La prochaine conférence des Mardis du Patrimoine « Bayonne Centre Ancien Patrimoine & Avenir », en prélude aux Journées Européennes du Patrimoine, se déroulera mardi 17 septembre à 18h30 Salle Sainte-Ursule (en face du parking de la gare de Bayonne) (entrée libre), sur le thème : "L'histoire du chemin de fer à Bayonne".
Cette conférence-diaporama sera introduite par Jacques Marty, ancien proviseur du lycée Cantau et actuel président de l'association qui avait succédé à l'architecte Laurent Cazalis. Suivra l'exposé sur l’histoire du chemin de fer à Bayonne par Christian Maudet, ancien chef de mission des Grands projets du Sud-Ouest de Réseau Ferré de France.
L'occasion de proposer à nos lecteurs ce texte accompagné d'illustrations sur les débuts des chemins de fer au Pays Basque, extraits de mon ouvrage "Le Pays Basque d'antan" réédité dernièrement par Cairn (photo de couverture extraite du livre : la gare de Bayonne à ses débuts).
Gares et chemin de fer au Pays Basque
C’est au début du règne de Napoléon III que le chemin de fer atteignit le Pays Basque. Attendue par des milliers de spectateurs applaudissant et criant « Vive l'Empereur ! Vive le chemin de fer ! », la première locomotive fit son entrée le 2 octobre 1854, entre une double haie de plusieurs centaines d'ouvriers armés de torches, à Saint-Esprit, faubourg de Bayonne situé sur la rive droite de l’Adour, que les révolutionnaires avaient momentanément rattaché au département des Landes.
Le trajet s’effectuait en un peu moins de six heures (pour une heure et demie aujourd’hui) sur ce nouveau tronçon Bordeaux-Dax- Saint-Esprit mené à terme malgré un déficit - encore pour quelques années - de production des rails et des machines en France, ainsi que la difficulté de maintenir la main d'œuvre locale sur le chantier au temps des travaux agricoles.
Le 26 juillet 1855, le souverain l’inaugura afin de rejoindre l’impératrice Eugénie arrivée des Eaux-Bonnes où elle suivait une cure en prévision d’un heureux événement.
L’année suivante, marquée heureusement par la naissance, en mars, de l’héritier du trône et la signature du traité de Paris mettant fin à la guerre de Crimée, c’est toute la famille impériale avec sa suite qui emprunta le nouveau mode de transport pour rallier la villégiature biarrote.
L’un de ces voyages donna lieu à la remise par Napoléon III à son médecin Prosper Darricau, sur le quai de la gare, du cadeau impromptu d'une tabatière en or, encore conservée dans sa famille.
Pendant huit ans, encore, les souverains continuèrent de débarquer à la gare de Saint-Esprit (réunie à Bayonne en 1857) car le réseau ferroviaire n’atteignit Irun - ville frontière espagnole - qu’en avril 1864, par la gare de « La Négresse » à Biarritz. Les trains de la Cia del Norte prenaient le relais sur un écartement de 1,67 m, plus large que le standard européen de1,44 m utilisé en France. Et, six ans furent nécessaires pour établir la liaison Bayonne-Pau.
Pendant ses séjours biarrots, l'Empereur ne cessa d'avoir de longs entretiens avec le banquier Emile Péreire sur la construction de la ligne Madrid-Irun, et même les chemins de fer russes.
Car, à peine deux ans après la fin du conflit avec la Russie, un journal publié chez l'ancien adversaire - « La Gazette de Saint-Pétersbourg » - ne vantait-il pas l'amélioration des finances françaises en ces termes : « nous voyons la France, sortant à peine d'une guerre immense, construire avec ses capitaux des chemins de fer en Autriche, s'associer à leur construction en Russie, poser à ses frais des rails dans les Etats du Pape, prêter de l'argent à l'Espagne et fonder des banques presque partout. En observant attentivement l'action des capitaux français qui mettent en mouvement et animent des entreprises colossales à l'étranger, on ne peut pas méconnaître les forces productives et les immenses ressources de la France » ?
En effet, le chemin de fer - passant de 3 870 kilomètres exploités en 1852 à 17 000 en 1870 - fit connaître un bond spectaculaire à l'industrie française et transforma les entreprises de biens de production en nouveau moteur de la croissance. La production métallurgique, contrainte de faire face à la brutale poussée des commandes ferroviaires et des charpentes métalliques pour la construction urbaine, fut quintuplée en l’espace de dix ans. Pendant cette période faste du Second Empire, même la chute de rentabilité des opérations ferroviaires consécutive à la construction des lignes secondaires n’enraya pas la rapide croissance de l'économie.
Le Docteur Barthez, médecin attaché aux souverains, a raconté ces premiers voyages dans le train impérial :
« Aussitôt que le train fut en marche, l’Impératrice se retira avec ses dames dans un salon et l’Empereur resta quelque temps avec nous…
Vers sept heures, on dressa la table, l’Impératrice et ses dames passèrent de notre côté on se mit à table, un peu gênés, il faut bien l'avouer, la table trop étroite n’arrivait pas jusqu’aux divans, trop courte, elle ne permettait pas à tous d’être assis commodément ; cependant on se serra, et l’on finit par se caser. L’Empereur était à un tout petit coin avec un angle saillant sur son estomac et n’ayant que la place de son assiette par habitude ; car en réalité, c’était de la vaisselle d’argent. On servit des volailles froides, des perdreaux, du jambon, du fromage, des fruits, du vin excellent… La conversation fut gaie, riante, simple, sans façon.
L’Impératrice parlait beaucoup, on riait à gorge déployée des saillies des uns, des autres. Il était impossible de mettre les gens plus convenablement à leur aise. Nous avions l’air d’une société riche et sans façons qui se donnait le plaisir d’une partie de voyage…
Après le repas, l’Impératrice se retira, l’Empereur resta avec nous longtemps encore, fuma quelques cigarettes, et nous invita à fumer.
Comme le soir approchait, chacun fit ses préparatifs et on s’arrangea pour la nuit ; chacun adoptant une pose plus ou moins pittoresque se mit à ronfler.
Vers trois heures du matin, je m’éveillai, entendant un peu de bruit et, à travers l’une des glaces de notre salon, je vis une figure rieuse qui avait tout l’air de se moquer de nous. C’était l’Impératrice qui venait nous surprendre et qui riait de tout cœur de notre façon de dormir. Bientôt on fut debout et après quelques instants sa Majesté se retira, nous disant que les représailles n'étaient pas permises ».
Cependant, le palissandre, les lambris, les ors et les tentures ne compensaient guère l'inconfort de ces premiers voyages en train.
Voici l'opinion d’un journaliste à propos d’un de ces anciens wagons impériaux accroché à un démocratique « train exposition des applications rurales de l’électricité » stationné en mars 1931 dans une gare de la région : « Combien il est curieux de voir aujourd’hui ce wagon qui émerveillait Barthez et qui représentait le comble du luxe et du confort en voyage pour un empereur des Français au comble de la puissance et de la gloire.
La dimension et la forme générale de la caisse sont celles de ces wagons qu’on voyait encore au début du siècle sur des petites lignes et que l’humour populaire appelait « cage à poules ». Le luxe lourd, cossu, bourgeois et à la vérité de mauvais goût, des velours verts drapant de longs plis les parois et le plafond (oh ! la poussière là-dedans, après quelques heures de route ! ), les bronzes des bougeoirs et des barres d’appui ne compensent point l’insuffisance du cube d’air respirable, l’inconfort des étroites fenêtres à guillotine, les portes minuscules, la lumière rare de jour et de nuit.
Au point de vue de l’hygiène et du confort, un wagon de troisième classe moderne est certainement mieux suspendu, mieux éclairé , mieux garanti des intempéries, plus agréable que ce wagon impérial ».
En 1913, la petite gare bayonnaise de Sainte-Ursule sera agrandie et dotée d’une tour d’horloge dans le style de la Gare de Lyon parisienne.
Deux ramifications compléteront le réseau bayonnais. A la ligne de Toulouse achevée en 1867 s’ajouta celle en forme d'Y menant à Saint-Jean-Pied-de-Port et Baïgorry via Cambo et Ossès. Mise en service par étapes entre 1891 et 1898, elle était destinée, primitivement, à rejoindre Pampelune par un tunnel sous le Col d'Urquiaga et le « Quinto Real ». Mais le projet ne sortit jamais des « cartons » de la Compagnie du Midi exploitant le réseau du Sud-Ouest…
Dernière en date, la courte ligne de La Négresse à Biarritz-Ville ouverte en février 1911 fonctionna pendant 70 ans et donna lieu à la construction par l’architecte Adolphe Dervaux d’une monumentale « Gare du Midi » transformée en salle de spectacle depuis la suppression de la ligne.