Loin du bruit et des effervescences d’une actualité tourmentée (particulièrement pour le monde paysan et les éleveurs), entre quelques gouttes de pluies et des éclaircies prévues par la météo, je vous invite à une promenade afin de nous ressourcer au tréfonds des coutumes et de notre patrimoine le plus ancien. En Soule, à l’orée du « Béarn des gaves » la très belle église de l’Hôpital Saint-Blaise à l’architecture unique est dédiée au culte du patron des éleveurs honoré chaque année lors d’un pèlerinage qui a précisément lieu ce dimanche 4 février. Après la messe célébrée à 10h30, une procession se déroulera dans le village avec la statue de Saint-Blaise. Certains rites qui y sont attachés semblent bien antérieurs au christianisme. Bernard Duhourcau les décrivait ainsi dans son livre « Les Pyrénées mystérieuses » : « Le pèlerinage dure trois jours, au début de février. Les hommes seuls s'y rendent. Chacun s'inscrit pour autant d'évangiles qu'il a de têtes de bétail dans son étable. Tous apportent des poignées de poils coupés aux queux des animaux. Le soir venu, devant le sanctuaire, on les jette sur un brasier enflammé. Les pèlerins dansent autour du feu qui répand un encens que l'on dit agréable au saint protecteur des animaux ».
Ne disait-on pas également que la cloche de cette église serait douée de propriétés miraculeuses ? On obtiendrait la guérison d'une maladie en plaçant le membre souffrant - par exemple la tête, s'il s'agit d'une rage de dents - à l'intérieur de la cloche, pendant que le sonneur la fait tinter doucement... Saint Blaise était réputé guérir aussi les maux de gorge. C’est un des saints protecteurs les plus vénérés en Europe. Beaucoup d'églises lui sont consacrées. De nombreux corps de métiers en ont fait leur saint patron : les bergers, les cardeurs de laine, les tailleurs de pierre, les vignerons et d’autres.
Un saint à multiples facettes
Blaise, qui avait étudié la philosophie dans sa jeunesse, était un médecin à Sébaste en Arménie, sa ville natale, et il exerçait son art avec une capacité extraordinaire, une grande bonne volonté et de la piété. Quand l'évêque de la ville mourut, l'acclamation de tout le peuple le désigna pour lui succéder. Mais, pour échapper aux persécutions de Dioclétien, le saint gagna une caverne où il vécut en ermite. Les oiseaux lui apportaient sa subsistance, et de partout aux environs, les gens accouraient pour faire soigner leur âme, leur corps… Et leurs troupeaux ! Même les animaux sauvages survenaient. Lors d'une partie de chasse, les soldats du gouverneur local tombèrent sur cette grotte, et virent la foule des animaux autour de Blaise, mais ils n'en purent capturer aucun. Aussi, le gouverneur de Cappadoce, Agricola, fit-il amener le saint sous bonne escorte. Notre saint évêque fut martyrisé en Arménie sous Licinius, en 316.
Or, la renommée de Saint Blaise s’étendit très loin : même en Russie, saint Vlasij est le saint patron des troupeaux. Si le saint n’a jamais quitté sa région natale de Sébaste, son culte a été véhiculé très tôt par les réfugiés d’Asie Mineure, par les religieux, en particulier les Bénédictins et par les croisés au moment des Croisades. Il est mis aussi à contribution pour soigner les maladies des animaux et pour la protection des cultures, etc... Il est ainsi à l'origine de nombreux dictons météorologiques : « A la Saint-Blaise, l'hiver s'apaise, s'il redouble et s'il reprend, de long temps il ne se rend ». Du fait de son martyr, il est aussi patron de différentes corporations : celles des bouviers, des cardeurs, des drapiers, des tailleurs de pierre, des maçons. C’est ainsi que sur un des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, en Soule, se trouve ce havre de repos pour les pèlerins qu’est l'Hôpital Saint-Blaise, dont les Arméniens disent que l’église ressemble à une des leurs.
Une architecture unique
L’église de l'Hôpital Saint-Blaise à a été bâtie au XIIe siècle en forme de croix grecque et surmontée d’un lanternon central octogonal. Son architecture est unique de ce côté des Pyrénées car elle rappelle les monuments hispano-arabes d’Andalousie. En particulier une coupole sous tendue par huit arcs qui dessinent une étoile à huit branches, et dont le centre est vide. Un « Oculus » (œil, en latin) comme dans l’ancienne mosquée de Cordoue.
Situé sur une route secondaire des Chemins de Saint-Jacques, l’église de l’Hôpital Saint-Blaise faisait autrefois partie d’un « Hôpital de miséricorde » destiné à l'accueil des pèlerins que les chanoines Augustins de l'abbaye Sainte Christine du Somport avaient édifié au milieu d'une clairière.
Comme beaucoup d’autres monuments et institutions, ce bâtiment a été détruit sous la révolution, mais il reste heureusement cette très belle église qui aurait également disparu si elle n’avait été classée monument historique dès 1880, puis inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ainsi, la petite route qui traverse aujourd'hui le village était au XIIe siècle une voie d’accès vers la péninsule ibérique pour des chevaliers, des religieux et des marchands. C'était l'époque de la Reconquista : les rois chrétiens de la péninsule ibérique faisaient appel aux hommes du Nord pour les aider à libérer et à repeupler les terres occupées par les musulmans.
Quant à l’Hôpital de Miséricorde, c’était une communauté constituée de quelques religieux et de laïcs appelés « donats » (comme Haranbeltz près d’Ostabat en Basse-Navarre), donats car ils s’étaient « donnés » à l'hôpital et travaillaient à son entretien. C'était également une commanderie avec un patrimoine qui permettait à la communauté de vivre et d'assurer sa vocation d'accueil : bâtiments, terres, droits de pâturage, dîmes.
Le vicomte de Béarn et le roi d'Aragon en avaient confié la gestion à l'Hôpital Sainte-Christine du Somport qui devint un puissant ordre religieux avec des possessions tant en Navarre, au Béarn qu'en Aragon. Les voyageurs de ce temps étaient également des pèlerins car ils visitaient les sanctuaires se trouvant sur leur route. C'est la raison pour laquelle, l'Hôpital-Saint-Blaise comme la plupart des autres hôpitaux, était doté d'une église.
Horaires : Ouvert toute l’année de 10h à 19h (tél.: 05 59 66 11 12).
Pratique :
Un spectacle « son et lumière » sur les pas des pèlerins du Moyen-âge fait revivre l’histoire à travers chants basques et images projetées sur les parois de l'édifice (les mardis, jeudis et vendredis à 18h30 de juin à septembre). Visite audio-guidée d’avril à novembre.
Face à l’église, l’auberge du Lausset, placée au bord du poétique ruisseau du même nom, invite les pèlerins et les visiteurs à se restaurer. Très bonne cuisine authentique du terroir. Attention, il est prudent de réserver une semaine à l’avance pour les jours de fête (tél : 05 59 66 53 03).
Alexandre de La Cerda