L’association « Mémoires et partages 64 » organise à Bayonne une cérémonie commémorative du 173ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage par la France, avec discours et dépôt de gerbe, prévue devant le Didam le 27 avril à 11h30, suivie d’une visite guidée menée par l’historien Serge Daget à 15 heures sur l’histoire de « Bayonne, ville négrière ».
Ses organisateurs n’hésitent même pas d’évoquer à ce propos : « port négrier au XVIIIe siècle, Bayonne a vécu de l’esclavage et du racisme contre les noirs. Plus de 15 navires ont été armés pour la traite des noirs et ont déporté au moins 4 500 captifs africains ». Pas moins !
Et sur son site Internet, divers articles accréditent cette thèse, dont un, sous le titre ronflant « Pays Basque – Le premier maire de Port au Prince emprisonnait ses « nègres » à Saint-Jean-de-Luz »,assure que « les déclarations à l’Amirauté, compulsées par le « Dictionnaire des Gens de couleur dans la France moderne », attestent d’une présence de noirs, majoritairement esclaves, mais présentés comme domestiques dans le Pays Basque ».
Et de citer à l’appui, par exemple, la déclaration le 27/10/1777 d’« un nègre âgé d’environ 15 ans, acheté par M. Michel Leremboure, négociant de Saint-Jean-de-Luz et habitant de Port-au-Prince qui l’a adressé vers 1773 à la demoiselle Saint-Martin, son épouse, pour recevoir une instruction catholique, a été appelé par cette dernière, qui l’a reconnu libre et fait baptiser, paroisse Saint-Pierre d’Irube, à retourner sans délai auprès de son maître » [A.N. : COL.F1B4, Bayonne]. Etait-ce donc si répréhensible ?
Et de marteler : le « Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne » en recense en 1741 onze à Bayonne et quatre à Saint Jean de Luz. Entre 1592 et 1790, prés de 102 « gens de couleur » seront déclarés à Bayonne ».
Une centaine en 200 ans ! Soit, un tous les deux ans !
La réalité : la traite négrière à Bayonne ne représentait pas un pour cent de l’ensemble de la traite française
Selon l’historien Jacques de Cauna qui a puisé dans les archives de la Chambre de Commerce de Bayonne et le fonds de la famille Ponticq déposé aux archives départementales à Pau, « la traite négrière à Bayonne (8ème port colonial français à l’époque) ne représentait pas un pour cent de l’ensemble de la traite française car les activités portuaires concernaient essentiellement la pêche hauturière et le cabotage avec l’Espagne ou l’Europe du Nord. Les tractations avaient lieu au large des côtes de Guinée où les négociants devaient d’abord se présenter aux souverains locaux le torse nu et à plat ventre, avec leurs premières offrandes. Ensuite, seulement, les chefs noirs échangeaient les esclaves qu’ils avaient capturés (prisonniers de peuplades ennemies ou de droit commun) ainsi que du bois d’ébène ou de la poudre d’or contre des marchandises occidentales : barres de fer (unité de mesure pour l’échange des captifs), verroterie de Venise, toile et tissus des Indes ou fusils etc. En fait, le commerce des esclaves africains, signalé déjà au Ve siècle, était bien antérieur à l’arrivée des Européens ».
- Pouvait-on rencontrer des esclaves noirs à Bayonne ?
« En principe, Louis X le Hutin, roi de France et de Navarre, avait formalisé par un ensemble de décisions de justice l’antique coutume des Francs de ne pas admettre d’esclaves sur leur sol. Cependant, certains colons en envoyaient quelques-uns en France comme domestiques ou apprentis. Pour environ 300 noirs à Bordeaux, il ne devait pas y en avoir une trentaine à Bayonne. On cite à ce propos le procès intenté en 1775 à Isaac Mendès France (membre de la communauté séfarade bordelaise ayant fait fortune dans la canne à sucre à Saint-Domingue) par ses esclaves congolais Pampy et Julienne : ayant appris que le Code Noir qui régissait l’esclavage n’avait pas cours sur le territoire métropolitain, ils purent faire constater devant le tribunal leur droit à la liberté. D’ailleurs, les navires chargés d’esclaves s’abstenaient d’accoster par exemple à Bordeaux car ces derniers pouvaient être libérés…»
Ayant séjourné pendant vingt-cinq ans aux Caraïbes et auteur de nombreux livres (« Au temps des Isles à sucre », « Haïti, l'éternelle révolution » et « L'Eldorado des Aquitains », Atlantica), Jacques de Cauna est à l’origine de la création d’une « Chaire d’Haïti » destinée à « faire connaître et aimer » ce pays (dont il a gardé une vive nostalgie) et à oeuvrer à « la restructuration de son système éducatif et scientifique » en participant au « Centre de recherche international de recherche sur les esclavages » (CNRS).
Or, on ignore souvent que cette plaie de l’humanité, présente depuis la plus haute antiquité (l’esclavage fut aboli dans les colonies françaises en 1848 mais il fallut attendre 1962 pour l’Arabie saoudite, 1980 en Mauritanie et il existe encore au Soudan) ne se limita pas à la traite négrière et toucha même notre région.
Il reste de nombreuses traces à Biarritz et à Capbreton des rançons payées aux pirates maghrébins pour libérer nos marins réduits en esclavage après leur capture. Attachés aux galères ou à l’extraction de pierres, ils subissaient des coups de cordes à nœuds et des humiliations dans un climat de violence, notamment sexuelle. Malek Chebel (dans « Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe », éd. Mille et une nuits) estime à plus de 20 millions le « volume total de l’esclavage en terres arabes et musulmanes », chiffre incluant les captifs de guerre slaves, concubines et domestiques circassiennes, domestiques noirs, marins chrétiens, etc.
De quoi remettre à son juste « niveau » la légende : « port négrier au XVIIIe siècle, Bayonne a vécu de l’esclavage et du racisme contre les noirs.