« Le ciel a pris du plomb dans l’aile / Comme une palombe maladroite.
La mer se lève, elle est debout sur sa douleur, / Je me demande où vont tant de nuages… », s’interrogeait Guy d’Arcangues dans son poème « Septembre » extrait du recueil « Le Cheval andalou ».
Or, un grand silence était tombé du haut du clocher d’Arcangues, percé seulement par la sonnerie du glas. Pourtant, « des chênes d’ombre entrelacés », s’éleva soudain le chant rassérénant des oiseaux. Au loin, la mer scintillait et, « par-dessus les tombes, passa un souffle d’amour et de sérénité ». Le 22 septembre 2004, Arcangues avait pris le cœur de son châtelain-poète !
Fidèle à ses « Contes Oniriques », Guy d’Arcangues s’abandonnait une dernière fois, pour notre plus grande tristesse, à sa terre natale tant aimée et chantée dans cette belle langue qui lui était coutumière. On ne le reverrait plus dans son « château-poème », à l'écoute d’une musique intérieure guidant le « geste initiatique de la main, ce symbole de créativité, qui s'avance, la plume inquiète aux doigts sur la page ».
La petite église avait peine à contenir la famille, les proches et les amis sincères de toute une vie. Les chants de la liturgie basque – célébrée par l’abbé Anchordoquy avec une digne sobriété et un recueillement sans pareil - s’élevaient fervents et, lue par un parent, une lettre de Maurice Druon (*) remplaçait merveilleusement quelque panégyrique déplacé : « Vous apparaissez là comme je vous ai toujours regardé : l’un des rares vrais seigneurs de l’époque ».
La vie et la liberté
Très tôt confronté aux duretés de l’existence - il assiste dans sa jeunesse à une algarade entre son oncle le comte de Aguilar, proche du camp nationaliste (espagnol) pendant la Guerre d'Espagne, et son frère aîné Michel, partisan des Basques, qui venait d'assister au bombardement de Guernica - la guerre de 39/40 achève d'éveiller sa « conscience d'homme ».
En 1940, en l’absence du père et de l’aîné encore mobilisés, le jeune Guy, âgé de seize ans, doit « recevoir » et loger une vingtaine d'officiers accompagnant trois cents hommes des troupes d'occupation.
Très inquiet, car il pense que les soldats vont tout voler, piller, brûler peut-être, le jeune homme conduit le général allemand au salon et, lui montrant la cafetière offerte par Wellington, lui rappelle que les occupants anglais en 1813, loin d’emporter quoique ce soit, avaient même laissé ce « cadeau » à leur départ... Peu de temps auparavant, « en rédigeant la première page de son Journal », il avait débuté « ce qui allait devenir un monstre », véritable mémoire du cœur qui inspirera ses plus belles lignes.
Or, sans doute à cause des activités de son frère aîné qui entretint une filière d'évasion en Espagne avant de rejoindre l'Angleterre et combattre dans les rangs de la 2e DB de Leclerc, la Gestapo arrête le Marquis d'Arcangues et son fils Guy, accusés d'aider la résistance.
Après leur incarcération commune au Fort du Hâ, Guy d'Arcangues accepte de se laisser déporter en Prusse Orientale à la place de son père, à qui il fera dire plus tard, au frontispice de son roman « Le Silésien » : « Je t'ai donné la vie, / Tu m'as rendu la liberté, / Nous sommes quittes ».
L'écriture, tentation de l'aventure
De fait, rentrant de captivité et ne s'entendant guère avec une mère très autoritaire, il prend définitivement son envol vers la liberté en pigeant pour l' « Aurore », « Paris-Presse » et « France-Soir » avant de devenir grand reporter à « Paris-Match » et « Jours de France », puis rédacteur en chef de la revue « Adam » du groupe Condé-Nast, à laquelle il donnera une tournure très « moderniste ».
Son plus grand bonheur aura été d'y faire écrire Vialatte, d'Ormesson, Nourissier, François-Régis Bastide, et collaborer comme illustrateurs Buffet, César, Goude, etc...
Les plaisirs de la vie nocturne parisienne, les soirées chez Castel (dont il fut président), volonté d'étourdissement et de volupté après les horreurs de la guerre, ne l'empêchaient nullement, « le matin, après s'être rafraîchi », d'entreprendre des travaux journalistiques et littéraires, publiant dès 1954 chez Seghers « Dix-sept poèmes à la craie de lune ».
« Madame Petit Soldat » lui vaudra en 1975 un prix de l'Académie Française, tout comme l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse primera en 1982 ses « Châteaux de plâtre ». Lorsqu’à la fin des années 90, le secrétaire perpétuel Jean Sermet pressa Guy d’Arcangues d’entrer à l’Académie, ce dernier déclina l’invitation en suggérant le nom du signataire de ces lignes, qui fut ainsi intronisé un beau jour de mai 2000…
Parallèlement, il continuera la tradition familiale au service de Biarritz, recueillant en qualité de directeur artistique du Casino Bellevue, le succès ininterrompu de ses élégants et animés « mercredis pour les jeunes ».
Au profit de sa demeure ancestrale, « manteau très lourd, très vieux, dont il faut tout le temps redorer les parements ou raccommoder les trous », Guy d'Arcangues engagera de gros travaux afin de sauver le château de la ruine ; il y accueillera des soirées de prestige et créera un golf : ce sportif accompli (champion de France de pelote basque à pala ancha en trinquet en 1941, avec son frère Michel) avait commencé à jouer au golf de Chiberta dès l'âge de sept ans, et gagna maintes compétitions internationales avec l'équipe de France dont il fut le capitaine de 1960 à 1965.
Mais l'écriture demeura certes sa vraie maîtresse : « Ah ! Oui, l'écriture, comme le risque majeur, le grand défi du papier blanc et la tentation de l'aventure. La main, ce symbole de créativité, qui s'avance, la plume inquiète aux doigts sur la page, le geste initiatique à la religion de tous les dangers. Mon père était poète, ma maison était poème »...
Car, derrière la façade mondaine du continuateur de l'œuvre des marquis d'Arcangues, celle de l'ambassadeur infatigable de Biarritz et de la Côte Basque pour lesquels il œuvra jusqu’à son dernier souffle, surgira dans l’éternité la noble figure d’un gentilhomme, « riche et pauvre à la fois de ce fil ininterrompu du devoir » et de toute la magie d’un grand talent créateur.
Fil ininterrompu des marquis d’Arcangues qui s’incarne à présent en la personne de son fils Michel, partagé lui aussi entre la demeure de ses ancêtres et l'écriture. Et l’énergie déployée par Michel d'Arcangues pour continuer la tradition familiale ne le cède en rien à ses aïeux : l’actuel marquis restaure patiemment et fait revivre son magnifique château en l'inscrivant dans une nouvelle épopée qui l’intègre au tissu des activités sociales, culturelles et économiques contemporaines.
Alexandre de La Cerda
(*) La lettre de Maurice Druon
Académie française
Le Secrétaire perpétuel
5-VII-98
Mon cher Guy, Vos souvenirs m’ont enchanté. Par leur plume d’abord, souple, rapide, ironique souvent, émouvante parfois, avec de la superbe quand il le faut.
Mais aussi, mais surtout, par le personnage que j’y ai retrouvé.
Courageux jusqu’à la témérité, prodigue même quand désargenté, sérieux ludique, et désinvolte affiché, séducteur capable de passions soudaines, journaliste parce qu’aventureux, poète parce que regardant le ciel et lui posant des questions, traditionnaliste quand il y a des traditions à défendre, mais jamais conformiste, et traversant la vie avec une constante élégance, ne reniant rien sans être de rien prisonnier, vous apparaissez là comme je vous ai toujours regardé : l’un des rares vrais seigneurs de l’époque.
Et je suis ravi d’être votre contemporain. Croyez-moi vôtre, fidèlement
Maurice
Avec Guy et Michel d'Arcangues, devant le lit de Napoléon