C'est dans la partie occidentale de la Chrétienté que Noël connut les plus grandes solennités, pour avoir « annexé » peut‑être d'antiques festivités païennes correspondant au solstice d'hiver, au moment où la saison froide, parvenue au sommet de sa course, reprend ensuite l'allongement régulier de ses jours.
Au sein de la longue nuit hivernale, l'homme se chauffait au foyer rayonnant dans l'ardeur de la fête et laissait éclater son allégresse et son espérance dans la victoire de la lumière sur les forces obscures et le triomphe des naissances qui perpétuent sa descendance et son environnement naturel. Dans un esprit semblable aux feux de la Saint Jean qui faisaient promener dans les champs de la campagne basque des brandons allumés, on brûlait dans le foyer la bûche de Noël ou « gabonzuzi ». Quant aux Gascons, ils allumaient aussi leurs « halhes de Nadau », points d’or qui illuminaient la grande nuit commençante, répondant aux étoiles de la voûte céleste.
Dans tout le Sud-Ouest, en cette nuit sacrée du 24 au 25 décembre, des milliers et des milliers de feux étaient ainsi allumés par chaque foyer. La flamme de chaque maison attestait sa pérennité, sa vie profonde accompagnant chacune des générations qui vivaient sous son toit... et on connaît l'importance de l'Etxe dans nos sociétés traditionnelles ! Les châtaignes grillées et la miche de maïs et d'anis au miel doré, détrempée, moitié méture et pâté, accompagnaient le récit d’histoires fantastiques autour du feu dont les ombres projetées entraînaient les esprits vers toutes les évasions...
A propos de ces ombres, ne dit-on pas que ce fut l’un des stratagèmes imaginés par les habitants de Capbreton pour décourager les pillards normands tentés par l’estuaire de l’Adour ? Ils allumèrent donc un grand feu, devant lequel, ombres mouvantes, ils passèrent et repassèrent sans cesse, faisant croire à un nombre impressionnant de défenseurs . Si les Normands épargnèrent peut-être Capbreton, ils n’en remontèrent pas moins l’Adour pour piller Bayonne et décapiter son saint évêque Léon ! Quant aux Capbretonnais, ils reproduisent encore à chaque fin d’année un gigantesque brasier, le « feu de la torrèle », ainsi nommé car car c’est une véritable « tourelle » édifiée à partir de pièces et de débris de bois entassés qui est enflammée « afin d’illuminer et de réchauffer les âmes en témoignant de leur reconnaissance au Ciel ».
Rites et superstitions
Toute la société, jusqu’à ses plus humbles représentants, avait à cœur de participer à des festivités qui procuraient également le périodique délassement des peines et du labeur.
Le côté « pratique » régentait pour une bonne part ce monde rural : l'abbé Barandiaran rapporte qu'à Sare comme en d'autres villages du Pays Basque, le délai pour le paiement des taux de fermage ou de métayage s'ouvrait à la Saint‑Martin et se clôturait le jour de Noël.
Les propriétaires des maisons n'avaient pas l'habitude d'exiger ce paiement dès le début de la période comprise entre ces deux dates car il était de notoriété que plus tard, les locataires, surtout les fermiers ou cultivateurs, avaient de meilleurs moyens pour le faire avec le maïs, le gland et les autres produits d'automne, ils pouvaient engraisser des porcs et se faire ainsi de l'argent pour payer les rentes... D'ailleurs ces fêtes de fin d'année annonçaient déjà une période de réjouissances gastronomiques. Car, succédant à l'Avent - cette période de jeûne (actuellement bien oubliée) qui précédait Noël ‑ venait le « pèleporc » que la malice paysanne proclamait irrévérencieusement la plus grande fête de l'année.
Mais en attendant, les superstitions n’étaient pas rares au Pays Basque où l'on se devait de nettoyer la maison et les écuries la veille de Noël. Le chroniqueur Juan Jose Lapitz se rappelle avoir participé à Fontarabie, il y a quelques cinquante ans, à un de ces repas toujours très frugaux la veille de Noël qui voyaient jeter par la fenêtre tout le contenu de la maisonnée, comme pour prendre congé de l'année finissante. Ce soir‑là on interdisait de filer, et on devait semer de l'ail destiné à la médication domestique pour le récolter la veille de la saint jean.
On racontait même à Sare, avant-guerre, qu'une jeune fille, devenue enragée pour avoir été mordue par un chien atteint, avait été enfermée par sa famille dans une chambre où il y avait l'ail semé la veille de Noël et récolté la veille de la Saint Jean : la malade en mangea, et bientôt fut totalement guérie. On disait encore que le charbon de la bûche de Noël guérissait tous les maux...
Des rondes très malicieuses
Souvent, les veillées autour des cheminées étaient ponctuées pas la visite de rondes : trois, quatre ou cinq jeunes représentant les Rois Mages et leur suite, dont l’un chevauchait un petit âne et son compagnon portait une lanterne simulant une étoile à cinq rayons, chantaient et quêtaient d’une maison à l’autre. Cette tradition des « villancicos » (les chants de Noël d’outre-Bidassoa) était également très populaire en Russie, sous le nom de « Kaliatkis ».
A Sare, les jeunes quêteurs revêtaient un pantalon blanc orné de bandes rouges ou bleues et de grelots une chemise blanche avec des rubans rouges pendant aux avant-bras , un mouchoir de soie rouge bordé de « korskoilak » (grelots) avec houppe rouge au centre. Parfois aussi, ils arboraient la « Carrossa » (blouse bleu obscur) avec un mouchoir « basque » autour du cou. Au son des tambours et des accordéons, ils arrivaient donc au seuil d’une maison et, souhaitant la bonne année, s’adressaient à l’etxekanderea : « Elégante maîtresse de maison, nous nous présentons à vous ; si l’argent manque, ces méchants garçons emporteront le lapin » !
Sans oublier pastorales de Noël gasconnes. Une « Pastorala de Nadau » avait été jouée il y a quelques années à Bayonne en s’inspirant d’une pastorale jouée à Noël dans une église en Bigorre vers 1850. Ces pastorales gasconnes suivent une très vieille tradition de chants de Noël et de dialogues chantés par les personnages tels l’ange, les bergers, Joseph, Marie, les Rois Mages, sur fond sonore d’instruments traditionnels, en particulier la flûte à trois trous parente de celles du Pays Basque, le violon et la cornemuse landaise ou « boha ».
Alexandre de La Cerda