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Critique de Cinéma
Un héros (127’) - Film iranien d’Asghar Farhadi
Un héros (127’) - Film iranien d’Asghar Farhadi

| Jean-Louis Requena 800 mots

Un héros (127’) - Film iranien d’Asghar Farhadi

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"Un Héros" à Cannes ©
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"Un Héros" d’Asghar Farhadi ©
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A Chiraz, grande agglomération au sud-ouest de l’Iran, proche du golfe persique, Rahim (Amir Jadidi), peintre et calligraphe sort de prison avec une permission de quarante-huit heures. Il a été emprisonné pour ne pas avoir réglé ses dettes à son créancier et ex-beau-frère Bahram (Moshen Tanabandeh). Durant son court séjour en liberté provisoire, il est accueilli dans la famille de sa sœur et de son beau-frère, un couple chaleureux, qui héberge également Siavash (Saleh Karimaei), son jeune fils. Ce dernier souffre de troubles du langage : il bégaie. Rahim divorcé, vit une histoire d’amour avec Farkhondeh (Sahar Goldoost) l’orthophoniste qui soigne son enfant. Ils songent à se marier dès que Rahim aura résolu son passif.

Farkhonded révèle à Rahim qu’elle a trouvé un sac contenant des pièces d’or et qu’elle peut, en les vendant, lui permettre de rembourser l’emprunt qu’il a contracté auprès de Bahram. Chez l’usurier, en négociant les pièces d’or, Rahim s’aperçoit que le compte n’y est pas : la totalité de la dette ne sera pas effacée. Il prend alors une décision héroïque : coller dans le centre-ville de Chiraz des affichettes exhortant le propriétaire du sac égaré à se faire connaitre auprès de sa sœur.

Alors qu’il est détenu pour dettes, son action désintéressée suscite immédiatement l’intérêt des autorités, des médias et des réseaux sociaux. Soudainement, Rahim devient un héros du quotidien encensé, courtisé, par une association caritative importante dirigée par madame Radmerh (Fereshteh Sadrorafaei). Celle-ci organise une grande manifestation ou Rahim, accompagné de son fils, est récompensé pour son altruisme nonobstant son statut de prisonnier …

Au premier rang de l’auditoire, Bahram, son créancier, qui réclame toujours son argent destiné à la dot de sa fille, désapprouve ce rassemblement enthousiaste à la gloire de Rahim. Pour lui, Rahim jamais à coup d’astuces, avec ses manières empruntées, sa mine résignée, son pâle sourire, a arrangé la vérité : il ment, comme il a toujours menti ….

Rahim à la conduite exemplaire, est sollicité de toute part. C’est un exemple de probité. Est-il un homme bon, naïf ou un manipulateur ?

C’est au cœur de ce dilemme que le réalisateur, également scénariste, Asghar Farhadi (49 ans), a construit un récit haletant autour du couple Rahim et de sa compagne Farkhondeh. Tous les personnages animés de leurs propres convictions évoluent en « zone grise » : dans ce récit, pas de place pour le manichéisme. Les bonnes intentions peuvent se révéler néfastes et inversement. Les hommes (passifs/agressifs) paraissent perdus, comme entraînés par leurs propres pulsions, alors que les femmes plus sereines, enveloppées dans leurs tchadors, sont les véritables moteurs de l’intrigue à rebondissement. Leurs interventions répétées, discrètes, efficaces, nous accompagnent jusqu'au dénouement. Elles sont les vigiles du regard d’autrui, si important dans la société iranienne ou l’apparence, l’image d’une famille, ce qui est convenu d’appeler l’honneur, compte plus que tout. Les hommes s’agitent, les femmes agissent … dans l’ombre.

Dans Un héros (127’), son neuvième long métrage, Asghar Farhadi démontre à nouveau sa maitrise du découpage, de la mise en scène (une seule caméra !), de la prise de son direct, de sa direction d’acteurs dans des lieux différents : aux espaces ouverts (champs, rues animées, etc.) peuvent succéder des espaces clos (intérieurs voitures, appartements, etc.) ou semi-ouverts (galeries marchandes à baies vitrées) sans qu’il ne sache où placer sa caméra : elle est positionnée pour l’acmé des émotions a partager. Le réalisateur peut cumuler dans une même scène, la maîtrise de l’espace (ouvert ou clos) et une logorrhée compréhensible dans ses intentions malgré la barrière de la langue (le persan). Le résultat est un étourdissant manège de redites altérées qui relancent sans cesse le déroulé de l’histoire tout en le complexifiant avant le long plan fixe final d’une grande beauté visuelle et narrative.

Dans un récent interview, Asghar Farhadi a souligné son admiration pour Rashômon (1950) le film japonais d’Akira Kurosawa (1910/1998) ou la même histoire est racontée par quatre personnages différents. Il en a retenu la leçon dramatique : à chacun sa vérité.

Depuis A propos d’Elly (2009) nous suivons la production de ce réalisateur iranien qui nous a proposé depuis, entre autres des réalisations remarquables : Une séparation (2011) un million d’entrées en France, Le Passé (2013) au score égal avec des acteurs français (Bérénice Bejo, Prix d’interprétation au Festival de Cannes et Tahar Rahim). Le cinéma iranien nous a proposé depuis la réouverture des salles obscures (mai 2021) pas moins de deux autres films remarquables : La Loi de Téhéran, un thriller haletant de Saeed Roustayi et Le Diable n’existe pas, quatre contes persans de Mohammad Rasoulof.

Un héros est coproduit par la société française Memento Film d’Alexandre Mallet-Guy tout comme ses précédents ouvrages depuis Le Passé (2013). Au Festival de Cannes 2021, Un héros a été récompensé du Grand Prix ex-aequo avec Compartiment n°6 du finlandais Juho Kuosmanen. Il représentera l’Iran à la cérémonie des Oscars 2022.

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