1 – Ernest Simoni, citoyen albanais
De son nom Ernest Simoni, ce franciscain albanais, prisonnier politique du communisme et fait cardinal par le pape François, est un témoin incontournable d’un drame historique du siècle écoulé en Europe, et de la Foi vécue par cet homme.
Pendant dix-huit ans, il mania la pioche dans les mines des prisonniers condamnés aux travaux forcés par le président albanais Enver Halil Hoxha de triste mémoire, dictateur dans ce pays sous la botte communiste. Torturé, souffrant d’une pneumonie, condamné à mort deux fois, et pourtant, toujours vivant avec ses 88 ans de vie. Et d’affirmer : « J’ai tout pardonné à mes bourreaux, car c’est du passé ». L’homme est un mystique, ses invocations sont prophétiques, le franciscain qu’il est demeure apte au combat spirituel dans la prière et dans la privation. Un miraculé des enfers des catacombes que le pape François rencontra pour la première fois en novembre 2014, et le pape de pleurer publiquement face à cet homme quasi « surnaturel », et lui proposer de devenir cardinal en lui baisant les mains. Le rouge de sa vie de sacrifice signait la vêture cardinalice d’un apôtre exceptionnel déjà vénéré en Albanie et qui a quitté ce pays pour l’Italie afin d’éviter d’être l’objet d’un culte idolâtre de son vivant.
Sa vie est incroyable : arrêté à Noël 1963 par la police militaire, roué de coups, bastonné, les mains liées derrière le dos, ennemi du peuple, Ernest est, pour des années durant, entre les mains d’une police déchaînée contre tout ce qui peut représenter la Foi et une adhésion religieuse, quelle qu’en soit l’origine.
Jusqu’en 1989, les récits les plus sordides d’un régime communiste imposteur et ignoble traversent peu les frontières de ce pays, mais des témoins confirment tous les agissements de ce dernier carré de la dictature rouge en Europe.
Le cardinal Etchegaray le rappela au cours d’un exposé public à Espelette : « L’Albanie était, avec la Corée du Nord, l’un de ces derniers pays fermés » capable encore de telles ignominies.
Ernest veut devenir prêtre en ces années 1930. « Tout dépendra de l’Esprit Saint », avait-il dit à l’image de Jésus Christ. Le franciscain est simple dans son langage. Jésus n’est pas un idéologue, un leader de parti, mais celui qui nous donnera la résurrection. « C’est la grâce divine qui m’a appelé et éduqué ».
Ses parents catholiques le conduisent à la messe et l’inscrivent au collège franciscain. Les professeurs avaient été formés en Allemagne, et étaient diplômés des universités de Francfort, de Königsberg, et au collège les élèves apprenaient deux langues étrangères en plus de l’allemand : l’italien et le français. Ernest en parlera trois !
Mais le destin s’acharne sur l’Albanie. Invasion de ce pays par Mussolini en 1939, occupation par les nazis en 1943 et montée des partis de la résistance, tel le parti communiste albanais, un mouvement nationaliste anti-italien, anti-communiste et anti-royaliste, et le parti du roi déchu Zog Ier... Les communistes prendront finalement le pouvoir au sein du mouvement de libération nationale, avec l’aide de partisans yougoslaves de Tito
2 – L’Albanie de la souffrance
La guerre civile éclate et en 1944, les Allemands quittent l’Albanie mais l’Armée rouge approche. Le dictateur Enver Hoxha deviendra « le duce incontesté » tyrannique du petit pays en souffrance et maintiendra le peuple pendant quarante ans sous sa férule sanguinaire.
En 1945 la police militaire surgit dans le couvent franciscain de Scutari, accusant les frères d’avoir caché des armes sous l’autel de l’église. Ils seront fusillés sans exception, le couvent devient une prison de mort et de torture où plus de 700 hommes sont assassinés.
Staline signera en 1951 un premier accord pour témoigner au monde « d’un visage d’humanité du communisme » et, en fait, afin de rompre le lien de l’Eglise albanaise avec Rome en créant une église nationale communiste, dans ce cas albanaise. Le jeune séminariste est envoyé comme instituteur dans les villages analphabètes isolés des montagnes albanaises où il introduit un cours de catéchisme auprès des enfants. Ce qui révulse les tenants du régime. Par suite de sa demande d’être ordonné prêtre, l’administration l’envoie faire son service militaire. Un devoir contraint pour tenter de le supprimer par un travail de dix-sept heures par jour, accompagné d’un lavage de cerveau et de cours d’endoctrinement. Repéré comme séminariste catholique, il fait l’objet d’une surveillance rapprochée.
Ayant bravé tous les interdits liés à son appartenance religieuse, la vie qui l’attend n’est encore que prélude aux horreurs les plus abjectes d’une dictature communiste infâmante pour lui et ses proches. Ordonné prêtre par un évêque, il exerce son ministère franciscain auprès des malades, des indigents et des pauvres, selon la spiritualité de François d’Assise.
Arrêté le jour de Noël 1963, il est condamné à la pendaison, car lors d’une fouille de ses livres, la police avait déniché un exemplaire de la revue « L’Union Soviétique » (en français) introduite depuis Moscou où l’on représentait Kennedy et sa femme lors de son assassinat en 1962. Une preuve en plus de ses liens avec les ennemis du peuple albanais (à l’époque de la mésentente entre l’Albanie et l’URSS). Ernest est jeté, nu, dans une cellule, battu, injurié, torturé par ses geôliers.
Partageant la cellule avec un compagnon faussement dissident et passé dans le camp communiste, on cherche à lui faire raconter et défendre des thèses contre le régime. Il devine le piège monté contre lui et évite d’y tomber.
Peine de prison commuée en travaux forcés dans les mines sous 500 mètres pour y extraire du cuivre et de la pyrite, il résiste aux conditions de survie les plus incroyables « sous la protection de Dieu », dira-t-il. « Nous étions soumis aux bastonnades contraints au travail par élimination malgré les maladies, sous prétexte d’éducation aux valeurs du marxisme ».
Disant la messe en cachette, fabricant le pain eucharistique et le vin en pressant des graines de raisin... On me prenait pour fou, les gardes ne comprenaient rien à mes actions.
Pour moi j’y voyais la protection divine !
Issu d’une famille très pauvre comme nombre de familles de l’époque, les visites au prisonnier sont contingentées. La famille subit à son tour des pressions, telle l’interdiction faite aux enfants de s’instruire, de se déplacer. Pour les communistes, la maison familiale était devenue « l’antre du pape, des prêtres et des ennemis du peuple ». Une accusation grave qui avait des conséquences pour tous, envoi en camp de concentration, confiscation de biens, et assassinat par des barbouzes commandités.
3 - En 1978, le dictateur albanais franchit un seuil dans la répression religieuse.
Il proclame l’athéisme comme idéologie officielle de l’Etat, développant une conception matérialiste scientifique du monde. Dans le Texte Constitutionnel voté par le parlement, on pouvait lire : « les fondements de l’obscurantisme religieux ont été détruits, et la figure morale du travailleur, sa conscience et sa conception du monde se forment sur la base de l’idéologie prolétarienne qui est l’idéologie dominante »... Conséquences directes d’une telle constitution, les prénoms étrangers à consonance religieuse furent bannis, pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. L’idéologie athée était contre Dieu dira Ernest, car elle veut arracher Dieu de l’homme. « Pour nous chrétiens, nous voulions l’égalité des hommes, riches et pauvres, tous égaux et aussi dignes les uns que les autres ».
En 1981, il est sorti des camps de travail forcé pour une peine aménagée en curant les égouts de la ville. Le jour il travaille à ce labeur sans commentaire, le soir il administre sa vie sacerdotale et les fidèles affluent par centaines sous le regard de la police qui comprend désormais le rayonnement de ce camarade imprévisible. Convoqué en septembre 1990 par la police secrète de Tirana, il s’attend à une nouvelle arrestation et au pire.
Il est d’autant plus surpris que le pouvoir communiste propose de rouvrir les églises qui avaient connu d’autres affectations : gymnases, salles de spectacles, magasins et commerces, prisons et maisons de redressement...
Devenu cardinal, Ernest Simoni est pour le moins peu conforme au modèle romain auquel on attache cette tradition ecclésiale. Mais le pape François qui a placé son pontificat sous le regard de François d’Assise a choisi cet humble prêtre franciscain pour l’élever au rang cardinalice. Et les Albanais devinent déjà qu’au-delà de ce premier palier de la compassion évangélique, pour tous, le Cardinal Simoni adresse au monde un message universel de paix et de dialogue urgent pour le temps qui vient !
François-Xavier Esponde