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Biarritz et la question basque
Biarritz et la question basque
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| François-Xavier Esponde 2277 mots

Biarritz et la question basque

Au cours des deux journées des 7 et 8 juin, Biarritz constitua un creuset pour des rencontres autour de la langue basque, des écoles basques et de la paix au Pays Basque.
Dès le vendredi, les ikastolas sont venues avec des milliers d’enfants scolarisés accompagnés de leurs parents pour participer à ce forum géant, coloré, au cours d’un défilé qui a emprunté les rues de la cité afin de « réclamer des postes d’enseignements pour les écoles en croissance d’effectif et en manque d’enseignants pour les élèves ».
Ce même jour, se tenait au Bellevue la conférence organisée par les « artisans de la paix » qui réunissaient des élus, des associations et des personnalités soucieuses de cet enjeu du futur inscrit dans les tablettes des acteurs de la paix, vigilants et actifs pour la défense de cette cause.
Le maire de Biarritz Michel Veunac ouvrit la réunion en ces termes : « le seul combat qui mérite d’être gagné est celui de la paix, le vivre ensemble qui prépare l’avenir de nos enfants désireux de vivre et de partager leur destin en commun dans ce pays »...
Michel Berhocoirigoin, au nom de l’assemblée des Artisans de Paix, confortera le désir de mener le projet, comme « un enjeu de tout le pays, en vue d’un nouvel avenir concilié du vivre ensemble,selon un modèle basque de résolution du problème ».
Une vidéo-conférence de l’ancien Garde des Sceaux Christine Taubira sera suivie d’une table ronde autour de Brandon Hamber, dirigeant  de l’institut de recherche sur les conflits internationaux et sur la justice transitionnelle INCORE, en présence de deux témoins, Inaki Garcia Arrizabalaga, dont le père est mort tué par les commandos autonomes  et d’Axun Lasa, dont le frère a connu le même sort, tué par le Gal.
Les témoignages sont lourds, poignants et vécus comme un drame commun, la même violence et ses effets mortifères sur les personnes et leurs familles.
Après un temps de débat et de questions, l’intervention de Michel Camdessus sur « le vivre ensemble notre défi » dont on trouvera ci-dessous le témoignage dans son intégralité.
La clôture des échanges se fit par la voix d’Anaiz Funosas présidente de Bake Bidéa.
Des élus de toutes familles politiques, maires, sénateurs, députés, élus locaux ont participé à cette convention en faveur de la paix comme un enjeu pour le futur : la langue basque, son enseignement et son avenir, les écoles et leur ancrage dans le territoire de l’EPCI, la question sensible des prisonniers toujours en discussion entre les Etats espagnol et français, la réconciliation et le dialogue des citoyens en quête du vivre ensemble au delà du passé, la question des réparations des victimes et la concorde encore à poursuivre...
A la veille du G7 qui aura lieu cet été, Biarritz a montré sa volonté d’accorder à la paix en marche sa place et sa mission au bénéfice d’un pays qui aspire profondément à la réconciliation. Le samedi la longue marche des artisans de paix par milliers dont beaucoup avaient traversé la Bidassoa pour se joindre à ce rendez vous, confortait cette ambition partagée de la paix de part et d’autre de la « muga », exprimant une même attente et une même volonté de parfaire un projet en cours, inachevé et encore difficile.
François-Xavier Esponde

Vivre ensemble au Pays Basque : défis pour aujourd’hui et pour demain par Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, ancien Directeur général du Fonds monétaire international.

D’abord un très grand merci de me faire le grand honneur de me donner la parole devant vous tous qui êtes les vrais acteurs du rétablissement de la paix au Pays basque, vous tous qui vous êtes mobilisés pour cette cause depuis de nombreuses années et n’avez cessé de la servir.

Dans ce travail, dont nous avons pu célébrer le 4 mai dernier à Arnaga les formidables avancées, je n’ai été moi même qu’un ouvrir de la 11e heure. J’ai eu l’honneur de vous rejoindre pour remplacer Kofi Annan à sa demande dans l’équipe d’Ayete au moment où malheureusement il s’approchait de la fin de sa vie.

Kofi Annan avait été un des initiateurs du processus d’Ayete ; il en avait suivi discrètement mais efficacement le déroulement jusqu’au dépôt des armes et la dissolution de l’ETA. Je n’ai en tout cela d’autre mérite que d’avoir été pendant 25 ans son compagnon et son ami, en particulier dans la famille des Nations Unies et de pouvoir expliciter aujourd’hui sans crainte de me tromper sa vision de la réconciliation. Il la partageait, et se fut aussi mon cas, avec un autre ami avec lequel j’ai eu le privilège d’échanger et de travailler, Nelson Mandela. Il me serait difficile à l’occasion de cette rencontre de ne pas évoquer la mémoire de ces deux amis et la manière dont l’un et l’autre ont tenté de partager avec le monde cette conviction que Mandela exprimait si vigoureusement à l’heure où il devenait Président de l’Afrique du Sud : « Désormais, avant toute chose, ma priorité sera la réconciliation. »

Vous me demandez d’évoquer plus précisément les défis de la réconciliation dans notre pays au Nord et au Sud, pour aujourd’hui et pour demain. Permettez-moi tout simplement de partir de notre déclaration d’Arnaga car cette parole est un engagement pour l’action. Nous reconnaissions avec joie que la fin de la violence était « l’occasion de mettre fin à la dernière confrontation armée en Europe. » Mais ajoutions-nous : « Il reste un certain nombre de questions à aborder, y compris celle des prisonniers et des personnes toujours en fuite. Il reste également des étapes visant à normaliser totalement la vie quotidienne et politique dans la région. Mais avant toute autre chose, un processus de réconciliation reste à poursuivre. Notre expérience des conflits dans lesquels nous avons été impliqués, nous indique que cela prendra du temps. De profondes blessures demeurent.

Les familles et les communautés sont toujours divisées. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour reconnaître et aider les victimes. Il faudra faire preuve d'honnêteté de toutes parts vis-à-vis du passé, et de générosité d'esprit pour soigner les plaies et reconstruire une communauté soudée… »

« Il reste, disions-nous, un processus de réconciliation à poursuivre » et tous ceux – organisations civiques, partis et institutions, églises, en un mot la société civile, au Sud et au Nord, qui avaient vaillamment et courageusement joué un rôle pour faire avancer la paix ne se sont pas reposés sur ces premiers lauriers. Ils ont donné, et cette réunion en atteste, un nouvel élan à leurs efforts. Pourtant, oui, il reste à faire. Où en sommes-nous vraiment ?

Reconnaissons-le, si la paix des armes semble acquise, nous restons en beaucoup de nos quartiers, de nos villes et villages, dans une situation d’assez précaire coexistence sans violence. On entend encore des voix admettre difficilement la seule idée du rapprochement des prisonniers, proclamer que ni le pardon ni l’oubli ne sont envisageables, et refuser même qu’on leur demande ce pardon. Simplement elles crient justice. D’autres considèrent qu’il faut se contenter de laisser l’oubli faire son œuvre et essayer d’effacer le vécu tragique de 40 années des mémoires individuelles et collectives… Bref, tourner la page. Comment ne pas les comprendre ? Plusieurs récits opposés se disputent encore les mémoires.

L’histoire du monde nous le dit pourtant : ce n’est pas sur de telles bases qu’une paix solide et humaine s’instaurera. Elle passe plutôt par ce chemin malaisé mais souvent enthousiasmant qui relie le silence de armes à la réconciliation véritable.

Bien compris, ce chemin de réconciliation passe par la vérité et l’aveu des délits et des crimes commis et évidemment, par la justice pour les victimes de quelque bord qu’elles soient. Une démonstration éclatante en a été fournie au monde par le travail de la Commission Vérité et Justice présidée par Monseigneur Tutu, au lendemain de la fin de l’Apartheid, même si cette expérience n’est pas directement transposable partout.

La réconciliation commence par des gestes simples provenant le plus souvent de victimes anonymes qui, au prix d’un lourd effort sur elles-mêmes, décident un jour de ne pas changer de trottoir en apercevant un adversaire d’hier, qui risquent un salut de la tête et finalement un « bonjour » et le début d’un dialogue, fusse sur la pluie et le beau temps. La réconciliation exige surtout l’effort pour éviter tout ce qui peut contribuer à transmettre à la génération qui nous suit de vieilles rancunes ou des haines tenaces.

Me permettriez-vous de vous citer, à cet égard, l’extraordinaire exemple d’une femme burundaise que j’ai eu la chance de bien connaître, Madame Maggie Barankitse. Elle a été prise en octobre 1994 dans l’épouvantable conflit entre hutus et tutsis dans son pays. Plus de 60 membres de sa famille la plus proche ont été massacré par les hutus. Elle a subi des violences. Parvenant à s’échapper avec 25 enfants orphelins, perdus ou abandonnés par leurs parents, elle décide de les prendre en charge et avec les moyens du bord, vivant au jour le jour, elle en accueille un beaucoup plus grand nombre issus des deux camps, et organise leur éducation et leur préparation à la vie professionnelle, hutus et tutsis ensemble, pour éradiquer toute haine de leur cœur. 10 000 jeunes se verront ainsi accueillis au fil des ans et feront une expérience durable de fraternité.

Lumineux exemple d’humanité, formidable leçon de réconciliation ! Par-dessus tout éviter la transmission intergénérationnelle des haines d’hier et des souffrances encore si vives aujourd’hui, sans pour autant cacher la vérité aux enfants quand ils sont assez grands pour entendre leur véritable histoire.

Ainsi, par toute une variété de gestes souvent très simples, la réconciliation s’opère, elle passe par le dialogue et même s’il n’y a pas d’oubli – et comment parfois serait-il possible ? –, elle peut aboutir à la demande sincère du pardon et à la générosité de l’accorder. Elle produit ainsi les fruits d’apaisement et les avancées spirituelles. Mais sans conteste, cela prend du temps, beaucoup de temps, et en leur début, les progrès restent fragiles. Il s’agira peut-être d’une marche patiente sur les longs chemins de l’histoire. Raison de plus pour travailler à le consolider de notre mieux, sans attendre.

Loin de moi, en soulignant ces traits de la réconciliation, glanés en parcourant pendant 13 ans tant de pays émergeant parfois d’épouvantables violences, de prétendre donner quelque leçon que ce soit à ceux qui, parmi nous, vivent encore le chagrin et la souffrance causés par des actes toujours injustes et abominables. Devant cette souffrance de pertes irrémédiables d’êtres chers, seule une compassion silencieuse à sa place. Par-dessus tout, gardons-nous de les instrumentaliser. Si de quelque manière, cependant, l’expérience des autres peut un jour leur être utile, il aura été bon de la partager.

Cela dit, comme nous l’avons souligné à Arnaga, la réconciliation n’est pas seulement affaire privée ou de la société civile. Les pouvoirs publics doivent y prendre toute leur part en exerçant avec discernement et humanité leur responsabilité pour la justice et l’ordre public. J’ai été heureux d’apprendre que le gouvernement espagnol avait adopté des mesures de rapprochement des prisonniers qui allègeront certainement le lourd partage de peine que la distance impose à leurs familles. J’ai été heureux d’entendre aussi Monsieur le Président de la République saluer récemment, ici même, comme exemplaire le processus de pacification et de réconciliation qui a été conduit ici, ajoutant que le devoir de l’État est d’accompagner ce mouvement. « Ce travail, assidu, doit se poursuivre », il appelle un travail de réparation des mémoires ». Il s’agit aussi « d’entendre les familles des victimes, les respecter dans leur douleur et réparer celles-ci ». Au-delà, il s’agit de continuer à travailler de manière apaisée – il ajoutait « technique » - avec les services de la Garde des Sceaux, dans un esprit qui vise de la part du gouvernement à accompagner cette réconciliation et cette pacification. Je suis convaincu quant à moi que ce travail donnera bientôt des résultats positifs.

Bref, c’est fondamentalement sur une paix des cœurs qu’un pays peut reprendre la construction de son avenir et retrouver avec sa véritable identité le fil de ses contributions passées à l’histoire du monde. Ceci me semble d’autant plus important que les contributions du Pays Basque sont importantes et le choix de Biarritz pour accueillir le Sommet du G7 en août prochain salue cette longue tradition. Le Basque, qu’il soit du Nord ou du Sud est universel ou il n’est pas ! Cette vocation à l’universel s’est illustrée tout au long de l’histoire. C’était le cas au l’aube des temps modernes lorsque le Basque Elkano achevait le premier tour du monde, c’était le cas au 19e siècle quand tant de membre de nos familles s’expatriaient vers l’Amérique et contribuaient de façon si notable à son développement. C’était le cas, enfin, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale lorsque notre compatriote bayonnais René Cassin écrivait pour les Nations Unies cette charte qui nous lie tous, la déclaration universelle des droits de l’homme.

Parachever notre réconciliation face à un monde qui devient de plus en plus violent doit contribuer, comme le dit la déclaration d’Arnaga, à « redonner de l’espoir à tous ceux qui sont confrontés à des conflits apparemment insolubles dans d’autre partie du monde. » Notre réconciliation est donc un geste de portée universelle. Une réunion comme la nôtre doit y contribuer. Que tous ceux qui y travaillent déjà modestement, jour après jour, et rendent ainsi à notre pays sa marque immémoriale de la joie du vivre ensemble, cette joie du vivre ensemble dans les chants et les danses qui émerveillant Voltaire, en soient chaleureusement remerciés. Enfin là où le psaume proclame « paix sur Jérusalem » disons à notre tour, du fond de notre solidarité et de notre engagement, « paix sur Guernika ». Eskerrik asko !

 

 

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