A l’occasion de la journée nationale de commémoration du génocide des Arméniens, une cérémonie très émouvante et empreinte de solennité a eu lieu mercredi dernier au monument aux morts de Biarritz. Le sous-préfet de Bayonne Hervé Jonathan, le sénateur Max Brisson, le maire de Biarritz Michel Veunac, ses adjoints, les représentants des maires de Bayonne et d’Anglet, des personnalités du monde politique et religieux, et un public venu en grand nombre se sont joints aux membres de l’association culturelle Agur Arménie afin d’honorer la mémoire des 1,5 millions de victimes du premier génocide du XXe siècle qui avait débuté le 24 avril 1915., Le chef de l’État Emmanuel Macron n’avait-il pas annoncé récemment devant la communauté arménienne que la France allait faire du 24 avril une « journée nationale de commémoration du génocide arménien » ?
Après la lecture de poésies poignantes sur fond de musique arménienne, les discours du nouveau président de l’association Manuel Deirmendjian qui évoqua la douleur de la non-reconnaissance du génocide par de nombreux pays, dont la Turquie, et celui très remarquable du sous-préfet qui a souligné les liens tissés au fil des siècles entre la France et les Arméniens et leurs descendants, plusieurs gerbes ont été déposées.
Rappelons qu’« Agur Arménie », association culturelle France-Arménie du Pays Basque, créée en 2007 par six« franco-arméniens », est passée à plus de 80 adhérents aujourd’hui. Forte d’une équipe dynamique, elle organise de nombreux évènements, conférences, projections de films sur l’Arménie, expositions, concerts de musique classique, afin de faire connaître la culture arménienne au Pays Basque et dans le sud des Landes. Récemment, deux réalisateurs, Serge Avedikian et Jacques Kébadian, sont venus présenter leurs films dans le cadre du cycle « Arménie » de ce mois d’avril à la Médiathèque de Biarritz.
L’association est aussi engagée dans des actions humanitaires en Arménie, elle soutient des dispensaires autour de l’hôpital d’Ashotsk au Nord de Gyumri, elle y envoie régulièrement des vêtements, parraine les études d’enfants, et apporte son aide pour la rénovation d’une école.
Un clin d’œil au Pays Basque : Agur signifie salut, bienvenue en basque. Les recherches du Professeur Sarkissian d’Erevan, ont fait état de similitudes linguistiques entre basque et arménien, avec environ 500 à 1000 mots de même signification.
Rappel historique
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens furent assassinés sur ordre du gouvernement turc. C'était le début d'un génocide dont l’objectif était de maîtriser le territoire de l’Arménie mais aussi à exterminer des chrétiens pour assurer l’unité islamique de l’empire ottoman. Voici le texte du télégramme transmis par le ministre aux cellules de Jeunes Turcs : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici».
Ce génocide va faire environ 1,2 à 1,5 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc (ainsi que plus de 250.000 dans la minorité assyro-chaldéenne des provinces orientales et 350.000 chez les Pontiques, orthodoxes hellénophones de la province du Pont).
Il s’agit d’un grand tabou en Turquie : car, malgré le rejet officiel par la Turquie actuelle de tout lien de continuité avec l’Empire Ottoman coupable de « ce premier génocide du XXe siècle », le régime fondé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk - et jusqu’à nos jours, sous l’islamiste président Erdogan – continue de plus belle dans le négationnisme, comme s’il voulait assumer les crimes de ses prédécesseurs.
Très inspiré par les écrits des « Lumières » et la Révolution française, et n’ayant pris aucune part dans le Génocide Arménien pour avoir commandé sur un autre front la 7e armée de « l'Asien-Korps » sous les ordres du général allemand Erich von Falkenhayn, le « père » de la Turquie moderne n’en avait pas moins fondé le régime républicain sur l’affirmation d’une race turque. D’où, au dire de l’écrivain, politologue et conseiller en communication politique né à Istanbul Erol Özkoray, « le nettoyage ethnique de l’Anatolie de tous ses éléments chrétiens et étrangers (Arméniens, Grecs, Assyriens et Kurdes) pendant le période républicaine par sept organisateurs et exécutants du génocide arménien, des assassins qui se trouvaient parmi les fondateurs de la République ». Autre lien de continuité entre les Ottomans et la République, « l’argent et les biens confisqués aux Arméniens qui ont financé l’armement et la logistique de la guerre d’indépendance turque contre les Alliés, et constitué les bases d’une nouvelle classe sociale dont la fortune provenait de la propriété des Arméniens. Avec les organisateurs du Génocide, ils ont formé une partie de l’élite politique et administrative du nouveau régime républicain ». Erol Özkoray y voit l’explication qui fait du Génocide Arménien un tabou encore en vigueur de nos jours en Turquie.
Rappelons encore qu’au moment de cette tragédie, la frontière russo-turque avait été ouverte sur l'ordre personnel de l’empereur russe Nicolas II, ce qui avait permis de sauver d’une mort certaine quelques 375.000 Arméniens. Comme l’avait écrit G. Ter-Markarian, en relatant les terribles crimes des Turcs (http://xxl3.ru/kadeti/armenia.htm) : « A la frontière, en plein air, ont été placés de nombreuses tables où les autorités russes ont accueilli les réfugiés arméniens sans aucune formalité, remettant des roubles impériaux à chaque membre des familles et un document spécial, leur donnant le droit de s'installer librement tout au long de l'année dans tout l'Empire russe, en utilisant gratuitement tous les modes de transport. Sur place, des cuisines de campagne ont été mises en place pour nourrir les personnes affamées et organiser la distribution de vêtements aux nécessiteux. Les médecins et les infirmières russes fournissaient les médicaments et une assistance d'urgence aux malades, blessés et femmes enceintes. Au total, donc, plus de 350 000 Arméniens de Turquie ont ainsi pu passer la frontière et ont trouvé refuge et salut en Russie ». Et le professeur Pavel Nikolaïevitch Paganutstsi d’ajouter à ce sujet (en 1990) : « Depuis la décision de l'Empereur de sauver 23% de la population arménienne de Turquie, il s'est passé 75 ans. Et personne, ni depuis, ni actuellement, ne se souvient de ce qu'il a fait pour le peuple arménien. Pourtant, ne serait-ce que pour un seul sauvé, il aurait pu rejoindre la communauté des saints ». Afin de marquer cette date mémorable, un monument en souvenir de l'Empereur Nicolas II avait été inauguré à la fin d'octobre 2015 dans le parc du Musée arménien de Moscou.