Juan José Elhuyar (1754-1796) Fausto Firmin Elhuyar (1755-1833)
Etant moi-même originaire d’Hasparren, comment ne pas évoquer ici les frères Elhuyar (ou d’Elhuyar) dont les racines sont dans cette ville, même s’ils n’y sont pas nés. Cette fois-ci, c’est de chimie qu’il s’agit.
Grands voyageurs, aussi bien pour leurs études que pendant leurs parcours professionnels, c’est sans doute au Pays basque espagnol qu’ils sont le mieux connus ; de nos jours une fondation, une société savante et une revue portant leurs noms y sont très actives.
C’est l’Académie des sciences toulousaine qui a réellement dévoilé au monde pour la première fois leur importante découverte : « Sur la nature du Volfram (tungstène), et celui d’un nouveau métal qui entre dans sa composition » (24 mars 1784). Comme j’ai pu le vérifier auprès des archivistes de cette compagnie, les deux frères Elhuyar furent membres « Associés Correspondants » de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse (répertoriés Minéralogie en 1784, renouvelés en 1809).
Leur mémoire est restée vivace auprès des chimistes, de l’Académie des sciences de Toulouse (cf. [12]) comme d’ailleurs.
Le collège public d’Hasparren, ainsi qu’une rue à la technopole Izarbel de Bidart portent le nom des frères Elhuyar, des choix heureux je dois dire. Toutefois, je ne suis pas sûr que tous les collégiens passant par le collège public d’Hasparren aient une connaissance précise de la carrière des frères Elhuyar.
Pierre Hérigone (vers 1580-1643)
Hérigone est clairement une version francisée du nom basque courant Hirigoin, qui se prononce de la même manière (Hi-ri-go-ïn) ; si ce n’était pas son patronyme, ce pourrait être le nom de sa maison natale, comme c’est souvent le cas au Pays basque.
La vie et le parcours de Pierre Hérigone ne sont pas très connus. Pourtant l’article de Wikipédia consacré à P. Hérigone est très fourni. Je remercie ma collègue Maryvonne Spiesser (historienne des mathématiques) de toutes les informations supplémentaires relatives à P. Hérigone qu’elle m’a fournies.
Il y a quelques incertitudes sur la vie de P. Hérigone, à commencer par son lieu de naissance. Il fut professeur à Paris, a appartenu au cercle du père Marin de Mersenne (de l’ordre de Minimes), a participé aux débats dynamiques de son temps dans les Académies (avec Etienne Pascal et bien d’autres), et surtout a écrit un Cursus Mathematicus en 5 tomes et un supplément qui est resté fameux (publié entre 1634 et 1642).
Dans le sixième volume, il expose notamment la méthode de recherche d’extremum de Fermat, l’une des techniques les plus avancées de l’Analyse de l’époque. Fermat y fait d’ailleurs allusion dans une lettre de 1662 : « […] ma méthode est imprimée […] dans le sixième tome du Cours Mathématique d’Hérigone et j’en ai assez dit pour être entendu. » (cf. [20, page 91]). Systématiquement répertorié dans la famille des mathématiciens de la première moitié du 17ème siècle, P. Hérigone est aussi vu comme l’un des inventeurs du codage chiffre-lettre. Dans ces Cours, il propose par exemple de coder (remplacer) les chiffres par des lettres, consonnes ou voyelles et syllabes. Grâce à ce codage, on peut transformer les nombres compliqués à mémoriser en mots ou pseudo-mots, en choisissant à son gré une consonne, une voyelle ou une syllabe. Selon les historiens des mathématiques, Hérigone peut être vu comme l’héritier de François Viète (1540-1603), mais ses notations et procédures de démonstration sont très différentes.
Il y a bien une « Rue de Hirigogne » à Anglet, mais cet Hirigogne n’a rien à voir avec notre scientifique.
Charles Moureu (1863-1929)
Avec ce scientifique et le suivant, nous passons à la fin du 19ème et à la première moitié du 20ème siècle. Dans les deux cas il s’agit d’éminents chimistes.
Quand je commence à évoquer le nom de Moureu à Biarritz, on me rétorque tout de suite : « Ah oui ! celui qui a donné son nom à une rue ». Eh bien, pas du tout… C’est Félix Moureu, pharmacien et maire de la ville qui a été honoré par cette appellation à Biarritz. « Si ce n’est lui, c’est donc son frère », me direz-vous ; dans ce cas, vous avez raison…
Charles Moureu est né à Mourenx en 1863, il est mort à Biarritz en 1929. Il passe son Baccalauréat au lycée de Bayonne, fait des stages chez son frère Félix, cité plus haut. Il accomplit une remarquable carrière de chimiste qui va le conduire à être : Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut (à l’Académie des sciences en 1911) et de l’Académie de Médecine. « Un savant oublié » dit néanmoins Wikipédia de nos jours.
Des funérailles solennelles furent organisées pour Charles Moureu à Biarritz. Il est enterré à Oloron.
Des lieux de mémoire à son nom existent à Mourenx, Pau, Paris (des noms de rues, des bustes, un nom d’amphithéâtre à l’université de Pau et des Pays de l’Adour), mais rien (à ma connaissance) à Biarritz.
Le fils de Charles Moureu, Henri Moureu, fut également chimiste.
Ernest Fourneau (1872-1949)
Ernest Fourneau est un éminent chimiste, condisciple du précédent, né à Biarritz en 1872 et mort à Ascain en 1949. Une rue porte son nom à Biarritz, et une plaque est apposée dans une ruelle de la Place Clemenceau à Biarritz, face aux Galeries Lafayette ; y est écrit : « Dans cette allée est né le 4 octobre 1872 Ernest Fourneau « pharmacien célèbre » inventeur de la stovaïne et des sulfamides ». La stovaïne est un anesthésique local de synthèse que Fourneau a découvert ; il l’a appelé ainsi s’appuyant sur un jeu de mots : stove est fourneau en anglais. D’un peu plus, nous avions la labea-ine, de labea, fourneau en basque…
Ernest Fourneau est connu comme le « Père de la chimie thérapeutique française ». Il fut élu à l’Académie de Médecine. Sa carrière est quelque peu entachée par la collaboration avec l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale.
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Dans ma liste, centrée sur le Pays Basque et certaines disciplines scientifiques fondamentales, j’ai écarté Juan de Huarte (vers 1529-1588), présenté comme l’ancêtre de la psychologie différentielle (cf. [16]) ainsi que Jean Rostand (1894-1977) davantage connu comme écrivain, moraliste que comme biologiste. La mémoire de ce dernier n’a pas disparu au Pays basque puisqu’un collège porte son nom à Biarritz.
Tout ceci ne doit pas nous faire oublier que, même de nos jours, nous avons des élus à l’Académie des sciences de Paris qui sont issus du Pays basque (exemple dans la section de Biologie humaine et Sciences médicales).
Ecartons-nous (à peine) un peu du Pays Basque pour aller jeter un coup d’œil du côté du Béarn et du sud des Landes.
Ignace Gaston Pardiès (1636-1673)
Ignace Gaston Pardiès (né à Pau en 1636-mort à Toulouse en 1673) est un jésuite béarnais mathématicien qui vit le jour à Pau et étudia à Toulouse. Il fut longtemps en relation avec Pierre (de) Fermat, le père Maignan et suivit les cours d’Antoine Laloubère. I. Pardiès adopta vite les principes de Descartes et fut en correspondance avec Newton. Auteur du traité de statique intitulé « La statique, ou la science des forces mouvantes » (1673). Pardiès enseigna les mathématiques à Pau, Bordeaux, La Rochelle et au dit Collège de Clermont à Paris (1670-1673). Il meurt jeune, à 37 ans, des suites d’une fièvre contractée en se portant à l’aide de prisonniers à Bicêtre.
Une rue porte son nom à Pau.
Il est étonnant, pour moi, de voir comment, en ce siècle où les communications n’étaient pas aussi faciles et développées qu’aujourd’hui, les scientifiques arrivaient à échanger : Renau d’Elissagaray a lu le traité de Pardiès, correspond avec des scientifiques renommés étrangers comme Christiaan Huyghens, Jean Bernoulli, etc.
Jean-Charles (de) Borda (1733-1799)
Jean-Charles (de) Borda, né à Dax en 1733, est le nom qui ressort au sud de ce département des Landes si l’on s’en tient aux critères retenus pour notre présentation. La carrière de ce grand ingénieur naval, physicien, mathématicien, de renommée mondiale, a été bien étudiée dans de nombreux ouvrages. Ses contributions concernent l’hydraulique et la résistance des fluides, ainsi que les sciences de la décision (le fameux « paradoxe de Borda-Condorcet » à propos des élections au scrutin). Borda fut membre (fort jeune) de l’Académie des Sciences, de l’Académie de Marine, du Bureau des Longitudes, etc.
Le nom de Borda est très présent à Dax, avec un lycée général et technologique, une société savante très active, etc.
François de Foix-Candale (1512-1594) / notre photo de couverture
Pas loin de Dax, est associé à la ville d’Aire-sur-Adour le nom de François de Foix-Candale (1512-1594). Probablement né en Ariège, celui-ci fut évêque d’Aire-sur-Adour de 1570 à 1594 et Captal de Buch de 1572 à 1587 (Captal de Buch désigne le seigneur de la province sud du pays de Buch, qui regroupe aujourd’hui les communes d’Arcachon, la Teste-sur-Buch et Gujan-Mestras). C’est François de Foix-Candale qui fonda la première chaire de mathématiques de l’université de Bordeaux et la dota d’une pension annuelle. Son titulaire était recruté sur concours public au cours duquel il devait exposer et résoudre deux conjectures géométriques. Étonnante cette manière originale de sponsoriser des études ou travaux !
Il n’y a pas trace de son nom aujourd’hui à Aire-sur-Adour.
Conclusion
Comme nous l’avons signalé au début, les « vignettes historiques » que nous avons présentées ne sont que des points d’entrée à des lectures ou études plus approfondies. Espérons qu’elles ont une vertu pédagogique, celle d’inciter à apprendre, aux collégiens et lycéens du Pays basque et alentours, les parcours de scientifiques anciens du pays ; bref, que ce ne soit pas comme pour les apprenants de ma génération, et même de la génération suivante, une ignorance quasi-totale des noms évoqués dans notre texte.
Dans toutes les communes du Pays basque, il y a des commissions municipales ou extra-municipales chargées de la dénomination d’espaces publics (rues, jardins, ronds-points, écoles élémentaires, …). Sur des centaines de telles appellations à Biarritz-Anglet-Bayonne, aucune ne concerne un scientifique (qu’il soit du Pays Basque ou d’ailleurs) ; une exception : Louis Pasteur (une rue à Biarritz, une place à Bayonne). La situation n’est guère plus satisfaisante pour les écoles ; deux exceptions : Evariste Galois à Anglet et Marie Curie à Bayonne. Les tendances actuelles vont, avec raison, vers des appellations de femmes célèbres ; femmes et scientifiques, c’est tout à fait possible, et souhaitable.
Références
Concernant les frères d’Elhuyar :
12 - Armand Lattes, Les frères d’Elhuyar, chimistes basques, et la découverte du tungstène. Communication présentée à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse en sa séance du 24 novembre 2011. Publiée dans les Mémoires de cette Académie, Vol. 174, p. 79-87 (2012).
Références générales :
16 - Olivier Baulny, Les grands basques dans l’histoire universelle. Editions S.P.R.O. (1976).
17 - Huit siècles de mathématiques en Occitanie : des Arabes & de Gerbert d’Aurillac à Pierre de Fermat. Actes du colloque de Toulouse & de Beaumont-de-Lomagne (10-13 décembre 1992). Republié par les Editions PyréMonde (2008).
18 - Jean-Baptiste Hiriart-Urruty, Bien choisir le nom. Communication à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, en date du 24 mai 2005. Publiée dans les Mémoires de cette Académie, Vol. 168, p. 161-169 (2006).
19 - Alexandre de La Cerda, Les histoires extraordinaires du Pays Basque. Editions du Pays Basque (2010).
20 - Pierre de Fermat l’énigmatique. Ouvrage collectif publié sous la direction de Marielle Mouranche. Editions midi-pyrénéennes-Université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées (2017).