieux, Henri IV, conseillé par le chancelier Brulart de Sillery, choisit ce moment pour charger Pierre de Lancre d’enquêter sur la sorcellerie au Labourd.

On notera encore que, parmi les acteurs décisifs dans la création de ce tribunal itinérant, outre Brulart de Sillery - ami des Jésuites -, on trouve le confesseur du roi, le Père Cotton, qui avait pour priorité depuis 1606 l’installation des Jésuites au Canada…

De Lancre à Goya et La Peña

C'est ainsi que le 2 juillet 1609 commença l’une des plus terribles chasses aux sorcières en Labourd et la commission présidée par Pierre de Lancre sévira jusqu’à l’automne, lorsque les marins basques, prévenus, rentrèrent précipitamment des « terres neuves » canadiennes.
Entre-temps, Lancre et ses enquêteurs auront « purgé le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons » et fait la lumière, en particulier à Saint-Jean-de-Luz, sur « les actes des réfugiés juifs et mauresques expulsés d'Espagne et du Portugal », mais aussi sur « les mœurs réputées libres des femmes de marins en l'absence de leurs maris, et sur les comportements des guérisseuses et cartomanciennes ».

Or, le pourfendeur des sorcières basques, bien que né à Bordeaux en 1553, était le fils d'Étienne de Rosteguy, conseiller du roi et seigneur de Lancre, issu d'une famille de marchands basques.

Le grand peintre Goya s’inspirera du récit publié par Lancre en 1612 sous le titre de « Tableau de l’inconstance des mauvais anges et des démons, où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie, livre très utile et nécessaire non seulement aux juges, mais à tous ceux qui vivent sous les lois chrétiennes… ». Avant de peindre ses célèbres « peintures noires » d’où sourd l’hallucinante fureur du « Pré au bouc », il avait figuré un « Aquelarre » pour la demeure des ducs d’Osuna. On y reconnaît l’assemblée des « sorgins » autour d’un akerra « satanisé » et, dans « Asmodea », l’envol vers le sabbat avec au fond le profil caractéristique de la montagne des « Trois Couronnes » vue de La Rhune. Un siècle plus tard, dans les premières années de la création du Musée Basque à Bayonne, son directeur William Boissel fit appel au peintre José de La Peña afin d’y créer un véritable « cabinet de sorcellerie ». On peut espérer qu'un jour, l’équipe du musée remettra en lumière ces terribles événements, avec le tableau sur lequel l'artiste avait figuré l'équipe dirigeante de l'institution !

zCabinet de sorcellerie.JPEG
L'ancien cabinet de sorcellerie au Musée Basque de Bayonne ©
zCabinet de sorcellerie.JPEG

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription