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L'Histoire de la Semaine
Biarritz : en souvenir du génocide arménien, nommer un endroit "24 avril 1915" ?
Biarritz : en souvenir du génocide arménien, nommer un endroit "24 avril 1915" ?

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Biarritz : en souvenir du génocide arménien, nommer un endroit "24 avril 1915" ?

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Vincent Bru et Max Brisson ©
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Maider Arosteguy et Anne Pinatel ©
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Entre deux averses et sous des bourrasques de fraîcheur, une très belle cérémonie avec une belle brochette de porte-drapeaux s'est déroulée dimanche 24 avril dernier au Monument au Morts de Biarritz, devant la "Stèle de la Mémoire future" commémorant le début du Génocide des Arméniens perpétré le 24 avril de la funeste année 1915. Maider Arostéguy, maire de Biarritz, le député de la circonscription Vincent Bru ainsi que le sénateur Max Brisson s'étaient joints aux membres et amis de l’Association AgurArménie du Pays Basque présidée par Clément Parakian dont la remarquable intervention (que nous reproduisons ci-dessous) a été suivie d'un poème de Victor Hugo lu par Lucie Houbouyan-Réveillard, secrétaire-générale de l'association, et d'un chant arménien empreint d'une profonde nostalgie qui a impressionné l'assistance.

Intervention de Clément Parakian

Le peuple arménien a embrassé la religion chrétienne naissante en 301. La clé de voûte de cette cathédrale spirituelle à bâtir est l’Amour et son fils adoptif le Pardon. Ce rêve sublime au doux parfum de paradis originel, cette inaccessible étoile ont tout pour enflammer l’esprit-poète arménien, artiste dans l’âme, créateur à droite du Créateur. 
Hélas, le troupeau empanurgé des agneaux de Dieu a cru naïvement qu’il se trouvait sous la protection des loups et des louveteaux, autrement dit : les Jeunes Turcs ! Dans la nuit du 24 avril 1915, le réveil fut brutal, tous les loups sont devenus gris, ivres de sang innocent, imbibés de fiel et de haine. Les maîtres de cette forge infernale ont utilisé cyniquement un soufflet monstrueux pour attiser une haine incandescente et accomplir leur grand- oeuvre : la substitution d’un peuple premier autochtone par les Cavaliers de l’Apocalypse, enfants des steppes de l’Asie centrale. 
Ce remplacement encore inédit dans l’histoire moderne des civilisations a été formulé dans un télégramme envoyé par Talaat Pacha le 29 septembre 1915 : « Il a été précédemment communiqué que le Gouvernement a décidé d’exterminer entièrement tous les Arméniens habitant en Turquie sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes quelque tragiques que puissent être les moyens de l’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence. » 

A partir du 24 avril 1915, les Arméniens, dociles et confiants, nos parents et aïeux, ont rendu les armes qu’ils avaient déjà rendues, vite, trop vite… 
La tribu chrétienne s’est alors transformée rapidement en cortège funèbre, consumé, pulvérisé et enfin évaporé. Ce premier génocide du 20ème siècle est passé inaperçu dans le fracas opportun du conflit mondial. 
107 ans après, il est resté inavoué pour quasiment l’ensemble de la Communauté internationale, celle que l’on appelle Humanité ou Civilisation. A partir de 1915, les fumées noires des églises bondées et incendiées sont montées au ciel, les poussières et les scories éjectées de ce Vésuve géant grand comme l’Asie mineure se sont lentement déposées sur les terres d’accueil des Apatrides. 
Apatrides, nom qui en ce temps-là ne rimait à rien mais dont l’avenir le fera rimer avec génocide et pire encore avec vide! Les Arméniens ont été prié de vider leurs terres ancestrales aux vergers paradisiaques et aux sources cristallines. Ils sont bannis, ils laissent un million et demi des leurs dans les déserts, grands cimetières sous la Lune… et le Croissant. 
pour les Arméniens, aucune terre promise à espérer. Ils ne pouvaient alors que se fondre invisibles dans le grand creuset des peuples sacrifiés, l’athanor des abîmes dans lequel le plomb du sang de la souffrance et de l’exil pourrait par réaction alchimique se transmuter en or. Et miracle ! 
Nous sommes ici quelques minuscules pépites diasporisées qui telles des lucioles blafardes trouent le linceul noir posé indignement sur une sépulture géante multi-millénaire en voie de disparition. La forge des enfers a fait fondre le métal arménien, un peuple et une culture ont disparu, un autre, prédateur, l’a remplacé en quelques années. 

Pour paraphraser André Malraux, trois mille ans pour créer une civilisation, une décennie pour la détruire. Le vampire ottoman a généré un monstre-Golem devenu respectable. La Turquie amnésique dont on constate encore aujourd’hui qu’elle a gardé la mémoire du sang arménien, celui qui coule péniblement dans les veines du coeur historique du Haut-Karabagh. Et le Génocide des Arméniens, précurseur de la Shoah, a égrené ses épisodes macabres, calciner les corps et les âmes dans les églises, éventrer les mères enceintes pour parier sur le sexe du bébé, violer les filles et les mères, les restes de l’épée seront absorbés, assimilés ou déportés par mer sans retour possible sur leurs terres. 

Ce furent les destins de nos parents, de mes parents, et de tant d’autres qui hantent nos nuits et nos jours. Je serai peut-être contredit par les historiens mais il me semble qu’aucun peuple n’a jamais été chassé définitivement de sa terre, de sa maison, de son jardin. Tous ces vols sont générateurs de la République de Turquie, fondée sur le Génocide des Arméniens. 
Pour reprendre la terrible image de Jean-Marie Carzou : « le Génocide des Arméniens est un génocide qui a réussi. » Tout un peuple actuel est doublement exilé des lieux aujourd’hui disparus de la mémoire parentale, tout pèlerinage est inutile ! Les villes « arméniennes » ont été effacées. 
A l’origine de mon discours, je rappelle que la religion du Christ est symbole d’Amour et de Pardon. Comment ce peuple martyr peut-il pardonner à un bourreau dont le nom est Personne ? Comment pardonner à un Etat qui n’a commis aucun crime et, folie ultime, qui a été, elle, nation turque, victime d’un génocide perpétré par les Arméniens ? 

Cette vérité est véhiculée sans vergogne dans les manuels scolaires turcs actuels. Je témoigne ici aujourd’hui de cette souffrance indicible, invisible. J’ai peine à vivre sur cette terre de France qui m’a naturalisé, mais dont le lait maternel n’a pu nourrir mes rêves. Mes contes de fées étaient des comptes de méfaits, l’arménienne Fée Mélusine n’est jamais revenue, la caverne d’Ali Baba restée porte close, ses âmes arméniennes innocentes étaient à jamais séquestrées. Les fêtes finissaient tristement, les souvenirs ressassés creusaient prématurément les visages, des yeux aux pleurs infinis émanaient des regards hagards, la Terre promise restait interdite à tout jamais ! 
Comment remonter des enfers et retrouver le soleil pâle d’un printemps espérant ? 
Je fais un rêve! Partout dans notre pays, la France, enfants arméniens exilés, nous aimerions nous retrouver et nous repérer grâce à un symbole de reconnaissance et d’appartenance. Un exemple de cette appartenance, ici à Biarritz, la Stèle de la Mémoire, minuscule Ararat biarrot et basque nous relie au passé funèbre mais elle est aussi future et pôle générateur de notre histoire oubliée ou méprisée. 

Mesdames et Messieurs, les représentants des Collectivités, ce khatchkar allégorique est un phare qui diffuse sa lumière rose près de l’océan azur. L’association Agur Arménie du Pays basque vous invite à éclairer vos villes et villages de petites lumières de reconnaissance à partir d’une idée simple : décider ensemble de nommer une rue, une avenue, un chemin, un stade, un rond point, une médiathèque : 24 avril 1915. Nous sommes convaincus que cette initiative de dater l’indicible peut essaimer dans de nombreuses localités du Pays. Nous vous proposons d’en être les incubateurs, les initiateurs. Cette date désormais nationale de début de la fin programmée d’un des peuples fondateurs de l’Humanité sera au-delà d’une date de l’Histoire de France, date imprescriptible de l’Histoire de l’Humanité. 

Pour les Arméniens d’ici, heureusement il y a France à la fin du mot souffrance.

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Maider Arosteguy, Clement Parakyan, Lucie Houbouyan et le consul (h) de Russie ©
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