En cette période extraordinaire où toutes les cartes sont rebattues, et malgré l'arrêt net des concerts, festivals et autres grandes manifestations musicales, la musique n'a, me semble-t-il, jamais été aussi présente. On a vu fleurir sur les réseaux sociaux des milliers de vidéos dans lesquelles musiciens professionnels, amateurs ou élèves se sont retrouvés, le temps d’un morceau de musique, le temps d'un instant de partage musical et amical.
La musique nous manquerait-elle ? Serait-ce vital de la partager ensemble ?
Assurément. La musique est fondatrice de notre vie singulière, mais aussi de notre vie commune, par sa voix et son langage. Elle est vitale à notre développement harmonieux, vitale à l'humanité qui en produit de tout temps et en tous lieux.
Nous savons tous combien la musique est un besoin, et la pratiquer au sein d’un groupe, d’un orchestre, d’une banda ou d’une chorale entraîne un sentiment fédérateur précieux dans un contexte général de fragilisation de la cohésion sociale.
Depuis que j'enseigne au Conservatoire régional de Bayonne (1994) , j'ai toujours considéré la pratique collective comme un moteur essentiel de la pédagogie.
Il y a tout juste 16 ans, en mai 2004, les classes de violoncelle du Crr de Bayonne ont été les premières de France à participer aux Rencontres Internationales de Violoncelle de Beauvais, festival présidé à l'époque par l'immense violoncelliste Mstislav Rostropovitch.
Ce festival était jusqu'alors réservé uniquement aux grands noms du violoncelle, aux professionnels, aux grands solistes de l'époque.
J'avais eu l'idée de proposer au festival d'inviter les élèves violoncellistes du Crr de Bayonne afin que l'on puisse donner le spectacle "Cello Disney" que nous venions de créer un an auparavant au casino de Biarritz, et que nous avions redonné dans plusieurs villes du Pays Basque.
Ce spectacle avait permis aux élèves des deux classes de violoncelle du conservatoire (celle d’Emmanuelle Bacquet et la mienne) de se produire sur scène en reprenant les airs les plus célèbres des films de Walt Disney.
Soixante jeunes violoncellistes âgés de 8 à 20 ans formaient un orchestre que je dirigeais pour interpréter une vingtaine de thèmes comme : Blanche neige, la Belle et le Clochard, les Aristochats, Cendrillon, Aladin, Pocahontas, la Belle au Bois dormant… Les arrangements étaient de vrais bijoux ; ils avaient été réalisés avec talent par Jean Bacquet, le père d’Emmanuelle. Ceux-ci permettaient de faire jouer dans le même orchestre les élèves de 3ème cycle, les plus avancés, et les élèves de 1er cycle qui avaient pour certains quelques mois de pratique instrumentale.
Dans un ensemble comme celui là, comme dans chaque orchestre ou chorale, chaque individualité compte pour atteindre le résultat collectif. C 'est un moyen exceptionnel pour apprendre à se connaître, à s'écouter, à écouter l'autre… La pratique musicale collective forge ainsi le sens du respect, de la solidarité et du partage.
C’est particulièrement touchant pour un professeur de voir comment les plus grands élèves aidaient les plus jeunes à surmonter les difficultés techniques alors que ces derniers observaient la manière de jouer des plus avancés.
Après de nombreux échanges téléphoniques avec le directeur du festival, et l'envoi d'une captation de notre spectacle, nous avons eu la joie d ‘apprendre que le Crr de Bayonne participerait aux Rencontres Internationales de Violoncelle de Beauvais !
Portés et encouragés par notre excellentissime directeur de conservatoire de l'époque, Xavier Delette (actuellement directeur du Crr de Paris), ainsi que par l'association « Cello and co » qu’Emmanuelle Bacquet et moi avions créée, nous partîmes pendant une petite semaine à Beauvais pour nous produire à plusieurs reprises pour des concerts scolaires, le directeur du festival ayant eu l'idée d’ouvrir les concerts au jeune public local ; et pour cela, rien de mieux que de permettre à des jeunes d’écouter d’autres jeunes.
Notre spectacle « Cello Disney » était mis en scène par mon ami Gaël Rabas, directeur du Théâtre du Versant de Biarritz.
Trois comédiens du Versant étaient de la partie, mais Gaël avait également mis en scène certains élèves violoncellistes. Tous étaient costumés et maquillés ; je garderai en mémoire cette violoncelliste de la classe, Manon , qui pendant la musique de Mary Poppins s’éleva dans les airs, au-dessus de tout l'orchestre, avec un parapluie à la main, Manon ayant été préalablement harnachée... un moment absolument magique et féerique !
Nos élèves ont vécu en stars pendant cinq jours : logés dans un hôtel, mangeant au resto midi et soir… Le plus fantastique était bien entendu qu'ils aient pu assister à tous les concerts proposés lors de ce festival, et rencontrer le Maître Rostropovitch. Que de beaux souvenirs avec ces élèves qui partageaient leur passion et vivaient des émotions ensemble.
Je n'oublierai jamais les visages, les regards, les sourires de ces mômes enlaçant leur instrument et formant un orchestre où le violoncelle était roi, mais surtout où le plaisir de jouer et le partage des émotions avaient nourri leurs âmes.
Pour la petite histoire, l’association « Cello and Co », nourrie au bon grain par les parents d’élèves des deux classes de violoncelle du Crr de Bayonne, créa un univers de rencontres, d’échanges, de temps forts, de découvertes, et ceci pour le plus grand plaisir des élèves violoncellistes.
Il y eut pendant dix ans les auditions auprès des personnes âgées dans des maison de retraite, des temps forts auprès des enfants malades à l'hôpital, plusieurs participations au Téléthon, des concerts à thème, récitals en lien avec la poésie, concerts pour les scolaires et bien d’autres initiatives heureuses… A chaque fois, le même plaisir de jouer, le même plaisir de partager des rencontres thématiques autour du violoncelle, le même plaisir d’écouter ensemble de nombreux concerts de violoncelle, les auditions et examens des Prix du CNSM de Paris ou encore le voyage sur Paris pour assister à deux finales du Concours International Rostropovitch en 2001 et 2005.
Les concerts « Cello Disney » furent en 2004 un véritable succès au Festival de Beauvais ; son directeur nous invita d'ailleurs de nouveau au festival de 2007 au cours duquel nous jouâmes notre second spectacle intitulé « Cello Ciné ».
Cette fois-là, nos 60 élèves violoncellistes devaient également être dirigés par Rostropovitch lui-même pour un concert qui devait mêler 250 violoncellistes (professeurs et grands élèves de plusieurs Crr de France). Malheureusement, le Maître russe décéda dix jours avant le début du festival. Nous fîmes donc ce concert de 250 violoncellistes mais il devint un concert en hommage à Rostropovitch ; il fut alors dirigé par Frédéric Lodéon.
Je ne peux décrire l'émotion palpable en jouant au côté de mes élèves dans cette immense cathédrale de Beauvais, le 10 mai 2007, à la mémoire du plus grand violoncelliste de tous les temps, mort dix jours auparavant.
La musique permet de vivre des instants exceptionnels, et la partager ainsi décuple encore davantage ces émotions.
Il me tarde de retrouver mes élèves violoncellistes du conservatoire de Bayonne et de l'école de musique de Tarnos, mes amis du quatuor Arnaga et du Belharra Trio, mes collègues de l'Orchestre Symphonique du Pays Basque ainsi que mes musiciens adorés de l'Ensemble Orchestral de Biarritz, afin de partager des émotions que seule la musique à le pouvoir de procurer.
Légendes : 1 Répétitions à Beauvais
2 Mstislav Rostropovitch
3 Yves Bouillier et Frédéric Lodéon