Etienne Carboni (Kad Merad) est un comédien sans activité marquante depuis deux ans. Il vit solitaire, déprimé. Même sa fille Nina (Mathilde Courcol-Rozès) lui reproche son attentisme, sa vacuité. Grâce à Stéphane (Laurent Stocker), un ancien camarade, devenu administrateur du théâtre de la Croix Rousse à Lyon, il rencontre Ariane (Marina Hands) directrice de la prison de Lyon. Pour lui venir en aide, celle-ci propose à Etienne de reprendre un travail commencé par un autre comédien qui a démissionné : il s’agit de faire apprendre quelques fables de La Fontaine (1621/1695) à des détenus (volontaires) dans une petite salle polyvalente au sein de l’établissement pénitencier. Etienne accepte avec empressement, la proposition.
Etienne, consciencieux, fait répéter les fables de La Fontaine par cinq prisonniers : Patrick, son homme lige, Alex sûr de lui, Dylan, Moussa un grand black, Jordan un illettré et Nabil très effacé. Les textes du fameux fabuliste sont débités sans aucun intérêt par les récitants qui s’en gaussent. Manifestement, les détenus sont présents dans cet atelier pour altérer la monotonie de leur détention. Courroucé, agacé, par le peu d’implication des pseudos comédiens, Etienne propose alors à Ariane, la directrice, de monter une célèbre pièce de théâtre : En attendant Godot (1952) pièce en 2 actes de l’écrivain, poète et dramaturge irlandais d’expression française, Samuel Beckett (1906/1989) ! Après un temps d’hésitation, Ariane, malgré l’incongruité du projet théâtral d’Etienne, donne son accord, non sans quelques appréhensions, sur la faisabilité de cette ambitieuse entreprise. Les apprentis acteurs sont tous condamnés à de lourdes peines …
Etienne négocie six mois de répétitions pour une unique représentation au théâtre de la Croix Rousse à Lyon. Dans la salle polyvalente, sous le regard de surveillants, de fastidieuses séances de travail commencent … Etienne n’est pas au bout de ses peines !
En attendant Godot a été créé à Paris (Théâtre de Babylone – Paris VII ème, disparu depuis) en janvier 1953, dans la mise en scène historique de Roger Blin (1907/1984). C’est une pièce au départ très controversée, qui a révolutionné une forme théâtrale aujourd’hui répandue : le Théâtre de l’absurde. Quatre personnages (Vladimir, Estragon, puis Pozzo et Lucky) dissertent d’une manière décousue, se chamaillent, en attendant un cinquième, Godot, qui bien qu’annoncé n’apparaîtra jamais sur scène. Les mises en scène (nombreuses !), le jeu des acteurs (en particulier), peuvent faire basculer la pièce vers plus d’absurdité ou plus de burlesque. D’autre part, le texte par sa forme, donne, du fait de ses « entrées multiples », en quelque sorte un choix interprétatif au spectateur. Son génial auteur, Samuel Beckett (Prix Nobel de littérature 1969) s’est bien gardé de définir ce qu’il a voulu exprimer dans son drame. Le spectateur est libre de choisir les signifiants des actions (désordonnées ?) qui se déroulent sous ses yeux, dans un décor épuré : un arbre stylisé au milieu de la scène.
Un triomphe (106’) est le deuxième long métrage du réalisateur, acteur (cinéma, télévision) et scénariste Emmanuel Courcol (63 ans). Il a procédé à une minutieuse enquête dans le milieu carcéral avant de coécrire le scénario de son dernier opus. De surcroît, il a vu un spectacle au Théâtre Paris-Villette, L’Iliade (2016) d’après Homère, monté par le metteur en scène Luca Giacomoni auquel participaient des détenus du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin. D’autre part, il a structuré sa narration sur une histoire vraie tirée d’un fait divers suédois. En 1985, l’acteur et metteur en scène Jan Jönson monte, avec les détenus de la prison de haute sécurité de Kumla, En attendant Godot… Le terme de cette aventure théâtrale est déroutant !
Pour raconter cette histoire à la fois émouvante et drôle, Emmanuel Courcol a réuni un casting impressionnant avec en premier lieu Kad Merad (Etienne, le metteur en scène) d’une grande justesse loin de ses habituels rôles indigents de rigolo de service. Tous les autres interprètes sont justes et évitent, sous la gouverne du réalisateur, des postures caricaturales. L’ensemble sonne aussi vrai que possible, d’où notre adhésion à cette incroyable histoire.
Un triomphe a été en sélection officielle du Festival de Cannes 2020. Au Festival du film francophone d’Angoulême 2020, il a obtenu deux récompenses : Le Prix Valois du public et le prix du meilleur acteur pour Sofian Khammes (Kamel Ramdane, le caïd) et Pierre Lottin (Jordan Fortineau, l’illettré).