Les chrétiens Orthodoxes fêtent la Résurrection ce dimanche 16 avril, une semaine après les Catholiques.
L’occasion d’évoquer Nicolas Gogol qui passait assurément pour l’écrivain le plus religieux de la littérature russe, non seulement par sa vision des choses, mais aussi par le mode de vie. L’œuvre de Gogol possède même au dire des exégètes « un grand potentiel missionnaire » en ce qu’elle « aiderait l’homme contemporain à comprendre le sens d’un sacré » singulièrement absent chez « l’Occidental » contemporain !
Or, en avril 1864, l’écrivain russe Tourguénieff, qui résidait alors à Paris, se plaignait dans sa correspondance avec Pauline Viardot de « l’air encore froid et de la lenteur avec laquelle le printemps arrivait, qui nous paraît un peu insipide, à nous autres Russes, habitués que nous sommes à une explosion violente, presque brutale de la vie arrêtée et enfermée pendant cinq mois sous la glace et la neige » (en français dans le texte).
Cette véritable transe que provoquait le retour du printemps, à l’origine fête païenne dont la marque atavique avait coloré le rituel chrétien, le compositeur Rimsky-Korsakoff l’avait admirablement rendue dans sa « Grande Pâques russe », à l’époque où Nicolas Gogol réapprenait à ses contemporains le symbolisme de l’office divin et où les musiciens slavophiles ressuscitaient l’esprit national dans leurs compositions aux couleurs de la Sainte Russie.
Il en a décrit l’atmosphère dans son « Journal de ma vie musicale » : « Le carillon orthodoxe russe n’est-il pas de la musique dansante ? Les barbes frémissantes des prêtres et des diacres en chasubles écarlates, chantant dans un tempo Allegro vivo « Bonnes Pâques » ne transportent-elles pas l’imagination en des temps très
anciens » ? C’est cet aspect légendaire de la fête, passage du soir triste et mystérieux de la Passion à la réjouissance effrénée du matin de la Résurrection que l’on ne peut manquer de ressentir par toutes les fibres de son âme lors des matines pascales dans une église orthodoxe.
Le triomphe de la lumière le Samedi Saint
Encore de nos jours, Pâques est la fête majeure du calendrier de l’église orthodoxe et c’est en Russie que sa célébration revêt son plus grand éclat. Il est de tradition qu’une délégation assiste à la cérémonie du Feu nouveau à l’église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, et l’achemine en avion à Moscou où le Patriarche célèbre l’office pascal à la Cathédrale du Christ Sauveur. Car, chaque année, se reproduit ce miracle du Feu du Saint-Sépulcre qui descend le Samedi Saint, embrase en un instant une multitude de cierges et illumine la basilique de la Résurrection à Jérusalem.
Dans notre région, à Pau et à Bordeaux (pour la côte basque, à la chapelle aux icônes à Cambo, la liturgie pascale sera célébrée le samedi dans l’Octave de Pâques, le 22 avril) comme dans toutes les églises orthodoxes, les officiants troquent à la mi-journée leurs noirs habits de deuil contre l’or et l’éclat pourpré annonçant l’allégresse qui retentira à la nouvelle du Salut.
Aux lueurs finissantes de l’astre diurne, les fidèles s’assemblent à l’église. Ils disposent leurs œufs colorés, les « Paskha » (met pascal à base de fromage blanc) et
« Koulitch » (pâtisseries cylindriques) qui seront bénies tout à l’heure par le prêtre, et se préparent à la procession qui entourera trois fois le bâtiment de ses bannières éployées et de la lumière vacillante de ses cierges, aux accents chaleureux des hymnes liturgiques : « Ta résurrection, Christ Sauveur, les anges la célèbrent dans les cieux, et nous qui sommes sur la terre, rends nous dignes de le glorifier d’un coeur pur »...
Rentrant à l’église, célébrants et fidèles échangeront les joyeuses et bruyantes salutations : « Christ est ressuscité ! - En vérité, il est ressuscité » ! La traditionnelle lecture du sermon de Saint Jean Chrysostome engage tous les hommes - même ceux de la « douzième heure » - à participer à une allégresse et à une certitude de la foi sans équivalents en Occident, ponctuées du chant sans cesse répété : « Le Christ est ressuscité des morts. Par Sa mort Il a vaincu la mort. A ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la
vie ». Puis viendront les agapes fraternelles.
Pâques est une fête mobile et, de plus, l’usage du calendrier julien chez les Orthodoxes (qui retarde de 13 jours sur le grégorien adopté en Occident depuis la Renaissance) empêche une célébration en même temps que leurs frères Catholiques. Or il convient de rappeler que les fêtes religieuses ne sont pas obligatoirement des dates anniversaires, mais constituent des « icônes cosmiques » montrant que l’univers entier participe au sens de la fête.
Ainsi, comme pour Noël (fixé au solstice d’hiver, l’allongement des jours marquant au plan cosmique cette naissance qui « a fait resplendir dans le monde la lumière de l’intelligence »), la date choisie pour Pâques, plus qu’une référence historique à la pâque juive mentionnée dans les Évangiles, montre le triomphe de la lumière sur les ténèbres, « nuit rédemptrice et lumineuse, Messagère du jour radieux de la Résurrection ; en elle la Lumière éternelle apparut à tous ».
L'action de la Divine Liturgie par l’écrivain Nicolas Gogol
Pour en revenir à Gogol, il eut une très grande influence sur l'œuvre des écrivains russes du XIXe et du XXe siècles. "Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol", disait Dostoïevski. En effet, l'oeuvre de Gogol possède un grand potentiel missionnaire : elle aide l'homme contemporain à comprendre le sens des sacrements de l'Église. Voici ce qu'il écrivait :
- "L'action de la Divine Liturgie sur l'âme est grande : elle s'exerce publiquement, devant les yeux de tous, à la face de l'univers entier et pourtant secrètement. Pourvu que le fidèle suive avec révérence et zèle chacun des actes de la Liturgie, pourvu qu'il soit réceptif aux appels du diacre, son âme en sera élevée, les commandements du Christ lui deviendront faciles à exécuter, le joug du Christ lui sera doux et son poids léger. A sa sortie du temple, où il a assisté à la divine cène d'amour, il voit des frères en tous les hommes.
S'il entreprend de vaquer au cours ordinaire de ses occupations, dans sa profession, à son foyer, en quelque lieu que ce soit, son âme gardera spontanément dans le commerce avec les hommes le sublime idéal d'amour, apporté des cieux par l'Homme-Dieu. Il aura spontanément plus de charité et d'affection pour ceux qu’il commande.
S'il est lui-même sous l'autorité d'un autre, il lui obéira plus volontiers et avec plus d'amour comme il obéirait au Sauveur lui-même. S'il se voit implorer en aide, plus qu'en tout autre moment son coeur sera disposé à secourir, il deviendra plus sensible et donnera à l'indigent avec amour. S'il est pauvre, il recevra avec reconnaissance la moindre aumône : son coeur ému se confondra de gratitude et jamais il n'aura prié avec autant de reconnaissance pour son bienfaiteur. Et tous ceux qui ont participé à la Divine Liturgie avec zèle s'en vont plus humbles, plus doux dans leurs rapports avec les hommes, plus bienveillants et plus calmes dans toutes leurs actions.
C'est pourquoi, quiconque veut progresser et devenir meilleur doit fréquenter le plus souvent possible la Divine Liturgie et s’y engager avec attention : car elle édifie et façonne l'homme imperceptiblement.
Et si la société n'est pas encore corrompue tout à fait, si parmi les hommes on ne respire pas encore une haine totale, implacable, la raison profonde en revient à la Divine Liturgie qui rappelle à l'homme le saint amour céleste pour son frère. Aussi, qui veut se fortifier dans l'amour doit, autant qu'il lui est possible, assister à la sainte cène d'amour. Et s'il se sent indigne de recevoir dans sa bouche le Dieu qui est tout Amour, qu'il assiste au moins en solidarité à la communion des autres, afin de devenir imperceptiblement et insensiblement plus parfait chaque semaine.
Immense et incommensurable peut être l'influence de la Divine Liturgie, si on l'écoute avec le dessein de mettre en pratique ce qu'on entend.
Enseignant également à tous, agissant également sur tous les chaînons, depuis l'empereur jusqu'au dernier des mendiants, elle révèle à tous une même vérité en une même langue, à tous elle enseigne l'amour, qui est le lien de toute société, le ressort caché de tout ce qui se meut harmonieusement, la nourriture, la vie de l'univers.
Mais si la Divine Liturgie agit fortement sur ceux qui participent à sa célébration, elle agit d'autant plus fortement sur celui même qui la célèbre, c'est-à-dire le prêtre. Pourvu qu'il l'ait célébrée avec piété, avec crainte, foi et amour, il est dès lors totalement pur comme les vases sacrés... S'il passe tout ce jour-là à remplir ses obligations variées de pasteur, ou bien s'il reste dans sa famille parmi les siens, ou bien au milieu de ses paroissiens, qui forment aussi sa famille, l'image du Sauveur lui-même sera présente en lui, et dans toutes ses actions c'est le Christ qui agira ; dans toutes ses paroles, c'est le Christ qui parlera. Soit qu'il engage des ennemis à la réconciliation, soit qu'il persuade au puissant la pitié à l'égard du faible ou qu'il apaise celui qui est aigri, soit qu'il console l'affligé ou qu'il exhorte à la patience l'opprimé, toujours ses paroles acquerront la vertu de l'huile de guérison et partout elles seront des paroles de paix et d'amour".
« Conclusion » des Méditations sur la Divine Liturgie du poète et romancier russe Nicolas Gogol (1809-1852), auteur des Âmes mortes (1842).