Chers lecteurs de Baskulture, nous sommes heureux de partager avec vous le lancement d'une nouvelle rubrique qui va venir enrichir nos colonnes.
Elle sera consacrée à la présentation d'œuvres d'art qui devront toutes avoir un lien avec ce Pays Basque qui nous est si cher.
L' idée de cette "BasKollection" nous a été proposée par un ami lecteur de notre revue.
Nous laissons à Léon de la Nive le soin de vous présenter son projet, et nous espérons qu’il vous sera agréable. ALC
Présentation de "BasKollection"
Chers amis de Baskulture, si vous lisez ces lignes, c'est bien parce qu'un intérêt commun nous unit déjà : celui que nous nourrissons à l'égard des traditions, de l'histoire, et de la culture du Pays Basque.
Dans cet esprit, et au gré des années, le magazine créé par Alexandre et Anne de La Cerda nous est devenu précieux et irremplaçable. Trait d'union unique entre les acteurs et les amateurs de la scène culturelle locale.
L'idée de cette chronique BasKollection est de vous faire (re)découvrir des œuvres et des artistes qui illustrent la vie, la richesse et la beauté de notre région. A travers des représentations visuelles : dessins, tableaux, sculptures pour commencer ; pourquoi pas des photos par la suite ?
Quelques précisions importantes :
1. L'origine des œuvres sélectionnées doit exclusivement provenir de collections privées.
En revanche, aucune époque n'est exclue (du paléolithique jusqu'à nos jours), ni aucune des 7 provinces de l'Euskal Herria.
Le composant basque s'évalue autant en relation avec les artistes qu'avec les sujets traités.
2. Les objectifs de BasKollection sont strictement ceux des amateurs d'arts et de culture ; ils excluent toute considération commerciale et n'ont aucune prétention professionnelle ou académique.
3. Une collection virtuelle est créée que vous pourrez visiter sur le site de Baskulture, sous l'onglet BasKollection.
Elle s'augmentera régulièrement de chacune des chroniques pour constituer progressivement le premier musée en ligne consacré aux arts visuels du pays basque en mains privées.
4. Nous espérons que votre enthousiasme sera à la hauteur du nôtre et que vous souhaiterez vous aussi agrandir cette collection en proposant des œuvres issues de vos propres collections.
Vous aurez alors le choix d’indiquer votre nom ou de préférer la discrétion d'une "collection privée".
Vos propositions devront être adressées par e-mail à Léon de la Nive, email : leon.de.la.nive@gmail.com
Elles comporteront une image électronique de bonne qualité (format JPEG de la taille de 200 à 400 K maxi), que vous aurez effectuée vous-mêmes (nous éviterons ainsi toute problématique liée aux droits d'auteurs et aux crédits photographiques), et un texte d'accompagnement (au format word "rich text" ou rtf) présentant les caractéristiques habituelles d'une œuvre d'art (dimensions, technique, date, signature), ainsi que toute information possible et utile sur la provenance, l'histoire et l'origine de l'œuvre.
NB: la décision d'inclure l'œuvre dans la BasKollection sera finalement du ressort de ses animateurs (la création d'un comité devrait atténuer le caractère arbitraire des choix du chroniqueur!).
Nous nous réjouissons de recueillir bientôt vos suggestions et de vous retrouver très prochainement pour vous présenter une première œuvre particulièrement emblématique.
Léon de la Nive
Titre : « Fête au Pays Basque avec danseur au gilet rouge » / Auteur : Ramiro Arrue (1892-1971)
Année : 1934 / Technique : Huile sur toile, signée dans l’angle inférieur droit / Dimensions : 90 x 301 cm
"A tout Seigneur, tout honneur"
Le choix d'inaugurer cette nouvelle chronique consacrée aux arts visuels basques à travers des collections privées avec cette œuvre de Ramiro Arrue s’est imposé très naturellement. D’une part, Ramiro Arrue est LE peintre le plus connu et le plus iconique du Pays Basque (en tous cas de sa partie « nord »), d’autre part ce tableau affiche une légitimité particulière pour inaugurer cette colonne puisque sa reproduction orne déjà et depuis le bandeau de la Lettre du Pays Basque.
Une coïncidence amusante a voulu qu’un des abonnés de Baskulture devenu l’heureux acquéreur de cette œuvre lors de son adjudication le 8 août 2020 par Côte Basque Enchères à Saint-Jean-de-Luz, nous contacte et nous en propose l’examen.
Anne de Miller la Cerda avait d’ailleurs annoncé et commenté cette vente dans l’édition du 30.07.2020 de Baskulture. La vie et l’œuvre de Ramiro Arrue ont déjà été abondamment présentées (cf. notamment « Ramiro Arrue Entre avant-garde et tradition » publié en 2017 à l’occasion de l’exposition au Palais Bellevue à Biarritz, sous le commissariat d’Olivier Ribeton).
En revanche, ce tableau qui occupe pourtant une importance spéciale dans la production du peintre a été largement ignoré des catalogues, des expositions, et des commentateurs. Selon Arnaud Lelièvre, le commissaire-priseur qui organisa sa vente en 2020, « cela faisait 90 ans que personne ne l’avait vu ».
Sans doute serait-il plus juste de dire que le marché de l’art ne l’avait pas vu, car les clients du trinquet pour lequel il avait été réalisé eurent quant à eux tout le loisir de l’admirer, de 1934 à 1985. Il figurait en effet dans la salle du bar-restaurant du trinquet Andia à Saint-Jean-de-Luz (trinquet rebaptisé Maïtena en 1935).
En 1934, ce trinquet Andia est décrit par la Gazette de Bayonne comme le plus beau et le plus vaste de tous établissements de pelote. Le tableau fut mis en vente sans restauration, dans son « jus ». Son cadre, d’origine, comporte toujours les trous des clous qui le fixaient directement dans le mur.
L’enchère fut à la hauteur de l’œuvre puisqu’elle atteignit le deuxième plus haut prix jamais enregistré pour Arrue.
Importante, l’œuvre l’est aussi par ses dimensions : 3 mètres de longueur ! Ce qui en fait aussi une des pièces les plus grandes d’Arrue, à rapprocher (comme le relève Arnaud Lelièvre) du « Fandango » de l'hôtel de ville de Saint-Jean-de-Luz (155x300cm) pour lequel Ramiro Arrue obtînt la Médaille d'Or à l'exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925.
Mais surtout, ce tableau se distingue par les qualités intrinsèques de sa composition et de sa réalisation. La documentation nous manque sur ce point mais le « titre » affiché : « Fête au Pays Basque avec danseur au gilet rouge » ressemble plus à une description, de circonstance, qu’au nom qu’Arrue aurait pu donner lui-même à son travail. A notre connaissance, Ramiro Arrue ne baptisait d’ailleurs pas ses œuvres.
Plus qu’à une scène de fête (Arrue en a peint bien d’autres ou le caractère festif est très évident), ce tableau ressemble davantage à une allégorie, magistrale, du Pays Basque : La composition croise habilement une gradation horizontale et un agencement vertical.
A l’horizon, les Pyrénées, les montagnes et les collines, quasiment omniprésentes dans ses paysages, qui renvoient à l’ordre de la nature et qui donnent de la hauteur à l’arrière-plan.
Au niveau intermédiaire, le village, dominé par l’église, à laquelle est accolé le fronton. Deux thèmes également fréquents chez cet artiste, qui n’oublie pas la référence religieuse mais qui l’intègre harmonieusement dans le quotidien de la communauté.
Et puis, au premier plan, une série de personnages, typiques. Comme l’écrit Olivier Ribeton, « les personnages d’Arrue qui incarnent la vie basque ne sont pas des portraits mais des types créés spécialement pour fixer la permanence et l’intemporalité des Basques ». Et de citer lui-même Paul Mironneau : « l’homme, la femme, l’enfant, tels que nous les connaissons sont basques, échappant ainsi, dans un univers recréé aux dimensions de ce fort pays, à toute tentation individualiste ».
A droite, incontournables, le bœuf et le bouvier (abeltzain ou behizain). A. Germond de Lavigne les décrit ainsi dans un livre paru en 1856 « Autour de Biarritz, promenades dans le Pays Basque » : « le bouvier basque est grave. Il ne sait pas modérer la vigueur de sa nature, le besoin d’action qui le domine, au gré de la lourde allure de ses bêtes. Il marche à grands pas en avant, la tête roide, le corps cambré, portant haute et droite sa longue baguette armée de l’aiguillon ».
Non moins emblématique est le joueur de txistu (le txistulari). Flûte à bec jouée d’une main tandis que l’autre main tambourine sur le « ttun-ttun » (tambour à cordes). L’origine de cette flûte remonte apparemment au paléolithique supérieur ; creusée dans des os retrouvés dans les grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya.
A gauche, trois hommes après le travail, le béret (noir) vissé sur la tête, assis autour d’une table, pour boire un verre de vin. Ils pourraient jouer aux cartes (mus) mais un quatrième joueur manque encore.
A leur droite, deux jeunes femmes au chignon bas, en conversation avec un jeune homme, « légèreté et joie de vivre » selon les mots d’Arnaud Lefevre et de Nicolas Gueriaud-Sorçabal. C’est le personnage central qui appelle notre attention. Il est couvert d’un béret rouge, assorti à sa veste et à sa ceinture. "On peut d’une façon générale dire que le rouge (gorria, en basque), est la couleur favorite des Basques. D’après certaines traditions, on serait tenté de croire que les Euskariens atlantes se peignaient le visage avec du vermillon, comme les Astures, d’après le dire de Strabon, qui, de plus, désigne une des tribus de l’Atlas de l’appellation bien basque de muthurgorri, "faces rouges". C’est la couleur de la cinta, ceinture ou faja, du costume national ; celle du béret basque authentique "gorra", nom qui s’applique en Espagne à un toque ou un bonnet." (in Revue de Béarn, Navarre et Lannes. Tome 4, 1886).
Il est plus communément admis que le béret rouge est usé lors des fêtes, par les danseurs. Le fait que celui-ci porte une épée évoque la fameuse danse des épées (ezpata-dantza). D’inspiration guerrière, cette danse se déroule traditionnellement devant le Saint-Sacrement, dans l'église, lors de la "Fête-Dieu" : il s'agit d'hommes voulant rester fidèles à leur Dieu, jusqu'au bout.
Notre interprétation, tout à fait libre, est que Ramiro a pu se représenter lui-même sous les traits de cet ezpatadantzari. Les experts qui ont commenté le style de Ramiro Arrue ont noté sa manière très personnelle de traiter les regards. Olivier Ribeton cite Eugène Goyheneche : « ces personnages aux yeux quasiment fermés ou qui détournent le regard relèvent d’une pudeur, d’une retenue, d’un art de se taire et d’écouter, caractéristiques des Basques qui, secrets eux-mêmes, répugnent à violer l’intimité d’autrui ».
C’est sans doute la force et la grande originalité de ce tableau de nous placer, face à face, sous le regard lumineux et très droit de Ramiro Arrue qui nous livre ici son « vrai visage » et son héritage.
Léon de la Nive